Israël/Hamas : controverse autour des mandats d'arrêt de la CPI
Les mandats d'arrêt internationaux demandés par le bureau du procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) à l'encontre du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, de son ministre de la Défense, Yoav Gallant, et de trois dirigeants du Hamas pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité ont suscité de vives réactions de par le monde. Israël, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne ont fait valoir que l'on ne pouvait établir d'équivalence entre les dirigeants d'une démocratie et des terroristes. Les commentaires des éditorialistes.
Enfin une ligne rouge
Ibtihal Jadib, chroniqueuse à De Volkskrant, prend la défense du procureur de la CPI, Karim Khan :
«Il est le premier à oser tracer une ligne rouge. Au lieu de le menacer ou de le mettre sous pression, nous devrions être soulagés qu'il se trouve encore quelqu'un pour tenter de faire valoir le droit international. Tous les beaux traités n'ont pas été rédigés pour faire joli. En présence de violations présumées, nous devons être prêts à reconnaître des crimes, quels qu'en soient les auteurs. Pour le dire avec les mots de Khan : 'Regardez les preuves, regardez les comportements, regardez les victimes et faites abstraction de la nationalité.'»
Il serait hypocrite de rejeter la requête
Politiken soutient lui aussi la décision du procureur :
«Il appartient à la Cour de dire si les conditions sont réunies pour que ces mandats d'arrêt puissent être émis. Mais la décision du procureur envoie le bon signal : à savoir que chacun doit assumer les responsabilités de son action. Et cela vaut aussi bien pour les pays occidentaux que pour nos alliés. ... Le droit international est universel, telle est la pensée fondamentale en creux, voilà pourquoi il est déterminant que l'Occident soutienne la requête de mandats d'arrêts du bureau du procureur de la CPI. En faisant tout autre choix, nous nous révélerions être des hypocrites de la pire espèce.»
Un amalgame funeste
Khan et son équipe auraient pu se montrer plus habiles, critique Svenska Dagbladet :
«Quand le procureur de la CPI déclare que 'nul n'est au-dessus des lois', il a bien évidemment raison. Mais quand il demande dans le même souffle l'arrestation des terroristes et de ceux qui se battent pour ramener chez eux les otages kidnappés, l'asymétrie est frappante. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas que la CPI examine si Israël a pu se rendre coupable d'éventuels crimes de guerre. ... Rappelons toutefois que le procureur de la CPI dispose d'une vaste marge de manœuvre s'agissant des cas qu'elle va juger et de la manière de les présenter. En s'y prenant comme il l'a fait, il pourrait avoir restreint la tâche cruciale d'élucider si l'on est en présence de crimes de guerre, ce qui compromettrait le rôle qui doit être celui de la CPI.»
N'oublions pas le 7 octobre
Spotmedia rappelle la part de responsabilité du Hamas dans la situation actuelle :
«L'offensive israélienne à Gaza a été entachée d'erreurs et le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, n'est pas un dirigeant hors de tout soupçons, loin s'en faut. Avec sa chevauchée contre la justice, il a affaibli le pays, le plaçant dans une position de vulnérabilité dont a profité le Hamas. Chacune des victimes civiles est une immense tragédie et les erreurs commises devront être sanctionnées sans exception. Mais ceci n'autorise pas à oublier le 7 octobre, à oublier l'acte terroriste qui a déclenché la riposte, à oublier qui prend les civils comme bouclier humain, à oublier que ce sont les victimes gazaouies et leurs familles qui ont porté au pouvoir ces terroristes.»
Khan souffle dans les voiles de 'Bibi'
La procédure engagée par Khan ne fait qu'aggraver la crise, selon Der Standard :
«Elle tombe à un moment où la pression - nationale et internationale - appelant Nétanyahou à mettre fin à la guerre, ou du moins à rechercher une solution politique, atteint un niveau tel que la survie de son gouvernement s'en trouve de plus en plus compromise. Or voici que le pays se solidarise avec le Premier ministre, à la grande joie de Nétanyahou. Sa tirade contre Khan, qu'il qualifie d''un des pires antisémites de l'époque contemporaine', exemple de l'instrumentalisation permanente que Nétanyahou fait des accusations d'antisémitisme, est démesurément exagérée. Il n'empêche : cette affaire fait le jeu de Nétanyahou et des autres faucons, affaiblit ses détracteurs et pourrait prolonger la guerre au lieu de l'abréger.»
