Ukraine : la paix, mais à quel prix ?
Alors que l'armée russe pilonne la partie Est de l'Ukraine, l'Europe s'interroge sur les moyens de mettre fin à la guerre. Le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz ont parlé samedi au président Poutine pour l'amener à cesser les combats. Auparavant, des propositions de l'ancien ministre des Affaires étrangères Henry Kissinger avaient fait couler beaucoup d'encre. La presse est divisée.
Poutine ne comprend que le langage des armes
Eesti Päevaleht est scandalisé que Scholz et Macron se soient entretenus au téléphone avec Poutine :
«Actuellement, le seul langage dans lequel Poutine mérite qu'on lui parle est celui des armes. Disons les choses comme elles sont : les pays qui ont formé le noyau dur de l'UE jusqu'à présent se sont montrés lamentables, et ils font honte aux valeurs européennes. Il est moralement répréhensible de chercher des compromis avec ce criminel de guerre. Mais même sur le terrain de la realpolitik, on a du mal à cerner comment l'indulgence envers Poutine pourrait avoir un résultat autre que l'instabilité et une terreur endémique. Pour le problème Poutine, la meilleure solution consiste à fournir des armes à l'Ukraine, d'un côté, et à élargir considérablement les sanctions économiques contre la Russie, de l'autre.»
Ne pas chercher à apaiser la Russie
Céder la Crimée et le Donbass à la Russie reviendrait à répéter les erreurs de l'histoire, met en garde Sega :
«Ce que l'Ukraine redoute le plus, c'est que de grands pays comme la France, l'Allemagne et l'Italie en arrivent à appliquer la tactique du traité de Munich de 1938, qui avait donné une partie de la Tchécoslovaquie à l'Allemagne nazie. Cette philosophie politique reposait sur une logique : calmer l'appétit de l'agresseur en lui lançant un os, en l'occurrence un bout de terre. ... La diplomatie est l'art de jongler avec les possibles, mais quand elle crée une paix artificielle, elle ne fait que préparer le terrain à la guerre.»
Un choix ukrainien
Politiken souligne que seule Kiev peut décider de négocier avec la Russie :
«Le seuil de tolérance de l'Ukraine, aussi bien en ce qui concerne les pertes que les concessions à faire pour obtenir la paix, dépend exclusivement de la volonté du pays. La tâche de l'Occident est simple : serrer les rangs et signaler clairement qu'il aidera l'Ukraine à se défendre tant que Kiev le jugera nécessaire.»
L'Allemagne n'est pas la seule à hésiter
Hospodářské noviny appelle le camp ukrainien à tempérer ses attentes :
«Henry Kissinger a dit tout haut ce que la majorité des politiques occidentaux évoquent tout bas. L'Allemagne n'est pas la seule à hésiter à livrer des armes lourdes ; d'autres grands Etats appellent également le président Zelensky à être plus réaliste. ... Si l'Ukraine sollicite le statut de candidat à part entière lors du sommet européen, cela permettra de jauger la volonté de l'Occident de tisser des relations sérieuses avec l'Ukraine à l'avenir. Le second test, ce sont les livraisons d'armes et d'argent, qui se sont visiblement ralenties ces dernières semaines, l'Ouest redoutant que l'Ukraine ne se fixe des objectifs de guerre trop ambitieux.»
Le danger d'une guerre atomique subsiste
L'Occident doit se contenter de ce qu'il a obtenu jusque-là, estime Gyula Hegyi, journaliste et membre du Parti socialiste hongrois (MSZP), sur le portail Index :
«L'Occident a déjà une victoire à célébrer : le prestige militaire de Moscou a du plomb dans l'aile. La puissance de l'armée russe ne paraît plus aussi redoutable qu'on le pensait. ... La véritable force de cette armée, néanmoins, ce sont ses armes nucléaires. Plus la Russie sera exposée à la perspective d'une défaite, plus le risque qu'elle recoure à ces armes sera élevé. Pour cette simple raison, il vaut la peine de conclure une paix avec le Kremlin le plus tôt possible. Une Russie affaiblie, mais pas totalement battue, serait pour l'Occident le scénario sécuritaire le moins menaçant.»
