La "Cancel Culture", danger réel ou pure invention ?
Le concept de "cancel culture" revient régulièrement dans les débats ces dernières semaines. Défini comme la décrédibilisation systématique des personnes qui exprimeraient des avis jugées néfastes, il est perçu par certains comme une atteinte à la liberté d'expression. Si certains éditorialistes sont convaincus que cette pratique a des effets désastreux, d'autres remettent en cause l'existence même de ce concept.
Plus personne n'ose parler ouvertement
Daily Express estime que la "cancel culture" a des effets désastreux sur les relations entre les gens :
«La 'cancel culture' part d'une bonne intention : empêcher la propagation de la haine. Mais ceux qui en font les frais ne sont pas seulement ceux qui propagent la haine. Ceux qui manquent d'amour propre, ceux qui sont curieux, ceux qui sont désireux de grandir, d'apprendre et d'aller vers les autres en font aussi les frais. En tentant d'arrêter le flot de haine par le biais de la censure, nous tuons aussi la capacité des êtres humains à communiquer, apprendre et grandir, ouvertement, sans craindre de dire quelque chose de déplacé. Sans ces libertés, l'authenticité des rapports continuera de péricliter et notre aptitude humaine au développement elle aussi.»
Comment une minorité s'impose
Corriere della Sera redoute l'émergence d'une nouvelle forme de conformisme :
«Quand une minorité arrive à s'imposer et à rallier à sa cause un groupe beaucoup plus important de personnes, on créée une nouvelle forme de conformisme. Il est crucial de comprendre de quoi est faite cette 'majorité silencieuse'. ... Elle se compose de deux catégories de gens : les 'caméléons' et les 'soumis'. Les caméléons, ce sont ceux qui épousent les 'idées en vogue', quelles qu'elles soient. ... Les soumis, de leur côté, ont peur d'être désapprouvés, voire marginalisés par leurs amis, par ceux qu'ils fréquentent et qui sont d'enthousiastes partisans (du moins en apparence) des idées du moment. Ensemble, caméléons et soumis forment la troupe dirigée par les généraux (la minorité motrice). C'est grâce à eux que s'affirme un nouveau conformisme.»
La fin ne justifie pas tous les moyens
Dans Le Monde, la sociologue Nathalie Heinich appelle la gauche à renoncer à la 'cancel culture' :
«Quelle que soit la justesse des causes défendues, l'on ne peut se contenter de condamner les 'excès' de ces militants radicaux tout en suggérant que la fin justifie malgré tout les moyens. L'on doit poser fermement la seule question qui vaille : quelle est la légitimité et la légalité des méthodes utilisées par ces nouveaux censeurs ? Faute de quoi la gauche risque de sombrer à nouveau dans les tentations totalitaires qui en ont assombri l'histoire, depuis la Terreur révolutionnaire jusqu'aux horreurs staliniennes. Et faute de quoi aussi nous ne vivrons plus dans un Etat de droit, ni dans une démocratie, mais dans l'équivalent, à l'échelle des réseaux sociaux, de ce que fabriquait naguère le ragot de village : le contrôle social sans appel, sans merci, sans recours.»
L'angoisse des essayistes de droite
Tages-Anzeiger explique pourquoi certains commentateurs déplorent une "perte de liberté d'expression" :
«Ils jugent visiblement problématique de devoir braver des vents contraires. Il ne s'agit pas là des militants de gauche, auxquels on reproche souvent d'être de telles 'lavettes' qu'ils se posent en victimes de tout. ... Ce sont plutôt les nombreux publicistes conservateurs de droite, d'un certain âge, que ceci contrarie - quand bien même cette posture serait stratégique : ce qui les gêne, c'est l'émergence sur la Toile de forums publics auxquels on ne peut pas reprocher grand chose, en toute honnêteté, mais qui sapent leur propre hégémonie en matière de formation de l'opinion. C'est pourquoi ils brandissent le spectre de la 'cancel culture' : pour se poser en défenseurs héroïques de la liberté d'expression, mais aussi affirmer être les premières victimes d'un soi-disant extrémisme.»