La CPI s'émancipe des Etats-Unis
Jutarnji list juge remarquable que la procédure ait été engagée malgré la désapprobation de Washington :
«Bien que les Etats-Unis n'aient pas officiellement ratifié la CPI dans certains cas (comprendre : quand cela les arrange), ils soutiennent son travail avec passion. Ils en ont récemment fourni la preuve lors de l'enquête sur les crimes de guerre de Poutine en Ukraine, qu'ils ont financée sans conditions. ... Jusqu'à ce jour, la CPI a été très dépendante du soutien de la superpuissance, celle-ci ayant sponsorisé et surveillé son travail. ... Que la CPI agisse sans la bénédiction des Etats-Unis illustre le degré d'autonomie qu'elle a atteint ces dernières années. Dans l'esprit du Statut de Rome, son traité fondateur.»
Pas de traitement de faveur
Público juge recevable la plainte déposée contre Nétanyahou et Gallant :
«Israël a le droit d'exister, le droit de se défendre, mais pas le droit de faire ce qu'il est actuellement en train de faire. ... On tolère de la part d'Israël ce que l'on ne tolérerait pas venant de Russie, de Chine, d'Iran ou de tout autre pays. ... Des fonctionnaires de l'ONU et l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch ont rapporté avoir été pris pour cibles par des attaques des forces de sécurité israéliennes.»
Cette instance n'est pas impartiale
The Spectator dénonce ce qu'il considère comme une injustice :
«Aucun mandat d'arrêt n'a été demandé contre le président syrien Bachar Al-Assad, pourtant responsable de la mort de centaines de milliers de civils - suite notamment au recours à des armes chimiques - en s'accrochant désespéramment au pouvoir. Pas plus que contre le guide suprême iranien l'ayatollah Khamenei, dont le pays viole les droits humains et sponsorise le terrorisme international. ... On s'étonnera aussi de ce que la CPI ait eu besoin de sept mois après l'odieuse attaque du Hamas pour menacer d'arrestation ses dirigeants. Cette approche sélective laisse craindre que la Cour pourrait ne pas être aussi équitable et impartiale qu'elle le devrait. »
Arrogant et contreproductif
Neue Zürcher Zeitung reproche à la CPI d'influer sur un conflit en cours :
«C'est à la fois présomptueux et extrêmement imprudent. Tout protagoniste doué d'un peu de bon sens politique en référerait à une instance subsidiaire, et n'interviendrait que si cette instance ne remplissait pas sa mission. ... En demandant des mandats d'arrêt contre Nétanyahou, Gallant et les sbires du Hamas, la CPI fera beaucoup de vagues, mais ne remplira pas sa mission juridique, car une extradition de ces personnes est parfaitement irréaliste. Ce que la CPI obtiendra, en revanche, sera un renforcement des forces en Israël qui défendent une guerre agressive à Gaza, mais aussi des ennemis antisémites d'Israël. ... Une organisation internationale pourrait difficilement se comporter de manière plus déraisonnable.»
La CPI juge des personnes, pas des Etats
Dans La Stampa, l'ancien juge de la CEDH Vladimiro Zagrebelsky défend la décision :
«Il serait dramatique pour la crédibilité du droit international humanitaire et pour le système international de justice que l'engagement pris par les Etats soit ignoré ou qu'il se mue en une accusation d'insensibilité politique ou de facticité envers le procureur et les juges. ... Les gouvernements les plus puissants bénéficieraient ainsi d'une immunité. ... Par le passé, on a reproché à la CPI de ne s'occuper que de l'Afrique et des nombreux potentats africains. Le travail d'enquête du bureau du procureur de la CPI et les conclusions qui en ont été tirées montrent que les reproches de partialité et de discrimination étaient sans fondement. ... La CPI porte des jugements sur des personnes, et non sur des Etats.»
Pour Israël, le début d'une nouvelle ère
La demande de la CPI marque une césure dans les relations entre Israël et l'alliance des Etats occidentaux, constate Süddeutsche Zeitung :
«Nous assistons aujourd'hui à l'officialisation d'une lézarde qui s'annonce depuis longtemps. La nette distance prise par les alliés occidentaux, Etats-Unis compris, par rapport au gouvernement israélien aura probablement enhardi La Haye à intervenir. Le monde va se rétrécir pour Nétanyahou et son ministre de la Défense, qui risqueront une arrestation s'ils se déplacent en Europe, par exemple. Côté Hamas, peu importe que ses dirigeants soient sous le coup d'un mandat d'arrêt international. Déjà considérés comme des parias, ils ne peuvent pas tomber plus bas. Côté israélien en revanche, c'est une nouvelle ère qui commence.»