Une paix négociée vaut mieux qu'une guerre d'usure
Dans une tribune à Der Standard, Yanis Varoufakis, député et ex-ministre grec des Finances, se dit favorable à des pourparlers de paix rapides avec Moscou :
«Pour les deux camps, les gains doivent être nettement supérieurs aux pertes, sans pour autant qu'ils n'impliquent de perdre la face. ... Poutine se prêterait-il au jeu ? Peut-être que oui, à condition que le contrat lui garantisse trois choses : il voudra la levée de la majeure partie des sanctions ; il voudra que l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 ne soit pas abordée ; et il voudra des garanties de sécurité que seuls les Etats-Unis sont en mesure de lui apporter, notamment la promesse que la Russie ait sa place dans la négociation des nouveaux accords de sécurité pour l'Europe.»
Une issue acceptable
Correio da Manhã appelle à mettre fin à la guerre, même si l'Ukraine doit pour cela abandonner des territoires à la Russie :
«La guerre fait le lit des marchands d'armes, des spéculateurs et des dictatures, qui profitent de la hausse des prix du pétrole et du gaz. Mais pour la plupart des habitants de la planète, le prix à payer est trop élevé : inflation galopante, coûts de l'énergie et de la vie, faim dans le monde. Si l'Ukraine doit céder la Crimée et le Donbass à la Russie mais obtient des garanties sur l'indépendance et l'intégrité du reste de son territoire, alors ce serait une issue acceptable.»
Une zone d'occupation serait un boulet
The Insider explique pourquoi, selon lui, une occupation durable des territoires conquis ne serait pas à l'avantage de la Russie :
«Les territoires occupés sont entièrement détruits et ils ont perdu une grande part de leur population. Ils sont devenus des déserts économiques, et leur entretien et leur contrôle nécessitera énormément de forces et de ressources - en raison des pertes permanentes liées aux tirs d'artillerie et actes de sabotage des partisans. Même le 'corridor terrestre' reliant la Russie à la Crimée [via le Donbass] ne présente aucun avantage économique. Le seul intérêt, pour la Russie, à occuper ces zones ravagées serait leur rôle de 'zone tampon' protégeant la Crimée et le pont de Crimée [dans le détroit de Kertch, inauguré en 2018], ainsi que la possibilité de faire peser une menace permanente sur les ports ukrainiens. Il s'agirait, en fin de compte, d'une protection extrêmement coûteuse des conquêtes faites par Moscou en 2014.»
Préserver l'Ukraine du cynisme de la realpolitik
Arie Elshout, chroniqueur à De Volkskrant, n'entrevoit aucune issue - militaire ou diplomatique - à la guerre en Ukraine :
«Le président français Emmanuel Macron veut jouer la carte de la diplomatie, arguant qu'il ne faut pas humilier Poutine. C'est du cynisme. Une seule partie dans ce conflit mérite la compassion, et ce n'est pas celle qui attaque, mais celle qui est attaquée. ... Macron fait valoir que pour que Poutine ne perde pas la face, il faudrait le laisser gagner quelque chose, et ce n'est possible qu'aux dépens de l'Ukraine. ... Les Ukrainiens doivent veiller à ne pas se laisser avoir par les tenants de la soi-disant realpolitik et des think-tanks, toujours prompts à brader la démocratie, la souveraineté et l'intégrité territoriale des autres.»
L'UE doit tracer des lignes rouges
L'offensive menée dans la region de Louhansk montre que Poutine n'a que faire des appels de Scholz et Macron, estime L'Opinion :
«[T]ant qu'il [Poutine] n'a pas plus à perdre à poursuivre la guerre qu'à la cesser, il ne reculera pas. C'est un paradigme que devront prendre en considération les dirigeants européens qui se réunissent ces lundi et mardi pour trouver des réponses aux faiblesses de l'UE en matière de sécurité alimentaire, de dépendance énergétique et de capacités de défense de l'UE – failles exposées par la guerre en Ukraine. Il est temps de donner à l'Europe des moyens de restaurer un rapport de force. Cela passera par une autonomie stratégique et plus de souveraineté, mais aussi par la définition de lignes rouges.»