Poutine président jusqu'en 2036 ?
Les Russes avaient jusqu'à ce mercredi, 1er juillet, pour se prononcer par référendum sur une grande révision de la Constitution, qui prévoit entre autres de limiter à deux le nombre de mandats à la tête de l'Etat. Mais le compteur des mandats passés étant remis à zéro, Vladimir Poutine peut potentiellement être réélu jusqu'en 2036, ce que critiquent vivement les éditorialistes.
Le retour du tsarisme
Poutine restera président à vie, le portail Tvnet en a la conviction :
«Ceux qui se rendront aux urnes pourront participer à un tirage au sort avec une voiture ou un splendide appartement à la clé. Moscou fait tout pour pousser les électeurs à aller voter. Si les participants à ce référendum-tombola votent oui aujourd'hui, les changements entreront dans la Constitution russe et Poutine restera aux manettes du Kremlin jusqu'à 2036. ... Et comme les Russes croient vraiment en leur tsar, il sera hissé sur le trône à vie, à n'en pas douter. Et comme la marge de manœuvre de l'opposition est aussi restreinte en Russie qu'en Corée du Nord ou en Chine, il ne faut pas s'attendre à ce que les choses évoluent.»
Poutine au menu de tous les jours
Ekho Moskvy estime que de toutes les modifications prévues, la seule qui importe vraiment est la prolongation potentielle du mandat de Poutine :
«Tout ce cirque a été inventé à une seule et unique fin : maintenir de facto Poutine au pouvoir. C'est tout ce qu'il y a à retenir de cette affaire. Tous les points et paragraphes supplémentaires sont sans importance, car ils ne sont que sauce et garniture. ... Bien que l'on nous serine toujours qu'il n'y a pas d'alternative à Poutine et que le peuple le soutient de tout son cœur, on n'a pas décidé de soumettre la question directement au peuple : êtes-vous favorables à une révision de la Constitution qui permette à cet homme de rester à la tête de l'Etat pendant 16 ans encore ? On redoute tellement la réponse à cette question que l'on a transformé cette consultation en 'surprise-partie'.»
La rue, seule réponse
Face à cette imposture cousue de fil blanc, l'opposition est bien trop timorée, estime le réalisateur Oleg Sentsov, prisonnier en Russie de 2014 à 2019, dans un post Facebook relayé par Gordonua.com :
«Les membres de l'opposition russe et ce que le pays compte encore de citoyens raisonnables hésitent entre deux stratégies : voter contre la révision ou boycotter un référendum illégitime. ... Ils ne sortiront pas de sitôt de cet esclavage librement consenti, qui durera jusqu'à ce qu'ils aient reconnu que les deux options sont des erreurs. Parce que la liberté est un bien qui s'acquiert de haute lutte. Et quand le pouvoir ne nous laisse pas le choix, il n'y a qu'une voie : descendre dans la rue.»
L'Etat se couvre de ridicule
Le pouvoir donne à voir un spectacle lamentable, estime le défenseur des droits de l'homme Lev Ponomarev dans Novaïa Gazeta :
«Il va trop vite en besogne, révélant ce faisant son insécurité et sa vulnérabilité. Les mesures de précaution sont levées en dépit du bon sens. Peu avant le vote, un défilé militaire est donné. En hommage à qui, est-on tenté de se demander. Sûrement pas des vétérans anonymes, placés sur les tribunes comme autant de figurants, sans avoir droit à la parole. Tous les cinq mètres, des affiches informent des valeurs de la famille et d'autres choses dont tient apparemment compte la modification de la Constitution. On invente de nouveaux savoir-faire, comme des tentes et des bancs, en vue d'un vote en plein air. Pourquoi toutes ces gesticulations, si ce n'est pour masquer la peur ? ... Nous sommes témoins de dirigeants qui s'humilient eux mêmes, qui se ridiculisent volontairement face au peuple.»
De sombres perspectives
Les développements en Russie ne présagent rien de bon, estime Politiken :
«On sait que Poutine, lors de ses 20 années au pouvoir, qu'il ait été président ou Premier ministre, a totalement plombé la fragile démocratie russe. On sait qu'il mène une politique étrangère et sécuritaire agressive, qui a culminé avec l'annexion de la Crimée, ainsi qu'avec la guerre larvée en Ukraine orientale, les crimes de guerre en Syrie et la tentative de déstabiliser l'UE et de s'ingérer dans les affaires intérieures des démocraties occidentales. ... Il sera difficile de s'entendre avec une telle Russie. Nous devrons toutefois maintenir ouverts tous les canaux de communication.»
Un avenir annulé
Soumettre au vote la modification de la Constitution est une mascarade, déplore Anton Alexeïev, correspondant à Moscou de la radio publique Eesti Rahvusringhääling :
«Le plébiscite a vocation à signifier au monde entier : vous voyez, je ne suis pas un dictateur, c'est le peuple qui me demande de rester au pouvoir. Qui plus est, Poutine peut aussi s'appuyer sur ce mandat du peuple pour se justifier face aux élites - politiques, notables et fonctionnaires. C'est précisément à eux que Vladimir Vladimirovitch veut interdire d'envisager un avenir sans lui et de rechercher un successeur. ... Au fond, en annulant le nombre limite de mandats, le président n'annule pas le passé mais l'avenir. Après le 1er juillet, Poutine fera partie intégrante de la Russie, au même titre que son drapeau, son aigle bicéphale et le défilé du 9-Mai sur la place Rouge.»