Unis contre Pékin ?
Réunis lundi à Bruxelles, les Etats de l'OTAN ont pour la première fois clairement pris position contre la Chine, qualifiée de "défi systémique". Le secrétaire général de l'alliance, Jens Stoltenberg, a toutefois tenu à indiquer qu'elle n'était ni une rivale ni une ennemie. Les chroniqueurs envisagent la situation dans la perspective de Pékin.
Montrer à l'Europe ce qu'elle a à gagner
Global Times, journal officiel qui suit la droite ligne du parti communiste chinois, explique comment Pékin doit réagir au positionnement de l'Occident :
«Même si la rhétorique utilisée dans la déclaration du sommet de l'OTAN à l'égard de la Chine semble être un peu moins dure que celle réservée à la Russie, la Chine doit percer à jour les intentions complotistes des États-Unis. Nous devons nous engager à développer la coopération sino-européenne. Nous devons à la fois faire comprendre que la Chine ne constitue pas une menace pour l'Europe, mais aussi amener cette Europe, actuellement désireuse de renforcer son autonomie stratégique, à saisir l'importance qu'il y a à avoir la Chine comme partenaire. L'avenir de l'Europe ne réside pas dans une subordination aux États-Unis, dans l'espoir d'obtenir une petite part du gâteau de l'hégémonie de Washington. Il incombe donc non seulement à la Chine, mais aussi à l'Europe, de prendre son destin en main.»
Des projets divergeants
Les dirigeants du G7 se sont mis d'accord sur une sorte de plan Marshall à l'intention des pays pauvres et émergents - le projet Build Back Better World - et entendent investir 40 000 milliards de dollars dans des projets d'infrastructure. Douma note que leur approche est très différente de celle de Pékin :
«Il est peu probable que cette initiative ait des visées altruistes. D'expérience, on constate que l'Occident accompagne l'aide octroyée de revendications en termes d'engagements politiques, tels que le respect de la démocratie libérale ou des droits des minorités sexuelles. ... La Chine, quant à elle, accorde prêts et autres aides financières sans les lier à des exigences politiques ni insister pour que les partis locaux, de gauche ou communistes, entrent au gouvernement. Pékin souhaite simplement que les obligations financières ou économiques soient respectées.»
Un combat pour une idée de la société
Joe Biden devra effectuer un travail de dissuasion bien plus conséquent, fait valoir Diário de Notícias :
«Biden veut plaider la cause de la bipolarité en livrant un argumentaire qui ne se limite pas à la concurrence économique. Et il a raison. Ce qui distingue la Chine de l'Occident, ce n'est pas la croissance ou le capitalisme d'Etat, c'est la conception de la société, c'est l'idéologie. ... Pour l'économie américaine, tourner le dos à la Chine pose un problème de taille : la perte d'un marché considérable. Mais si les Etats-Unis l'emportent et neutralisent la concurrence, cela pourrait en valoir la peine - cela devra en valoir la peine. ... Pour de vastes pans de l'Europe, la question semble se poser en des termes différents : perdre le marché chinois sans obtenir la moindre contrepartie économique ou politique, cela ressemble davantage à une défaite.»
Savoir quelle est la vision chinoise
Dans Il Manifesto, le spécialiste de la Chine Simone Pieranni appelle les dirigeants occidentaux à tenir compte de la vision du monde chinoise :
«La Chine se considère comme une puissance bienfaitrice qui entend se porter de manière paternaliste à la tête d'un nouvel ordre. ... Elle ne se considère plus comme un pays à 'intégrer' dans l'ordre voulu par les Américains et l'Occident. Car au titre de puissance mondiale, elle peut au contraire être créatrice d'un nouvel ordre basé non pas sur des valeurs jugées universelles, mais sur une coopération axée sur la croissance des économies et du bien-être de tous les pays. Cette vision peut paraître naïve, voire sournoise, et soulève de nombreuses questions et dilemmes. Mais pour l'heure, la proposition chinoise - et c'est ce qui fait sa force - ne présuppose aucun modèle à exporter, ni dans ses aspects positifs ni dans ses aspects négatifs. On peut certes réprouver cette vision. Mais on ne peut pas ne pas en tenir compte ou l'occulter complètement.»
