Ukraine : les engagements de l'UE sont-ils suffisants ?
Lors de leur visite à Kyiv, le président français Emmanuel Macron, le chancelier allemand Olaf Scholz, le Premier ministre italien Mario Draghi et le président roumain Klaus Iohannis ont témoigné à l'Ukraine leur pleine solidarité. Ils se sont engagés à la soutenir aussi longtemps que ce sera nécessaire. Le président Zelensky a évoqué une journée historique pour son pays. Les éditorialistes restent toutefois sur leur faim.
Les errements de Scholz
En visite à Kyiv, Olaf Scholz n'aura pas réussi à décrisper les relations entre l'Allemagne et l'Ukraine, analyse De Volkskrant :
«Revirement, hésitation, changement de direction, nouveau revirement. ... Reste à savoir si avec ses promesses et ses garanties, Scholz peut encore attendrir les Ukrainiens. Le chancelier a promis jeudi à Kyiv un soutien financier et humanitaire de longue haleine 'mais également des armes, tant que le combat de l'Ukraine pour son indépendance le nécessitera'. Mais si ses promesses ne se concrétisent pas rapidement, il y a un risque important qu'un tweet de l'ambassadeur d'Ukraine à Berlin ne remette rapidement au congélateur des relations qui avaient tout juste commencé de dégeler.»
L'héroïsme ne suffira pas
Il importe désormais de passer à l'acte, fait valoir Spotmedia :
«Si la visite des chefs d'Etat et de gouvernement européens à Kyiv devait se traduire par un changement dans la politique de livraisons d'armes, on peut espérer que le front d'Ukraine orientale évoluera à notre avantage. L'issue de la guerre ne dépend pas uniquement de l'héroïsme des soldats qui défendent Sievierodonetsk, mais aussi et surtout des armes que l'Europe est susceptible de livrer à l'Ukraine, afin qu'elle puisse humilier les envahisseurs.»
Quid des négociations ?
La question des négociations de paix n'a hélas pas été évoquée, déplore La Repubblica :
«Les Ukrainiens s'y étaient opposés avant même la visite des trois [sic] Européens à Kiev, par crainte d'être contraints de négocier des conditions qui leur seraient défavorables : une sorte de copier-coller de Minsk. ... Et pourtant, Zelensky a dit récemment qu'un retour à la situation territoriale d'avant le 24 février constituerait une victoire importante pour l'Ukraine, bien que non définitive. Un tel scénario tournerait à l'avantage de la Russie, car si elle contrôlait un tiers du Donbas avant la guerre, elle aurait maintenant le contrôle de la quasi-totalité de cette région.»
Renforcer la position stratégique de Kyiv
L'unique politique envisageable envers l'Ukraine est un soutien armé optimal et l'octroi du statut de candidat à l'UE, estime Wiener Zeitung :
«La militarisation de l'Ukraine augmente la dissuasion. ... Et la perspective d'adhésion à l'UE qui vient d'être ouvertement prononcée lors de la visite à Kyiv des quatre dirigeants européens est une promesse que l'UE doit au gouvernement ukrainien depuis le mouvement Euromaïdan en 2014. Les guerres se terminent généralement par une capitulation, un armistice ou un traité de paix. La priorité actuelle est le renforcement de la position stratégique de l'Ukraine, via deux piliers : les livraisons d'armes et la perspective d'adhésion.»
En bas de la pyramide
Polityka se demande pourquoi aucun représentant polonais n'a été invité à faire le déplacement :
«Peut-être Macron et Scholz se vengent-ils des tentatives du PiS de les compromettre en les présentant comme trop mous envers le boucher de Boutcha ? Quoi qu'il en soit, une fois de plus, on a vu la place qui revenait à la Pologne dans la hiérarchie de basse-cour de l'UE, ou pour dire les choses plus simplement : on a constaté que même si la Pologne est félicitée pour sa réaction à la guerre en Ukraine, Kaczyński n'est pas un partenaire crédible pour les puissants. En effet, Kaczyński a toléré que Morawiecki attaque Macron et il s'est lui-même remis à attaquer l'Allemagne. Au lieu d'envoyer Duda, c'est le président roumain, qui jouit d'une bonne réputation à Washington, qui a été choisi par les organisateurs de la visite pour représenter la 'nouvelle UE'.»
Seuls Biden et Poutine peuvent faire quelque chose
Dans La Stampa, le spécialiste géopolitique Lucio Caracciolo y voit une tentative louable mais vouée à l'échec :
«La fin de cette phase de la guerre ne sera pas décidée par les Européens, dans un camp ou dans l'autre. Mais uniquement par un dialogue direct entre les Etats-Unis et la Russie. ... Pour le moment, on peut seulement déceler une certaine lassitude vis à vis de la guerre côté américain, et une volonté tout aussi évidente de la Russie de poursuivre l'invasion bien au-delà du Donbas. ... Une chose est sûre : ce conflit est si grave qu'il peut dégénérer à tout moment et devenir incontrôlable. Il est douloureux de se dire que nous ne pouvons pas y faire grand-chose. Mais il est encore plus douloureux de croire que nous avons la main.»
Un accord germano-russe tacite ?
