L'UE considère le gaz et le nucléaire comme des énergies vertes
La Commission européenne a présenté sa 'taxonomie' - son nouveau classement des investissements durables. Comme on pouvait s'y attendre, le gaz et le nucléaire y sont considérés comme des énergies vertes, sous conditions. L'Autriche et le Luxembourg ont annoncé qu'ils feraient appel de la décision, rejetée également par d'autres Etats de l'UE. Une majorité au Parlement européen ou un veto appuyé par au moins 20 Etats membres pourrait encore renverser la décision. La presse est divisée.
Une supercherie digne du Moyen-Age
La Commission européenne fait preuve d'un manque de courage et de franchise, estime Kleine Zeitung :
«Le solaire, l'éolien et l'hydraulique restent encore insuffisants pour remplacer le nucléaire. Trop lâche pour dire les choses telles qu'elles sont, Bruxelles n'y va pas par quatre chemins et déclare tout bonnement le nucléaire énergie verte. Une supercherie révoltante. ... Il y a longtemps que la lutte contre le réchauffement climatique qui s'impose prend la forme d'un succédané de religion, marqué par une pensée apocalyptique. ... De peur d'être soupçonné d'hérésie et désireuse de maintenir le niveau de vie des Européens, la politique de la Commission rappelle celle des moines du Moyen-Age. Pour adoucir le jeune du Carême, ceux-ci avaient décidé que les castors, les canards et les loutres étaient des poissons, et que leur consommation était donc autorisée.»
De nouvelles perspectives pour le secteur énergétique russe
Novaïa Gazeta se demande dans quelle mesure la Russie pourrait profiter de la mesure de l'UE :
«Il est certain que l'UE ne vas pas investir dans des entreprises russes et dans leurs projets. Au demeurant, Gazprom, Novatek et Rosneft peuvent maintenant prévoir des investissements axés sur une demande européenne stable et durable, indépendamment de la transition énergétique, qui entre dans sa phase active. ... Des opportunités se profilent aussi dans le secteur nucléaire : Rosatom aura certes du mal à décrocher de nouveaux contrats pour la construction de centrales. ... Ceci dit, c'est encore de l'ordre du possible dans des pays comme la Hongrie ou la Bulgarie. Par ailleurs, Rosatom peut proposer ses services extrêmement recherchés dans le retraitement des barres de combustible des centrales nucléaires européennes, mais aussi dans la livraison de nouveaux combustibles.»
Investir dans des technologies d'avenir
L'inclusion de l'atome et du gaz dans la taxonomie européenne envoie un mauvais signal, critique Deutschlandfunk :
«Elle met en effet sur le même plan les investissements dans un avenir durable et ceux dans des technologies dépassées. ... Dans les années à venir, l'Europe a besoin d'investir des milliards dans l'éolien et le solaire, dans les solutions de transport de l'électricité et de stockage de l'énergie. C'est là que doit aller l'argent, pas dans des technologies de transition, dont nous disposons suffisamment. Une taxonomie qui permette de discerner facilement ces projets pour garantir leur financement et qui distingue clairement les projets durables des projets non durables pourrait aider à mobiliser ces investissements. La décision prise aujourd'hui, bien que prévisible, est une opportunité manquée pour l'Union européenne.»
Maintenir l'Allemagne en échec
C'est le moment idoine pour les pro-nucléaires de monter au créneau, se réjouit Rzeczpospolita :
«Il est peu probable que le nucléaire figure dans une taxonomie élargie à venir. En effet, si elle est aussi controversée, ce n'est pas en raison de son niveau d'émissions - quasiment nul -, mais des risques environnementaux liés aux déchets nucléaires. Car les critères déterminants pour la taxonomie ne sont pas les seules émissions de CO2. Ne pas compromettre les autres objectifs climatiques entre également en ligne de compte. Le moment ne saurait être plus propice pour octroyer le label de durabilité à l'énergie nucléaire. Car l'adoubement du gaz naturel permet de maintenir en échec le plus fort détracteur du nucléaire, qui est l'Allemagne.»
Une source de tensions pour le tandem franco-allemand
Ce débat ravive les différends entre l'Allemagne et la France, commente Les Echos :
«C'est désormais une certitude : la question énergétique va non seulement être centrale dans les années à venir pour l'Europe, mais elle va durablement empoisonner les relations franco-allemandes. On savait que la transition vers des énergies moins carbonées allait être chère et compliquée - surtout quand tout un continent dépend à plus de 40 pour cent des livraisons de gaz russe. On se doutait moins que le fameux couple franco-allemand allait se déchirer sur le sujet, et que cela risque de durer. La divergence des voies choisies pour la transition énergétique entre Paris et Berlin n'en finit pas de provoquer des tensions.»
Renouvelables : le rôle pionnier de l'UE en péril
La Repubblica pointe le pouvoir de nuisance pour toute l'UE de la taxonomie :
«La Commission risque aujourd'hui de se trouver au bord de la crise de nerfs. ... Au moins six commissaires, autrement dit six Etats membres, ne sont pas d'accord avec la taxonomie. Leur raisonnement est limpide : elle met en péril les objectifs du Green Deal. L'UE est en train de perdre l'avantage qu'elle avait acquis grâce aux investissements verts. L'énergie nucléaire est une vision dépassée. ... L'équipe menée par la commissaire portugaise [chargée de la cohésion et des réformes Elisa] Ferreira indique également que l'UE menace de perdre son leadership dans ce domaine et de miner sa crédibilité, et ce pour plaire à un seul protagoniste. Et ce protagoniste, tout le monde le sait, s'appelle la France.»