Régionales partielles : où va l'Allemagne ?
La presse européenne suit très attentivement les élections qui se tiendront ce week-end dans les länder allemands de Saxe et de Thuringe. Les commentateurs tentent d'expliquer les fortes intentions de vote pour l'AfD - surveillée par le renseignement intérieur pour des soupçons d'extrémisme -, et pour le nouveau parti Alliance Sahra Wagenknecht (BSW). Ils prodiguent aussi des conseils pour les futures négociations de coalition, qui promettent d'être compliquées.
Une grande frustration
Mladá fronta dnes décrit la situation comme suit :
«Les habitants de l'ancienne RDA sont frustrés. Ils en ont assez d'être caricaturés dans les commentaires comme les héritiers de l'Allemagne de l'Est attardée d'Erich Honecker, requinquée grâce aux perfusions de l'Allemagne de l'Ouest, 'plus avancée'. Ils ont le sentiment d'être sous sa tutelle paternaliste. ... Les habitants de Thuringe et de Saxe ont en outre l'impression que les choses vont aussi mal dans le reste de l'Allemagne. La politique est donc polarisée et fragmentée et on est prêt à gober n'importe quel discours, pour peu qu'il dise haut et fort là où le bât blesse, comme le font notamment les candidats de l'AfD ou du BSW.»
La droite n'a pas le monopole de la xénophobie
Le BSW n'a rien à envier à l'AfD sur le terrain de la xénophobie, fait remarquer The Economist :
«Outre sa volonté de plumer les riches, Sahra Wagenknecht se signale surtout par une animosité à l'endroit des migrants dont elle ne se cache pas. Quand elle affirme qu'il n'y a 'plus de place' pour accueillir des migrants, elle emprunte cette même rhétorique qui a hissé l'AfD en tête des sondages. Il fut un temps où une attaque au couteau comme celle du demandeur d'asile syrien du 24 août, qui a fait trois morts, aurait été une aubaine inespérée pour l'extrême droite uniquement. Dans la situation actuelle, elle profite également à Wagenknecht et aux siens.»
Pas si anti-autoritaire que ça
Un aspect inquiète Göteborgs-Posten :
«Les particularités de l'histoire allemande compliquent la tâche, pour les partis allemands, de trouver la parade pour répondre au mécontentement du populisme de droite. La radicalisation de l'AfD est en effet liée au conflit violent qui déchire le reste de la société. La culture politique allemande n'est pas propice aux solutions pragmatiques, elle engendre plutôt un intellectualisme qui tend vers le radicalisme. On trouve en Allemagne des voix écoutées qui évoquent très sérieusement une interdiction du parti. Le fait est que l'Allemagne anti-autoritaire est extrêmement autoritaire. Le pays a certes fait un travail de mémoire sur son passé en termes de contenus, mais il n'est pas allé au fond des choses. Nous avons donc toutes les raisons de suivre avec attention les développements chez notre voisin du sud.»
Un rejet du soutien à l'Ukraine
Birgün souligne le fait que la politique extérieure joue un rôle important dans ces élections, ce qui est plutôt inhabituel pour des élections régionales :
«Les aides militaires et économiques à l'Ukraine, les sanctions économiques contre la Russie et la décision de stationner en Allemagne des missiles longue portée pouvant être munis de têtes nucléaires sont trois propositions qui jouent un rôle de premier plan dans cette campagne électorale. Elles ont soufflé dans les voiles de l'AfD et du BSW, opposés aux positionnements du gouvernement central sur ces questions. Dans ces régions, les électeurs ont une sympathie historique plus marquée pour la Russie, ou du moins sont-ils inquiets quand l'Allemagne adopte des positions hostiles à la Russie. Pour l'AfD, parti à l'idéologie foncièrement militariste, cette opposition à la guerre n'est en réalité qu'une tactique électorale.»
Apprendre de l'exemple suédois
A la lumière des déboires de la Suède en janvier 2019, Expressen met en garde contre les coalitions précaires dont la principale raison d'être est la volonté d'exclure les partis d'extrême droite :
«La formation de gouvernements à Dresde et à Erfurt devrait être aussi compliquée que celle qui piétine actuellement à Paris. Il faudrait que tout le monde apprenne des erreurs de Stockholm : la Suède devrait servir de modèle à l'Allemagne pour passer au niveau supérieur. Quand la Suède en était encore au stade où l'on pensait que les Démocrates de Suède (SD) étaient des pestiférés à ostraciser, elle s'était dotée d'une coalition, en janvier 2019. Une politique dispendieuse et passive, incapable de tirer dans le même sens. ... Le rôle central de la politique est d'amener des changements judicieux pour offrir aux citoyens un avenir meilleur. Et cela passe parfois, sur certains dossiers, par des négociations avec des partis que l'on n'aime pas particulièrement.»
Ne pas tomber dans des schémas simplistes
El País dénonce des propos simplistes sur l'immigration :
«Le discours sur l'immigration s'est durci, tous partis confondus. Le chancelier SPD Olaf Scholz promet une accélération des expulsions. ... Il a tort de vouloir faire les gros titres en exploitant le sentiment d'insécurité, inévitable après ce genre de crimes atroces. Il ferait mieux d'expliquer les lacunes du système et de proposer des solutions. L'immigration est un phénomène complexe, qui nécessite une bonne gestion. Simplifier les donnés du problème ne peut qu'encourager les réponses simplistes.»
