Pandora Papers : comment lutter contre l'évasion fiscale ?
Les Pandora Papers le montrent de nouveau : partout dans le monde, responsables politiques, oligarques et célébrités utilisent les paradis fiscaux pour effectuer des transactions opaques. L'enquête de grande envergure épingle notamment le Premier ministre tchèque Andrej Babiš, le président ukrainien Volodymyr Zelensky et l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair. Bien que leurs agissements individuels soient répréhensibles, les éditorialistes préconisent de se détacher de l'anecdotique et de prendre le mal à la racine.
Parfaitement légal, même au sein de l'UE
Polityka réclame des changements systémiques au lieu de discuter de cas isolés :
«Les transactions décrites dans l'enquête ne sont pas criminelles, elles sont entièrement légales. Hormis une éventuelle stigmatisation publique, elles restent impunies. Dans la plupart des cas, les riches se moquent pas mal d'une telle stigmatisation, car ils peuvent se permettre de l'ignorer. Le problème, ce n'est pas eux, mais le système économique et fiscal mondial qui rend possibles de telles transactions. Au lieu de se focaliser sur le patrimoine de ces autocrates milliardaires, cela vaudrait la peine de s'interroger sur les réactions de l'Union européenne face à la quasi-absence de système fiscal en Chypre et de se demander pourquoi elle tolère de telles lacunes.»
L'Etat se sert chez les pauvres
El País attire l'attention sur les conséquences de tels comportements pour le reste de la population :
«Selon Tax Justice Network, l'évasion fiscale se chiffre chaque année à près de 370 milliards d'euros, ce qui entraîne une perte importante des recettes fiscales nécessaires au financement de l'Etat social. ... Ce que les fraudeurs ne payent pas est généralement compensé par une hausse de la TVA : c'est tout sauf une imposition progressive, car l'impôt sur la consommation pèse plus lourd sur le budget des personnes à faibles revenus. Ceux-ci dépensent pratiquement tout leur revenu en dépenses courantes, sans jamais pouvoir rien mettre de côté.»
Une révolte est nécessaire
Pour que la situation change, il faut faire pression dans le monde entier sur les paradis fiscaux, renchérit Público :
«L'argent, c'est le pouvoir. Si ceux qui ont le pouvoir de mettre fin aux paradis fiscaux dans le système financier mondial en profitent eux-mêmes, il est effectivement difficile de continuer à croire à une lueur au bout du tunnel. ... Des mesures simples suffiraient. Il serait notamment possible de retirer les licences bancaires aux entités qui opèrent dans ces juridictions mais qui refusent de divulguer la liste des bénéficiaires finaux des transactions et des actifs gérés. Nous devons garder en tête que sans une révolte mondiale contre cet état de fait, les responsables politiques seront peu enclins à agir.»
L'évasion fiscale, preuve de débrouillardise
Le ministre des Finances néerlandais Wopke Hoekstra avait lui aussi placé de l'argent dans un paradis fiscal. Si cet investissement n'est pas illégal, il est répréhensible, comme le souligne De Volkskrant :
«Il importe de mesurer les faits à l'aune du pouvoir. Qui détermine ce qui est interdit aux Pays-Bas et ce qui ne l'est pas ? Pourquoi, dans l'affaire des allocations familiales, les parents se font taper sur les doigts par les services publics sur la base de soupçons (finalement injustifiés) et que pendant ce temps, les montages fiscaux passent depuis des années comme une habile pirouette ? Ce 'deux poids, deux mesures' est une conséquence de la loi et de l'interprétation qui en est faite ; de la politique telle que la pratiquent des gens comme Hoekstra. La première réaction du ministre a été de rappeler qu'il n'avait rien fait qui soit passible de peines. C'est justement le fond du problème.»
Protéger les lanceurs d'alerte et les journalistes
Süddeutsche Zeitung souligne le fait que ce n'est pas le fisc qui révèle la majorité des cas de fraude fiscale :
«C'est dans le domaine de la fiscalité que les recherches menées par la presse indépendante sont les plus décisives. Car le fait que les journalistes parviennent à mettre la main sur des documents internes confidentiels de plus en plus conséquents est jusqu'à présent la seule possibilité efficace de démonter les montages des super-riches et puissants dans les paradis fiscaux. Le journalisme exploitant des fuites se substitue à l'action politique et aux poursuites pénales. ... Le nouveau gouvernement devrait accorder autant d'attention à la protection des lanceurs d'alerte et des journalistes qu'à la négociation d'accords fiscaux.»
Pas vraiment étonnant de la part de Babiš
Le Premier ministre Andrej Babiš est l'une des personnalités mises en difficultés par les révélations, et ce une semaine avant les élections en République tchèque, comme le fait remarquer Sme :
«Le fait que Babiš ait dissimulé à l'administration fiscale tchèque des centaines de millions en les plaçant aux îles Vierges ne choquera personne, ni ses partisans, ni ses adversaires. Les uns comme les autres ne se font aucune illusion à son égard. ... Le fait que cette escroquerie soit révélée une semaine avant les élections tchèques est un hasard, mais un hasard très heureux. Car les électeurs sont en droit de savoir quel genre d'hommes politiques demande leur confiance.»
Que les Etats emboîtent le pas aux médias
Les médias doivent faire pression jusqu'à ce que les gouvernements coopèrent, fait valoir Le Soir :
«L'exemple des médias qui s'unissent et investissent pour révéler ces pratiques inacceptables est sans doute l'exemple à suivre pour les Etats : s'unir et investir. Un vœu pieu dans un monde de concurrence fiscale, même entre Etats européens ? Sans doute. Mais sans une volonté politique et une coordination inter-Etats, il y aura encore beaucoup de Leaks à dénoncer.»
Le taux minimal d'impôt sur les sociétés comme exemple
De Tijd espère également que ces publications contribuent à la mise en place d'un cadre réglementaire international pour sévir contre l'évasion fiscale :
«Cette année, plus de cent pays ont déjà signé un accord de principe sur l'introduction d'une imposition minimale des sociétés. Une initiative similaire visant à s'attaquer aux sociétés écrans et à l'évasion fiscale des grandes fortunes n'est cependant pas la priorité de l'agenda politique. Mais seule une action internationale largement partagée peut apporter des résultats. Elle sera utile non seulement dans la lutte contre la fraude fiscale, mais également dans celle contre le crime organisé, le trafic de stupéfiants et la corruption aggravée.»