Serbie : la gronde sociale ne faiblit pas
A Belgrade, le mouvement de protestation déclenché par l'annonce du président, Aleksandar Vučić, de reconfiner la capitale serbe, se poursuit de plus belle. Après deux nuits de contestation émaillée de violences, des milliers de personnes ont a nouveau manifesté jeudi, pacifiquement, devant le Parlement. Les éditorialistes s'interrogent sur les motivations des protestataires et déplorent l'absence de revendications claires.
Les citoyens n'en resteront pas là
La situation ne s'apaisera pas de sitôt, croit savoir Delo :
«Le gouvernement a réprimé pour la première fois les manifestations de façon violente. Des policiers armés jusqu'aux dents s'en sont pris également à des personnes qui ne participaient même pas aux manifestations. Vučić s'efforcera de calmer le jeu, mais il n'a pas beaucoup de marge de manœuvre. Les rassemblements spontanés ne cesseront pas du jour au lendemain. Et en dépit du coronavirus, les citoyens serbes ne se contenteront plus de manifestations, de pétitions en ligne et d'obéissance tacite. La Serbie va au-devant d'une période semée de troubles.»
La mobilisation, seule échappatoire possible
Les Serbes sont outrés, estime l'analyste politique Sorin Ioniță sur le site Libertatea :
«Le président appelle maintenant, hypocritement, au calme et à la fin de l'extrémisme. Lui qui a construit toute sa carrière politique sur un discours nationaliste et antieuropéen, mâtiné de théories complotistes, afin de ratisser les voix de l'extrême droite et celles du parti de gauche Narodniki. ... Le public, pour sa part, est confus : un sportif professionnel comme Novak Djoković, numéro 1 mondial de tennis, s'est couvert de ridicule et a joué les Borat, en organisant des rencontres qui se sont transformées en foyers de contagion collective du coronavirus, sur fond de bannière nationale. Les citoyens ne voient pas d'autre issue aujourd'hui que le recours à la contestation violente, bien qu'il n'y ait aucun consensus quant à la suite des évènements.»
Tous les anti-Vučić ne sont pas fréquentables
Les motivations des manifestants sont loin d'être toutes évidentes ou légitimes, juge Azonnali :
«Il faut bien comprendre que l'ire observée lors des manifestations mardi est liée à la situation actuelle, mais aussi à la politique irresponsable du régime. Si l'après-midi, ce sont majoritairement des jeunes gens et des familles qui se sont réunis sur le parvis du Parlement pour appeler Vučić à dire la vérité au peuple sur l'ampleur de la pandémie, le soir, ce sont des hooligans, des militants d'extrême droite opposés au régime, qui ont pris le relais. ... Si les anti-Vučić veulent pour la plupart une Serbie libre, un certain nombre d'entre eux veulent néanmoins un Etat qui ait des liens encore plus étroits avec Moscou et qui reconquière le Kosovo.»
Une rébellion contreproductive
Les Serbes protestent en dépit de leur propre intérêt sanitaire, estime Douma, qui critique le mouvement :
«Même si l'on approuve le droit démocratique des citoyens de manifester publiquement leur mécontentement, les récentes émeutes en Serbie ne peuvent guère susciter de sympathie et de soutien. L'évènement qui a été catalyseur de la mobilisation [le reconfinement] est un prétexte spécieux et socialement toxique. Car il s'agit de renforcer les mesures pour enrayer la propagation du coronavirus et de rétablir les mesures de restriction. On a l'impression que les Serbes manifestent contre leur propre droit à la santé. Seraient-ils en colère que leur gouvernement ne les laisse pas tomber malade en toute liberté ?»
Les citoyens réclament des excuses
La colère des manifestants est tout à fait compréhensible, juge Népszava :
«Les citoyens sont descendus dans les rues en raison du confinement décrété par Vučić, et établi de vendredi à lundi à Belgrade. Vučić n'a pas eu tort d'adopter cette mesure, car la pandémie prend des proportions inquiétantes en Serbie. ... Ceci dit, Vučić se trouve être l'unique responsable du déclenchement de cette seconde vague épidémique. ... Début mai, des élections avaient été annoncées pour le 21 juin. A partir de là, toutes les mesures de restriction ont été subitement levées. ... La recherche d'avantages politiques a pris le pas sur la santé des gens ; le nombre des personnes contaminées est alors monté en flèche. Les manifestants ne sont certes pas exempts de tout reproche, mais leur colère est compréhensible. Ce qu'ils attendaient avant tout de Vučić, c'est que celui-ci leur présente d'authentiques excuses.»
L'UE croit qu'elle a besoin de Vučić
Ceux qui croient que l'UE se rangera du côté des opposants à Vučić se trompent lourdement, estime Jutarnji list :
«L'UE croit - à tort ou à raison - qu'elle a besoin de Vučić pour résoudre le problème des relations entre la Serbie et le Kosovo. Qu'à part lui, personne en Serbie n'est en mesure de résoudre le problème aujourd'hui ou dans un avenir proche. Voilà pourquoi elle a visiblement besoin d'un Vučić fort et tolère une dérive autoritaire en Serbie. Certaines personnes en Europe critiquent l'UE, mais celles-ci sont généralement issues de l'opposition, du camp de centre-gauche ou libéral. Le président serbe bénéficie du soutien de l'UE et surtout du PPE, la plus grande formation politique européenne.»