Migrants/Bélarus : peut-on négocier avec des dictateurs ?
La situation dramatique à la frontière entre le Bélarus et la Pologne semble se détendre quelque peu. Le Bélarus a pris en charge dans des hangars une partie des migrants menacés par la faim et le froid. Il est difficile de dire si les appels téléphoniques entre la chancelière Angela Merkel et Alexandre Loukachenkod'une part, et le président français Emmanuel Macron et son homologue russe Vladimir Poutine d'autre part, ont influé sur la situation. La presse a des avis divergents sur ces interventions.
Une grave erreur
Polityka est sceptique face à l'initiative de Merkel :
« En Pologne, et tout particulièrement dans le camp du gouvernement, l'initiative de la chancelière a été ressentie moins comme une trahison que comme une grave erreur. Première dirigeante occidentale à entrer en contact si étroit avec Loukachenko, Merkel a laissé entrevoir que l'Europe commençait à céder au chantage de Loukachenko. On est à deux doigts de le considérer comme un partenaire et de reconnaître le dictateur. De plus, on a l'impression d'assister à un concert des grandes puissances, car une crise aux frontières de la Lituanie, de la Lettonie et de la Pologne est négociée entre les gouvernements allemand, américain et russe, notamment, sans que les pays concernés ne soient associés.»
Il serait irresponsable de ne pas tout tenter
Die Welt ne comprend pas pourquoi Merkel se voit reprocher par certains d'avoir légitimé Loukachenko avec son appel téléphonique :
«L'accusation est peut-être valable aux yeux des parangons de la morale, mais en laissant ces considérations déterminer la politique étrangère, la bienpensance risque de triompher du bon sens. Il faut reconnaître Loukachenko de facto (pas de jure), dans la mesure où celui-ci est sur le point de torpiller les frontières extérieures de l'UE, voire de déclencher une guerre. Si l'on ne tente pas de désamorcer une crise de cette ampleur en recourant à tous les moyens disponibles - sans pour autant céder -, alors on reste peut-être fidèle à ses convictions, mais l'on agit de manière profondément irresponsable.»
Une fois de plus, Berlin et Paris recollent les morceaux
Merkel et Macron sont les artisans de la politique extérieure de l'UE, analyse Der Standard :
«Priorité est donnée à l'aide humanitaire. ... Si ce principe a pu s'imposer, on le doit à la chancelière allemande Angela Merkel et au président français Emmanuel Macron. Elle a influé sur Loukachenko en l'appelant, bien que l'UE accuse le dirigeant bélarusse d'avoir falsifié les élections de 2020 et ne le reconnaisse pas comme président. Lui a parlé avec le président russe Vladimir Poutine, suite à quoi Poutine a donné un ordre à Loukachenko. Voilà comment fonctionne la realpolitik européenne en matière de politique extérieure et de sécurité. ... C'est toujours à Berlin et à Paris de rectifier le tir. ... Loukachenko n'a pas été reconnu ou revalorisé, comme on a pu l'entendre dire. Il a plié, Poutine l'ayant obligé à le faire.»
Une initiative neutre mais inutile
Selon Lietuvos rytas, Merkel a perdu son temps :
«Bien entendu, Loukachenko a mis l'épisode au profit de sa propagande, à l'attention des Bélarusses. ... Ce faisant, l'Allemagne a-t-elle reconnu la légitimité du régime ? En aucune manière. Mais dans le fonds, l'entretien avec lui ne change rien. Ce dialogue a peut-être été pour Merkel une main tendue, l'occasion de sauver la face. ... En tout état de cause, on distingue mal l'utilité pratique de cet entretien. Au contraire, peu après, un groupe important de migrants a pris d'assaut la frontière avec la Pologne et un policier a été blessé. Le dictateur bélarusse renforcera probablement sa pression sur l'UE pour qu'on négocie avec lui et qu'on annule les sanctions.»