Balayer devant sa porte
Politiken redoute que l'évolution inquiétante observée dans plusieurs Etats membres ne discrédite l'OTAN :
«L'organisation atlantique ne peut se poser en défenseur crédible des droits de l'homme et des valeurs démocratiques si, dans le même temps, trois de ses Etats membres, à savoir la Turquie, la Pologne et la Hongrie, foulent aux pieds ces mêmes droits. L'OTAN doit faire le ménage chez elle. C'est dans l’intérêt de l'alliance et c'est sa responsabilité.»
Une double guerre froide
L'OTAN a désormais de nouveau deux ennemis, analyse La Stampa :
«Les tours de passe-passe dialectiques du communiqué final de l'OTAN tempèrent quelque peu le ton, mais n'en dissimulent pas le contenu : la Russie et la Chine sont des 'rivaux systémiques'. ... Pour affronter les deux autocraties - une définition que l'on a également imposé lors du G7 en Cornouailles, lequel a servi de mise en bouche avant le sommet de l'OTAN - un double-schéma sera nécessaire. Il s'agit d'une reformulation, adaptée à l'époque et aux moyens disponibles, de la 'doctrine de la guerre menée sur deux fronts simultanément', pilier américain de la guerre froide.»
L'Europe doit rejeter le cap anti-Pékin
La Chine est tout simplement devenue trop importante pour l'Europe, fait valoir Les Echos :
«L'Europe n'a pas à payer le prix de cette nouvelle guerre froide entre Washington et Pékin. Sa dépendance commerciale et énergétique, à l'égard de la Chine comme de Moscou, est trop importante pour céder aveuglément aux intérêts américains. Elle peut d'autant moins se le permettre que Pékin est devenu son premier partenaire commercial l'an dernier, devant Washington. Et qu'il est indispensable dans la lutte contre le changement climatique. Par l'importance de son marché - 450 millions d'habitants -, l'UE a le pouvoir d'imposer un rapport de force plus équilibré à la Chine. La mission est suffisamment difficile pour refuser ce nouveau mur que Washington veut bâtir entre nous et Pékin.»
Privilégier la multipolarité
Il serait anachronique de former une alliance occidentale contre la Chine, complète pour sa part Público :
«Si la stratégie [de Biden] semble plus intelligente que celle de ses prédécesseurs, l'idée directrice reste la même : maintenir la domination des Etats-Unis dans un monde qui a cessé d'être unipolaire. Il s'agit d'une approche surannée, qui se heurte à la volonté de l'UE de développer une politique étrangère autonome. ... Le G7 a présenté un projet d'infrastructures commerciales 'vertes' censé rivaliser avec les 'nouvelles routes de la soie' de Pékin. Mais il s'agit d'une initiative qui, à la différence de celle de la Chine, reste dépourvue de contours précis, de sources de financement et d'orientation stratégique. Plusieurs alliés de Washington ne sont pas disposés à soutenir un plan hostile à la Chine.»
Un nouveau centre de gravité
Le message le plus important de ce sommet est l'élargissement de la notion de sécurité au-delà de l'Atlantique-Nord à proprement parler, analyse Zeit Online :
«L'OTAN porte son regard sur la région indo-pacifique et souhaite y intensifier la coopération avec ses partenaires - Japon, Corée du Sud, Australie ou Nouvelle-Zélande. ... Pour la plupart des Etats européens de l'OTAN, la menace vient davantage de la Russie - le défi posé par la Chine les inquiète moins. Le sommet de Bruxelles devrait leur avoir ouvert les yeux sur le fait que le cœur de la politique étrangère américaine se décale définitivement vers l'espace indo-pacifique. ... Sur l'échiquier politique mondial, dans la perspective de Washington, le territoire traditionnel de l'OTAN se trouve de plus en plus relégué à la périphérie.»
Pas de supériorité technologique occidentale
WPolityce.pl appelle le bloc occidental à réviser son approche en matière de défense :
«La situation actuelle des Etats de l'OTAN est bien plus complexe que par le passé. Car l'avance technologique, qui constituait jadis un avantage collectif de l'Ouest vis-à-vis des ennemis potentiels, n'est plus aujourd'hui. La recherche de nouveaux types d'armements, le recours à l'intelligence artificielle à des fins militaires ou plus généralement les progrès technologiques à venir dans le domaine de l'Internet des objets privent l'Occident de cet avantage. Ce qui signifie qu'il va falloir revoir les principes de base de la politique de défense.»