Pétrole : le baril de brut new-yorkais à un prix négatif
Sur fond de pandémie, le cours du pétrole brut est tombé à une valeur négative à la bourse de New York, pour la première fois depuis la création du "baril WTI". Ce standard américain a conclu la séance de lundi à moins 37,63 dollars l'unité. La pandémie préfigure-t-elle la fin de l'ère du pétrole ?
A double-tranchant
Un prix du pétrole trop bas n'apporte pas que des avantages, fait valoir Turun Sanomat :
«Certains experts ont déjà prévenu que le pétrole bon marché pourrait générer des turbulences économiques rares, une baisse globale du niveau des prix, c'est-à-dire une déflation. Cela ne devrait pas se passer, car la crise du coronavirus sera probablement terminée avant. Auparavant, les faibles coûts du pétrole auront contribué à la relance de l'économie. Concernant le climat, ce phénomène génère deux effets contraires : l'épidémie de coronavirus a réduit les émissions de gaz à effet de serre plus fortement que toute politique de restriction. Mais le prix du pétrole incite à maintenir les sources d'énergie traditionnelles, car il ne vaut pas la peine actuellement d'investir dans des alternatives plus soucieuses de l'environnement.»
Accélérer la transition énergétique
La crise actuelle accélère les inéluctables mutations du secteur de l'énergie, analyse Financial Times :
«La chute des prix est à plusieurs égards le prodrome de ce qui attend, quoi qu'il arrive, le secteur de l'énergie à l'avenir. Les énergies fossiles étaient déjà en train de perdre les faveurs des investisseurs et du grand public, de par leur incidence sur le changement climatique. La demande en pétrole pourrait se mettre à décroître plus rapidement qu'on ne le pensait. Le contrecoup actuel implique, pour les entreprises, une accélération des programmes de restructuration. Le versement de dividendes, longtemps convoités, devront peut-être être réduits. Les géants du secteur, parmi lesquels BP et ExxonMobil, devront réaliser des investissements considérables dans des formes d'énergie alternatives.»
Le gaz et le charbon suivront
Rzeczpospolita prédit la fin de l'ère des énergies fossiles :
«L'effondrement des prix de la matière première pour laquelle on mènait des guerres et des luttes géopolitiques est spectaculaire. Lundi soir, les producteurs d'or noir aux Etats-Unis ont dû payer pour pouvoir écouler leur pétrole. Seul motif de consolation : le fait que la valeur du baril de Brent n'ait perdu que quelques points. Mais dès mardi, la dégringolade du pétrole russe - dans les négatifs lui aussi - aurait pu provoquer une véritable vague de panique. Une époque est révolue. ... Ces prix négatifs affecteront bientôt d'autres sources d'énergie fossiles dans les mois à venir - les prix du gaz et du charbon notamment.»
Les prix finiront par repartir à la hausse
Dans un post Facebook relayé par le site newsru.com, le conseiller économique Andreï Movtchan évoque les évolutions à venir :
«Quelle sera la suite des évènements ? On continuera à attendre et à souffrir. A réduire les quantités d'extraction, non pas en raison de l'accord [de l'OPEP], mais parce que personne n'achète de pétrole. Par la suite, avec la levée des mesures de confinement, la demande en pétrole augmentera à nouveau. ... Dans un premier temps, cela entraînera la liquidation des réserves (le prix restera inchangé), puis l'offre fournie par les producteurs flexibles (d'huile de schiste notamment) couvrira la demande. Mais, lorsqu'il s'avérera qu'il est difficile et délicat de réactiver les sources de pétrole et que la demande a augmenté, les prix repartiront à la hausse. ... Le Brent dépassera de nouveau les 50 dollars (ou plus) le baril. Mais cela ne se produira pas de sitôt. L'hiver sera long.»
Les raisons d'une baisse globale et rapide de la demande
Dans La Stampa, l'expert en économie Mario Deaglio évoque un effet notoire de la pandémie :
«Le secteur économique le plus impacté est celui des transports, et surtout celui du trafic aérien et routier, deux grands consommateurs de combustible. Aujourd'hui, dans tous les pays développés, les cieux sont quasi vides, à l'instar des autoroutes. ... De plus, l'hiver a été particulièrement doux, les grandes usines sont fermées ou produisent au ralenti et les réservoirs des producteurs d'électricité sont souvent à moitié pleins. En gros, la demande de l'économie en pétrole a chuté ces dernières semaines à un rythme bien plus rapide que celui du PIB. Tout ceci cause d'énormes difficultés aux pays exportateurs.»
Seule une guerre peut encore sauver le marché du pétrole
Sur Ekho Moskvy, le blogueur Alexander Gorny craint le pire :
«Le cours du pétrole est en chute libre et à entendre les dernières nouvelles de la Bourse, l'optimisme n'est pas de mise - le prix du WTI pour une livraison en mai a atteint la valeur négative de -39,44 dollars (!). Les cours des barils de Brent et d'Urals ne manqueront pas de dégringoler eux-aussi, et nous pourrons alors nous rhabiller. Les entrepôts de stockage sont pleins à ras bord et l'effondrement total du marché n'est plus une question de mois mais de jours, voire d'heures. Je vais dire une chose terrible : le dernier moyen de sauver le marché du pétrole serait une guerre dans les régions d'extraction. Sommes-nous prêts à payer ce prix ?»