Quel bilan tirer de la conférence de Munich sur la sécurité ?
Lors de la conférence sur la sécurité de Munich, qui s'est achevée dimanche, les caciques de la politique ont réaffirmé leur volonté de continuer à soutenir l'Ukraine dans son combat contre l'offensive russe. Malgré la détermination commune affichée par l'Occident, les commentateurs européens constatent un durcissement des fronts et bon nombre d'incertitudes.
Unis dans l'incertitude
L'invasion russe a occupé toutes les discussions, laissant peu de place à d'autres sujets, regrette le Corriere della Sera :
«Certes, Munich a donné l'occasion au ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi de discuter avec le secrétaire d'Etat américain Tony Blinken. Mais leur rencontre a plutôt constitué l'exception qui confirme la nouvelle règle : le monde est de plus en plus divisé et il est nécessaire que les Occidentaux se parlent davantage. ... Du reste, la rencontre ne nous a pas véritablement permis de savoir à quoi allait ressembler l'année à venir. Notamment combien de temps dureraient encore la guerre et l'unité occidentale. Ou si nous serons en mesure de soutenir l'effort de guerre de l'Ukraine en temps et en heure pour empêcher qu'elle ne se rende. Ou encore si la Russie aura toujours une place dans l'espace européen, et si oui, laquelle. »
Une conférence axée sur l'essentiel
Voilà enfin une conférence sur la sécurité axée sur la la mission qui lui revient, se réjouit Polityka :
«Dans ce nouveau rôle qui est le sien, et auquel il met du temps à s'habituer, l'Occident a réussi à écarter les thèmes à la mode et les enjeux habituellement à l'ordre du jour lors de ces conférences de Munich, d'ordinaire si peu réjouissantes. Les problèmes environnementaux, le rôle des médias, les GAFAM et l'intelligence artificielle y ont à peine été abordés. Il a également été peu débattu des pays non impliqués dans la confrontation actuelle entre l'Occident et la Russie : aucun mot sur l'Inde, le Brésil, l'Afrique ou sur les problèmes rencontrés par les pays du Sud global. L'Occident a axé les discussions autour de lui-même, de ses Etats et de ses institutions - UE incluse - dans un effort pour 'se muscler'.»
Kubrakow ne rend pas service à son pays
Le vice-premier ministre ukrainien, Oleksandre Koubrakov a commis un impair en évoquant une possible utilisation de bombes incendiaires au phosphore et de munitions à fragmentation, estime le Spiegel :
«L'utilisation, le transport, la production et le stockage de bombes à fragmentation sont interdits depuis la Convention d'Oslo. L'Allemagne et la plupart des autres Etats européens font partie des quelques 110 pays signataires. La Russie, l'Ukraine, les Etats-Unis et les pays des Balkans occidentaux n'ont quant à eux pas encore ratifié la convention. Koubrakov sait ainsi que son pays peut avoir recours à ces armes, mais que cette démarche serait extrêmement controversée, et qu'en agissant ainsi, il ne pourrait jamais rallier les partenaires occidentaux à sa cause. ... Dans ses déclarations, Koubrakov a témoigné d'un désespoir sincère. Mais il a également fait du mal à l'Ukraine.»
Chine et Russie risquent de s'allier
Strana constate un fossé qui se creuse avec la Chine dans le conflit ukrainien :
«La conférence de Munich a clairement montré la présence de sérieuses divergences entre l'Occident et la Chine sur cette question. La Chine a notamment fait savoir que les pays occidentaux avaient fait échouer les pourparlers de paix par le passé. Il est donc possible qu'elle présente rapidement un projet de paix alternatif. Et il est fort probable que ce plan sera préalablement défini de concert avec la Russie. Dans le même temps, il est également possible que la Chine fasse office de représentant de la Russie lors des négociations avec l'Occident.»
