Fin du traité INF : quelles répercussions ?
La résiliation par les Etats-Unis et la Russie du traité INF de 1987, qui avait pour objectif d'abolir les missiles terrestres à moyenne portée, attise les craintes d'une relance de la course à l'armement. Les deux camps s'accusent mutuellement d'avoir torpillé l'accord. Les éditorialistes s'interrogent sur la suite des évènements.
Une Europe en proie aux bouleversements
L'Europe est particulièrement vulnérable aujourd'hui, estime Star :
«Le traité INF avait pour objectif principal de protéger l'Europe du péril d'une guerre nucléaire. Pendant la guerre froide, les missiles que chaque camp braquait contre l'autre visaient le territoire européen. Le traité exprimait la volonté des parties de ne pas menacer l'Europe, de ne pas se menacer mutuellement par le bais de l'Europe. ... L'Europe actuelle n'a pas d'ennemis, elle est repliée sur elle-même et incapable de jouer un rôle constructif dans l'équilibre entre les Etats-Unis et la Russie. Cette évolution contraint les pays européens à prendre clairement position entre les Etats-Unis et la Russie. Il semblerait cependant que les Etats membres de l'UE n'aient pas de position commune sur la question et qu'ils s'exposent à une grande déconvenue.»
Pire que pendant la guerre froide
Dnevnik redoute des conséquences graves :
«Il est passablement ironique que les Etats-Unis aient voulu résilier le traité INF, car avec le traité Start (de réduction des armes stratégiques), il représentait probablement le meilleur de l'héritage de Ronald Reagan et de son vice-président et successeur, George Bush. Mais cela ne peut suffire à nous consoler. La combinaison du narcissisme arrogant de Trump et du néoconservatisme est le signe funeste d'une nouvelle course aux armements nucléaires. Celle-ci est même plus dangereuse qu'elle ne l'était à l'époque de la guerre froide, laquelle avait pris fin il y a trois décennies sous l'effet du traité INF et du traité Start (qui expire dans deux ans).»
Prise entre deux feux
Helsingin Sanomat craint que l'Europe ne soit la plus impactée par la résiliation du traité INF :
«La prochaine étape pour les Etats-Unis consistera à trouver un endroit où déployer ses missiles. Il est bien possible que les Etats de l'OTAN ne s'entendent pas et que Washington conclue des accords bilatéraux avec certains pays, ce qui ne fera qu'accentuer les dissensions au sein de l'alliance. Les répercussions négatives de la course à l'armement, ainsi que les propos russes et américains spéculant sur le recours aux armes atomiques, iront en se multipliant. L'Europe est le continent qui veut bâtir la communauté mondiale sur la base de traités. Si l'on démantèle les accords qui limitent les armes nucléaires, l'Europe sera la première à en pâtir.»
Des missiles dans les épinards
Une nouvelle course aux armements nucléaires aura des effets désastreux sur l'économie et la société russes, estime Vedomosti :
«Les principales ressources financières et matérielles seront accaparées par la défense, ce qui freinera le progrès technologique dans le domaine de l'économie civile. Or les effets globaux d'une telle réorientation n'ont pas été pris en considération. Le démantèlement du système de sécurité international permettra au Kremlin, une fois de plus, de jouer la carte de la 'forteresse assiégée' - la nécessité de resserrer les rangs face à la menace extérieure. Les coupes dans les aides sociales finiront par être justifiées par le principe : des 'missiles plutôt que du beurre'.»
La méthode Reagan toujours valable
Deník reste convaincu que seule la supériorité militaire de l'Ouest permet de contenir la Russie :
«Il sera difficile d'empêcher la course aux armements nucléaires d'entrer dans un nouveau cycle. La première source d'inquiétudes, c'est l'action irresponsable du Kremlin, qui a débuté il y a cinq ans avec l'occupation de la Crimée et qui se poursuit depuis avec la guerre dans l'est de l'Ukraine. Le seul moyen de résister à la pression russe consiste à maintenir une supériorité technologique et militaire, travailler de plus belle à l'élaboration d'un bouclier antimissile, s'assurer une hégémonie claire dans le domaine conventionnel et répondre aux comportements agressifs. Alors le Kremlin sera prêt à signer un nouvel accord INF. La méthode de Ronald Reagan reste toujours d'actualité.»
L'Europe à nouveau l'otage des grandes puissances
L'Europe, la région du monde la plus affectée par l'abrogation du traité INF, doit s'y opposer, estime Pravda :
«Il est très probable que les Etats-Unis déploient sur leurs bases européennes des missiles à moyenne portée et que cela déclenche une nouvelle course à l'armement. Mais compte tenu de l'attitude de Trump en matière de défense collective, il ne serait pas surprenant que Washington retire ses soldats d'Europe et n'y déploie pas de missiles, ce qui exposerait les Européens aux caprices de la Russie. ... L'espoir étant toujours le dernier à mourir, il faut que Bruxelles appelle Washington à s'efforcer plutôt d'améliorer le traité INF plutôt que de le résilier.»
Moscou enfin recadrée
The Daily Telegraph pour sa part salue une décision de Washington qui fera peut-être enfin entendre raison au Kremlin :
«Les détracteurs du président Donald Trump verront dans sa décision la preuve de son unilatéralisme, de sa volonté de lancer une nouvelle course à l'armement. Or cette décision se profilait depuis longtemps déjà, et la Russie en est responsable. ... Un régime qui scinde l'Ukraine en deux parties, qui annexe la Crimée et qui tente de perpétrer des assassinats sur le territoire britannique n'hésitera pas à recourir à des chantages nucléaires. Il faut espérer que ce retrait incitera Moscou à prendre conscience du jeu dangereux qu'elle est en train de jouer et à reconsidérer sa position. En règle générale, la Russie ne réagit qu'aux démonstrations de force.»
Un traité inadapté aux exigences de notre époque
Trump procède à une réorientation judicieuse des priorités de politique étrangère, affirme Andris Sprūds, directeur du think-tank Latvian Institute of International Affairs (LIIA) pour la politique étrangère, sur TVnet :
«Le traité conclu entre les Etats-Unis et la Russie dans la deuxième moitié des années 1980, un évènement précurseur de la fin de la guerre froide, ne remplit plus depuis longtemps la fonction qui lui avait été assignée. ... On ne peut ignorer le fait que la Russie viole le traité depuis des années. ... Dans le rapport de forces entre Washington et Moscou, les missiles ne sont plus le premier facteur principal d'influence sur les processus internationaux. Il est aussi dans l'intérêt de Trump de circonscrire l'influence économique et stratégique de son concurrent chinois dans la zone Pacifique, où l'Amérique est présente elle aussi.»
Garder un oeil sur Pékin
Trump se trompe s'il pense qu'il n'y a pas assez d'argent dans le monde pour une nouvelle course à l'armement, estime Večernji list :
«Pourquoi Trump a-t-il annoncé son retrait de l'accord ? Les Etats-Unis partent du principe que la Russie n'est pas prête à se lancer dans une course à l'armement, de la même façon que l'URSS n'était pas prête à le faire dans les années 1980 et avait été contrainte de signer le traité INF. A l'époque, Reagan avait menacé d'une 'guerre des étoiles' [projet IDS]. On pourrait désormais assister à une course à l'armement de satellites, dans laquelle la Chine concurrait. Jusque-là, Pékin a répondu par la négative aux appels de Trump à un arrêt des armements, soulignant qu'il s'agissait d'une affaire entre les Etats-Unis et la Russie.»