Des problèmes en perspective pour l'Europe
Dagens Nyheter fait part de son inquiétude :
«Nous nous demandons souvent ce que signifierait pour nous un retour de Donald Trump à la présidence. Mais que signifierait une réussite de l'AfD et du BSW ? Ces mouvances sont peut-être plus problématiques pour l'Europe. ... L'histoire nous enseigne que l'Allemagne moderne est un pays mature et intègre. Qu'est-ce qui se produirait si l'AfD venait un jour à se hisser aux plus hautes fonctions du pouvoir ? Nous n'osons pas envisager la possibilité. Mais nous devrions peut-être le faire, car quand les choses déraillent en Allemagne, c'est tout le train européen qui déraille, comme nous l'enseigne l'histoire.»
Déçus par les autres partis
Lidové noviny tente d'expliquer le vote AfD :
«Beaucoup d'Allemands de l'Est ont déjà soutenu différentes sensibilités politiques par le passé. Les uns avaient voté pour les chrétiens-démocrates ou les sociaux-démocrates, espérant que ces partis soient un gage de prospérité économique sans remise en cause des acquis sociaux. Les autres avaient misé sur les libéraux, dans un souci de simplification des procédures bureaucratiques et de baisses d'impôts. Même les verts, les seuls à vouloir mettre fin à la destruction de l'environnement, ont joui d'un certain crédit. Mais à chaque fois, le résultat a invariablement été le même : la désillusion face à un système sourd à leurs demandes, selon eux. Aujourd'hui, ils sont nombreux à avoir décidé de voter pour un parti qui promet de rompre avec l'establishment politique, même si le système censé prendre le relais reste bien nébuleux.»
Pas de surprise
L'essor de l'AfD en Allemagne de l'Est a des raisons structurelles, souligne Phileleftheros :
«35 ans après la chute du mur, les différences entre les deux anciens Etats allemands restent tangibles. Le facteur décisif est l'incertitude qui domine la politique, l'économie et la société côté Est. Chômage, perte d'emplois et économie en berne ont fait le lit du parti d'extrême droite, qui capitalise sur les angoisses des électeurs. ... Dans les länder de l'Est, les partis et les politiques inspirent aux gens une profonde frustration. L'AfD a rapidement ramené sous sa coupe ceux qui sont en colère contre l'Etat, les politiques et le système. Leur réussite dans les urnes ne surprendra donc personne.»
Les conséquences possibles d'un virage à droite
Karar se soucie du sort des personnes d'origine turque vivant en Allemagne :
«L'attaque au couteau de Solingen devrait renforcer les partis anti-immigration, en tout premier lieu l'AfD et le BSW. ... La droitisation de la politique est appelée à se poursuivre en Allemagne. De plus en plus, les partis établis vont incorporer à leurs programmes les revendications de l'extrême droite. ... Il faut s'attendre à ce que l'attitude de l'Allemagne envers l'immigration, et même envers le multiculturalisme, évolue prochainement. La Turquie devrait se préparer à un durcissement de l'octroi de visas pour ses ressortissants et à des 'incitations' au retour au pays des personnes d'origine turque.»
Le BSW pourrait devenir incontournable
The Guardian n'exclut pas que la CDU et le SPD soient obligés de tendre la main à l'Alliance Sahra Wagenknecht pour mettre sur la touche l'extrême droite :
«Au lendemain des élections régionales du 1er septembre, les partis engageront des entretiens exploratoires dans le but de former en Thuringe et en Saxe des coalitions de gouvernement qui écartent du pouvoir l'AfD. Le cordon sanitaire tient bon. L'ironie - et l'hypocrisie - dans cette histoire, c'est que les autres partis seront obligés de s'unir avec Wagenknecht. Il s'agit d'un élément tout aussi dangereux, mais autrement intelligent, de la nouvelle extrême droite. CDU et SPD - pour autant que ce dernier parti entre aux parlements régionaux - feront la grimace, mais ils n'auront peut-être pas d'autre choix que de s'arranger avec Wagenknecht.»
Un timing parfait pour les extrémistes
Právo jauge l'impact politique que l'attaque au couteau peut avoir :
«'Solingen' continuera de souffler dans les voiles des partis contestataires, AfD et BSW, ce week-end. Mais ces mouvements politiques ont déjà un fort ancrage électoral. Il faut s'attendre à ce que ce genre d'évènements aient des répercussions plus fortes encore sur les législatives qui se tiendront à l'automne 2025. Si la coalition tricolore devait ne pas parvenir à opérer un changement visible dans sa politique migratoire, la vague de mécontentement à l'Est pourrait finir par gagner le Bundestag. Chaque 'Solingen' donne un coup de pouce aux partis extrémistes dans leur marche sur le pouvoir central. Il faut s'attendre à ce que ceux-ci fassent le premier pas dans ce sens, dimanche, en Thuringe.»
La coalition 'feu tricolore' chancelante
Selon Radio Kommersant FM, de grands bouleversements se profilent en Allemagne :
«Les partis de la coalition actuellement au pouvoir risquent de ne pas passer la barre des cinq pour cent et donc de ne pas entrer aux parlements régionaux. ... On se trouve donc face à une situation paradoxale. Pour qu'un land ne se retrouve pas sans aucune forme de gouvernement, les chrétiens-démocrates devront forger une coalition avec un des partis 'anti-système' : soit avec les amis de Sahra Wagenknecht, soit avec l'AfD, ce qui reviendrait à briser tous les tabous. En somme, l'Allemagne est à l'aube d'un nouveau cycle dramatique et imprévisible, qui culminera avec les législatives de l'automne 2025. Ce serait un véritable miracle que la coalition réussisse à se maintenir au pouvoir.»