Viktor Andrioussiv, du think-tank Ukrainian Institute for the Future, croit qu'il existe une entente entre Scholz et Poutine, comme il l'écrit sur gordonua.com :
«Etant donné que les troupes russes peuvent se permettre d'attendre et qu'actuellement, nous obtenons vraiment peu de nos 'alliés', je suis enclin à croire qu'il existe une entente informelle entre Scholz et Poutine. Un accord qui consisterait en substance en une promesse de Poutine faite à Scholz de s'arrêter à la frontière délimitant les régions de Louhansk et Donetsk [du reste de l'Ukraine]. Rien n'aide autant les Russes dans leur 'opération' qu'un report des livraisons d'armes, car c'est le manque d'armes de notre côté qui leur permet d'avancer.»
Le pathos et la réalité
Dans une allocution vidéo devant les deux chambres du Parlement tchèque mercredi, Zelensky a remercié le pays pour son aide à l'Ukraine. Lidové noviny commente :
«Il est généralement judicieux de gratter le vernis pour voir ce qu'il y a sous la couche de pathos. L'enjeu réel sur le champ de bataille, ce sont les valeurs européennes bien sûr. Mais il est surtout question de choses comme la souveraineté, l'inviolabilité des frontières et la défense de l'Etat. ... Même le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, verse dans le pathos quand il affirme que la guerre doit s'achever le plus vite possible sur une victoire de l'Ukraine. Si la guerre doit se terminer rapidement, ce sera sur un compromis. Si l'Ukraine veut être victorieuse, cela prendra du temps. Ayons la franchise de l'admettre.»
L'Europe ne doit pas s'habituer à la guerre
La crise énergétique et l'inflation ne sauraient se traduire par une banalisation de la guerre en Ukraine, insiste NRC Handelsblad :
«Ce sont certes des problèmes de taille, mais une vision trop étriquée [de ces défis] contribue à saper l'unanimité. Peut-être est-ce là précisément ce que Poutine recherche. ... Au bout de presque quatre mois de guerre, on en arrive à une impasse militaire, avec deux armées épuisées et décimées des deux côtés d'un long front, mais cela ne diminue en rien l'abjection des cruautés commises quotidiennement en Ukraine. Même si le continent doit actuellement relever des défis exceptionnels, l'Europe ne doit pas s'habituer à cette guerre.»
Tout est possible
Pour Rzeczpospolita, les discussions peuvent évoluer dans deux sens différents :
«Le scénario peut prendre un tour positif : le président Emmanuel Macron, le chancelier Olaf Scholz et le Premier ministre Mario Draghi annoncent un soutien militaire massif à l'Ukraine et disent aux Ukrainiens qu'ils n'attendent rien aussi impatiemment que d'accorder à leur pays une véritable adhésion, et non une quelconque adhésion de pacotille. Mais il y a aussi un scénario négatif : qu'ils fassent comprendre au président Zelensky qu'il peut faire une croix sur la reconquête de Marioupol et qu'il devrait se faire à l'idée que la paix que l'on attend tous doit être un compromis, pour que Poutine ne perde pas la face.»
Dire les choses clairement
Frankfurter Rundschau appelle le chancelier à monter au créneau :
«[Scholz] devra apporter la promesse de la livraison de nouvelles armes lourdes et prendre clairement position en faveur de l'Ukraine. Dans le même temps, il serait judicieux de faire comprendre à Zelensky que la reconquête de la Crimée, objectif de guerre qu'il a annoncé juste avant la rencontre, n'est pas réaliste en l'état actuel des choses et fait obstacle à de possibles négociations de paix. ... Scholz, Macron et Draghi doivent clairement dire à Zelensky ce qui est faisable et ce qui ne l'est pas. Cela concerne aussi bien l'adhésion à l'UE que la question de nouvelles livraisons d'armes et celle du soutien financier.»
Peut-être un tournant
Pour Radio Kommersant FM, cette visite peut être décisive :
«Le bruit court que les hauts représentants occidentaux viendraient à Kyiv pour amener Zelensky à envisager la paix, ou du moins à reprendre les négociations. C'est probablement pour cette raison que le déplacement risque encore d'être annulé. Côté ukrainien, on laisse entendre que l'on n'est pas disposé à faire des concessions, mais que l'on réfléchit tout de même à un compromis. ... En tout état de cause, c'est un moment clé, et on ne sait pas dans quel sens le pendule oscillera. Pour l'heure, les armes occidentales n'arrivent pas en masse en Ukraine, les gazoducs ne sont pas tous bloqués et les sanctions n'ont pas toutes été prononcées.»
Macron rectifie le tir
Dans sa chronique géopolitique sur France Inter, Pierre Haski gage que Macron profitera de sa tournée en Roumanie, Moldavie et Ukraine pour clarifier sa position après ses déclarations polémiques sur la Russie:
«En Roumanie, membre de l'OTAN et de l'UE, mais aussi en Moldavie, le président devrait rassurer sur l'engagement de Paris. ... Il y va de la place et de l'influence de la France dans l'Europe de l'après-guerre d'Ukraine ; car l'Elysée est convaincu que ce qui se joue dans ce conflit dépasse le cadre de la seule Ukraine et même de l'Europe. Les doutes ont été d'autant plus forts que le Président ne s'est pas encore rendu à Kiev depuis le début de la guerre, contrairement à d'autres Européens. Ce voyage, seul ou en compagnie des dirigeants allemand et italien, devient nécessaire pour ressouder les rangs européens.»