Le traité FNI abrogé
Suite à l'annonce du retrait de Washington, le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) expire ce vendredi. Ce traité était jusque-là considéré comme l'un des principaux accords de désarmement convenus entre les Etats-Unis et la Russie. Selon les commentateurs, cette fin était prévisible.
Le désarmement n’a jamais été la priorité des puissances
El País rappelle de quels Etats émane le vrai danger des armes nucléaires :
«Sans traité posant des limites, sans multilatéralisme, contrôles mutuels et mesures favorisant la confiance, les grandes puissances misent de nouveau sur la hausse du budget de la défense nationale, la recherche d'armes miracles, comme celles présentées par Poutine, et la dangereuse course aux armements. En matière de prolifération des armes nucléaires, le principal danger ne vient pas d'Etats-voyous tels que la Corée du Nord ou l'Iran, mais, aujourd'hui encore, des Etats-Unis et de la Russie - les seuls signataires du traité de non-prolifération des armes nucléaires rétifs dès le premier jour à sa philosophie : le désarmement généralisé.»
La convoitise de Moscou
Le traité FNI est dépassé, pense Jutarnji list :
«Ce traité, qui a maintenant [plus de] 30 ans, ne valait que pour les Etats-Unis (et l'OTAN) et la Russie. … Entre temps, non seulement la Chine, mais également l'Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et l'Iran ont développé des missiles de courte et moyenne portée capables d'intégrer des têtes nucléaires. Le monde a de toute évidence besoin d'un nouveau traité applicable à ces missiles. Mais la Chine ne veut participer à aucune discussion sur la question - de même, probablement, que les autres pays disposant de ce type d'arme. En particulier la Corée du Nord et l'Iran. Et la Russie ne voit pas pourquoi on lui poserait des limites (à elle et aux Etats-Unis) alors que d'autres, comme son voisin la Chine, développent leur armement sans être soumis à aucun contrôle.»
Poutine a les coudées franches
Les Etats-Unis ont justifié leur dénonciation du traité FNI en invoquant un programme de nouveaux missiles russes. De Volkskrant estime le reproche justifié, mais il rajoute cependant :
«Reste à voir si la dénonciation du traité est la bonne réponse. Maintenant que le traité FNI est une page tournée, le président Poutine a les mains libres pour poursuivre son développement de nouvelles armes. C'est exactement ce à quoi il voulait en venir depuis le début. ... Le danger actuel est de voir s'enliser dans la caducité tout le système de contrôle des armements que les Etats-Unis et l'Union soviétique/la Russie avaient mis en place.»
Six minutes, ce n'est vraiment pas beaucoup...
Dans Novoïé Vrémya, le journaliste Alexander Golz se montre très inquiet :
«Washington a tout fait pour empêcher la sauvegarde du traité. ... Il est peu probable que le déploiement de nouveaux missiles américains en Europe provoque des manifestations antimilitaristes un peu partout sur le continent, comme cela avait été le cas au début des années 1980. Les missiles peuvent être déployés en Pologne et dans les Etats baltes. ... La conséquence de tout cela, ce sera la fin de la supériorité stratégique de Moscou. Comme dans les années 1980, les Etats-Unis auront besoin de six à huit minutes pour frapper Moscou et Saint-Pétersbourg, où se trouvent les postes de commandement. Ce laps de temps empêche toute analyse correcte des signaux transmis par le système d'alerte précoce - signaux qui peuvent, par ailleurs, souvent être de simples fausses alertes.»
Un tableau dramatique
Le monde ? Une poudrière prête à sauter, estime De Volkskrant :
«Le naufrage du traité FNI risque d'emporter avec lui le concept global du contrôle des armements. Et ce à un moment où la révolution technologique gagne aussi le domaine militaire à une telle vitesse que les 'courses à l'armement' se multiplient. ... Ceci appellerait l'adoption urgente de nouvelles règles et de nouveaux accords, mais à l'heure où les rivalités ne cessent d'augmenter entre les grandes puissances, dirigées par des politiques obnubilés par la prééminence de leur propre pays, ces préoccupations passent au second plan. ... L'Europe ne sera pas complètement replongée dans le passé après l'abrogation du traité FNI, mais la nouvelle ère qui commence sera délicate. Car un monde sans traité FNI sera un monde marqué par des rivalités dépourvues de tout garde-fou.»
Une terreur sans équilibre
Kurier juge que la situation est bien plus dangereuse que lors de la guerre froide :
«A l'époque, 'l'équilibre de la terreur', euphémisme utilisé pour désigner la doctrine de dissuasion nucléaire, avait permis d'éviter le pire. Chaque camp était conscient du potentiel de l'autre camp, et du fait qu'il ne pourrait y avoir de victoire sans apocalypse. ... Aujourd'hui, les stocks d'armes nucléaires sont de moins en moins contrôlés dans le monde. Les Etats-Unis et la Russie se retirent des accords de non prolifération, et aux Russes et aux Américains s'ajoutent maintenant les Chinois. Les missiles volent plus vite que jadis et ne peuvent quasiment pas être interceptés par les dispositifs de défense. La course à l'armement gagnera bientôt l'espace. ... En revanche, le nombre des dirigeants irrationnels, inadaptés à 'l'équilibre de la terreur' - qui était finalement un 'équilibre de la raison' - ne cesse d'augmenter.»
L'indifférence déplorable de l'Europe
Franco Venturini, chroniqueur à Corriere della Sera, critique la passivité européenne :
«On peut comprendre que l'Amérique juge obsolètes les traités de désarmement du passé. ... On peut aussi comprendre que Poutine accuse les Etats-Unis de violer le traité et de nuire à l'équilibre atomique, via leur déploiement de missiles 'défensifs' en Roumanie et en Pologne. Mais ce qui est incompréhensible et inacceptable, c'est que l'Europe ne voit pas qu'elle est la première à avoir profité de ce traité et qu'elle sera la première victime de sa suppression. Pourtant, elle se cantonne obstinément à son rôle de sous-fifre, se contente d'observer sans rien faire et fait tout ce qu'elle peut pour éviter d'aborder la question avec Donald Trump et Vladimir Poutine.»