Berlin doit traduire ses paroles en actes
La politique de sécurité allemande manque de résolution, déplore le Financial Times :
«Le budget de la défense est largement en dessous des deux pour cent recommandés par l'OTAN depuis la fin de la Guerre froide. Les différends entre la chancellerie et les ministères ont retardé l'annonce formelle d'une nouvelle stratégie de sécurité nationale. ... Disposer d'une politique de défense et de sécurité allemande dynamique et financée de manière adéquate est nécessaire, et pas uniquement pour faire face à l'agression russe. Ce serait une façon de montrer à Washington que les membres européens de l'OTAN ne sont pas de simples profiteurs de la garantie de sécurité américaine pour le continent.»
Le monde se divise
On est loin d'un isolement mondial de la Russie, constate le politologue Linas Kojala sur le portail Delfi :
«Les données indiquent que le jugement porté sur la Russie par les pays développés (soit plus de six milliards de personnes) ne s'est pas détérioré, même dans un contexte d'agressions brutales. Au contraire, les gens sont désormais plus nombreux à avoir une image positive du Kremlin. Ainsi, en Asie du Sud-Est par exemple, six personnes sur dix adhèrent à cet avis. Le monde se divise de plus en plus entre le monde démocratique, qui considère les enjeux géopolitiques sous un angle particulier, et les autres, qui ont une opinion inverse. ... Cela ne facilite pas les efforts de l'Occident pour isoler la Russie et imposer pleinement les sanctions économiques. »
Une liste d'invités fort révélatrice
La politique d'invitation à la conférence reflète la nouvelle confrontation entre les blocs, croit savoir Handelsblatt :
«Les représentants du gouvernement russe n'ont pas été invités, un choix délibéré. Oppresseur des aspirations de liberté de son peuple, le régime des mollahs n'aura pas non plus voix au chapitre, ont décidé les organisateurs de la conférence. Le gouvernement chinois sera en revanche représenté par ses cadors, pour promouvoir son modèle d'économie de marché communiste. Au 'Sud global' de décider de quel côté du nouvel ordre mondial se ranger.»
Un ordre mondial contesté
Dans son éditorial, La Vanguardia en appelle à se mettre davantage à l'écoute des pays non occidentaux :
«La Conférence de Munich sur la sécurité a toujours été un forum particulièrement intéressant pour expliquer les dynamiques à l’œuvre en matière de politique et de défense dans le monde. Mais avec l'agression injustifiée de la Russie en Ukraine, son rôle revêt un poids plus important encore dans l'analyse des bouleversements européens et internationaux. ... Il faut trouver un compromis pour favoriser un point de vue moins européen et moins occidental. Et tenir compte des revendications des pays dans d'autres parties du monde. Car on observe aujourd'hui un vaste mécontentement à l'encontre d'un ordre international qui n'est pas à la hauteur de leurs exigences.»
Stoppez cette guerre !
Delo publie un appel signé notamment par l'ex-président Milan Kučan, des politiques et des enseignants :
«Le discours perdants/gagnants est en contradiction avec la paix. Aucune partie ne peut gagner cette guerre. La paix ne pourra être obtenue qu'à la table des négociations. ... Nous appelons donc les citoyens, les pays de l'UE, l'OTAN, les Etats-Unis et la Russie à former une alliance pour mettre fin aux combats, cesser la course à l'armement et engager des négociations. Il leur incombe de créer un monde tourné vers l'avenir, la paix, la sécurité et la lutte contre le changement climatique ! D'assurer la vie de nos enfants et de leurs descendants dans un monde où la peur n'a pas droit de cité, et qui garantit l'existence de l'humanité.»
Un conflit insoluble pour l'heure
E-vestnik compare la guerre en Ukraine au conflit israélo-palestinien :
«Nétanyahou avait un jour déclaré au sujet du conflit israélo-palestinien : 'Si les Palestiniens déposent les armes, la paix adviendra en Israël. Si au contraire c'est Israël qui fait taire ses armes, c'en sera fini d'Israël'. Il en va de même dans ce conflit. Si la Russie dépose les armes, ce sera la paix, tandis que si l'Ukraine les dépose, il n'y aura plus d'Ukraine. Poutine et la société russe agressive ont plongé le monde dans le plus grave conflit de l'histoire. ... Il ne reste qu'à espérer que cette guerre ne tourne pas au conflit nucléaire. Elle n'est toutefois pas près de se terminer - la situation est insoluble dans un avenir proche.»