Amnesty International révise le statut de Navalny
L'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International ne considère plus Alexandre Navalny, farouche opposant à Poutine, comme 'prisonnier politique non-violent'. Elle appuie sa révision sur des plaintes déposées contre des déclarations à caractère discriminatoire faites par Navalny il y a plus de dix ans envers les migrants et un certain nombre de régions et de pays, et dont il ne s'est jamais distancé depuis. A qui cette réévaluation d'Amnesty nuit-elle ?
Le monde n'est pas noir et blanc
Mikhaïl Gourevitch, de Radio Kommersant FM, tire son chapeau à Amnesty International pour ne pas déroger à ses principes :
«Hélas, le caractère hybride de notre politique intérieure et extérieure pendant des années a fait qu'en Russie, plus personne ne croit en des valeurs immuables. L'histoire d'Amnesty en est une parfaite illustration. Il ne me plaît pas que Navalny ait perdu le statut de prisonnier de conscience. Mais en restant fidèle à ses principes et à ses procédures et en sachant reconnaître ses erreurs, Amnesty commande le respect. Un discernement qui sous-entend une maturité cosmopolite qui nous fait si cruellement défaut. Elle nous aiderait à comprendre qu'au-delà de nos frontières, le monde est bien plus complexe et qu'il ne se divise pas en deux camps, les amis compréhensifs et les ennemis jurés.»
La cause des droits de l'homme discréditée
La Russie a réussi son coup de communication, écrit Postimees en commentaire au changement de statut de Navalny :
«La confusion est grande, et c'est précisément ce que recherche la Russie : mettre le doigt sur la division et les doutes de l'Occident pour démontrer que tout le blabla sur les droits de l'homme et les valeurs n'est que du pipeau. Même si cela a l'air d'une argumentation purement théorique, la relativisation de la question des droits de l'homme est à l'origine de bien des souffrances. ... Si la parole d'Amnesty ne fait plus foi, qui peut-on encore croire ? Le fait que l'organisation ne soit inféodée à aucun pays lui conférait sa crédibilité. Si les Etats-Unis accusent quelqu'un de violer les droits de l'homme, ce quelqu'un peut toujours invoquer pour sa défense les manquements des Etats-Unis dans ce domaine, ou faire valoir que les accusations sont politiquement motivées. Quoi qu'il en soit, on peut tirer son chapeau à Moscou pour un coup de comm' mené haut la main.»
Sous ses airs de démocrate, un raciste fini
Le journal de gauche Birgün est agacé par l'attitude de l'Occident :
«Navalny qualifie les personnes originaires du Caucase et d'Asie centrale de 'vermine' qu'il préconise d'exterminer par la violence. Et tandis que l'Occident le place sur un piédestal, il a déclaré personnellement que ses opinions n'avaient pas changé. Fait tragi-comique, l'Occident accourt au chevet de cette aberration qui nous vient de Russie, de cet opposant xénophobe et raciste, en s'appuyant sur un thème cher à l'Occident, la figure de 'l'homme qui dévoile des affaires de corruption'. Il veut le faire passer aux yeux du monde pour un condensé de 'démocratie et de droits de l'homme'.»
Amnesty se discrédite en Russie
Le journaliste Artemi Troizki écrit dans Ekho Moskvy qu'Amnesty International s'est laissé bêtement instrumentaliser par le Kremlin :
«Ceux qui tirent les ficelles au Kremlin ont roulé comme une débutante l'organisation de défense des droits de l'homme mondialement connue en déposant des plaintes contre Navalny, l'accusant de 'racisme et de nationalisme'. ... Cette intrigue malveillante qui cherche à le discréditer ne leur apporte presque rien dans l'affaire Navalny. ... En revanche, ils auront tordu le cou au second lièvre qu'ils courraient, même si c'est le moins redoutable des deux : Amnesty et sa réputation en Russie. L'organisation est un boulet au pied de la Russie. Entamer son autorité tout en instillant des doutes dans les esprits des activistes quant à ce genre d'institutions est une réussite pour le Kremlin, et non des moindres.»
Un coup rude pour la solidarité
Amnesty International ampute Navalny d'une part importante de ses soutiens, regrette Snob :
«Même si Amnesty continue de penser que l'incarcération de Navalny est une injustice et qu'elle réclame sa libération, la perte du statut de 'prisonnier de conscience' voile sa réputation d'un halo de doute. De quoi amener bon nombre d'occidentaux à réfléchir à deux fois avant de soutenir le chef de la fondation de la lutte anticorruption. Exactement ce que les dénonciateurs cherchaient à obtenir. Qu'ils soient de mèche avec le pouvoir ou non, dans les faits, l'affaire souffle dans les voiles du Kremlin. Et malheureusement, le mal est fait, irréversiblement.»