Erdoğan et Scholz, contraints de coopérer ?
Le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, a été reçu vendredi à Berlin par le président Frank-Walter Steinmeier et le chancelier Olaf Scholz. Les deux dirigeants ont défendu des vues opposées sur la guerre au Proche-Orient. Si Erdoğan a critiqué l'action de Tsahal et a appelé à un cessez-le-feu, Scholz a souligné le droit de l'Etat hébreu à exister et à se défendre. La presse évoque les enjeux entre les deux Etats.
Des besoins mutuels
Le climat de cette visite était nettement plus détendu que lors de la précédente il y a cinq ans, commente Gazeta Wyborcza :
«A l'époque, les tensions politiques étaient palpables avant même l'arrivée d'Erdoğan à Berlin, où de nombreux politiques allemands avaient même boycotté le dîner de bienvenue. Cette fois-ci, la visite d'Erdoğan s'est déroulée dans un climat plus apaisé, principalement en raison d'enjeux concrets. L'Allemagne a intérêt à ce que la Turquie prolonge l'accord migratoire qu'elle a conclu avec l'UE. En contrepartie, la partie turque a exprimé à Berlin le souhait d'un assouplissement du régime des visas pour ses ressortissants. Erdoğan a en outre demandé à Berlin d'avaliser la vente de 40 avions de combat Eurofighter à Ankara.»
L'économie pèse plus que les différends politiques
Evrensel voit des raisons tangibles des deux côtés de ne pas laisser les turbulences politiques s'envenimer :
«Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays s'élève à près de 50 milliards d'euros. Les ministres de l'Economie, qui se sont rencontrés le mois dernier, ont exprimé leur volonté d'augmenter ce volume et de signer de nouveaux accords. Tandis que le capital allemand a besoin de la Turquie pour y réaliser des investissements économiques, gérer les réfugiés et développer des stratégies pour le Proche-Orient, le capital turc a besoin de l'Allemagne pour obtenir des fonds européens et progresser dans les négociations avec l'UE. Aussi, les négociations seront-elles menées dans un climat de prudence, pour ne pas compromettre les intérêts économiques et politiques.»
Un échec total
Sur la question du conflit israélo-palestinien, le chancelier Scholz n'est pas parvenu à tenir tête à Erdoğan, déplore Neue Zürcher Zeitung :
«Cette réserve douloureuse, révélatrice d'une courtoisie embarrassée, peut se résumer en deux mots : l'OTAN et les réfugiés. La Turquie est un partenaire indispensable de l'alliance militaire occidentale. ... L'accord UE-Turquie de 2016 empêche qu'un nombre plus élevé encore de personnes ne rallient l'Allemagne, où l'immigration irrégulière est déjà considérée comme un problème politique majeur. Impossible, donc, de ne pas recevoir Erdoğan. Celui-ci s'est présenté sur le sol allemand en leader du monde musulman. Ainsi, la 'raison d'Etat allemande' a été victime ce soir-là du 'naufrage verbal' de Scholz.»
Ecouter la société civile turque
Der Tagesspiegel appelle l'Allemagne à revoir entièrement sa politique vis-à-vis de la Turquie :
«Le président turc dupe l'Allemagne, à dessein. Il offense le président allemand et 'l'autre', le chancelier. Après ses multiples sorties islamistes, personne ne peut sérieusement partir du principe qu'une adhésion à l'UE aurait transformé Erdoğan en démocrate. La connexion occidentale, assurée par l'adhésion à l'OTAN depuis de nombreuses années, n'a pas non plus permis de l'influencer ou de le faire changer. ... Et au lieu d'écouter la société civile turque, qui réclame un changement de cap, on préfère tolérer les énormités d'Erdoğan. En raison de l'importance de l'accord sur les réfugiés ? A terme, cette justification s'avère terriblement opportuniste.»