Ukraine : vers des négociations Etats-Unis / Russie ?
Le président américain, Donald Trump, s'est entretenu mercredi par téléphone avec son homologue russe, Vladimir Poutine, pour demander "sans tarder" l'ouverture de négociations de paix dans la guerre en Ukraine. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a confirmé que Moscou était disposé à dialoguer. Par la suite, Trump a aussi parlé avec le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Mais pour la presse, l'Ukraine et l'Europe sont globalement mises sur la touche.
Dangereux au plan géopolitique
Si ce qui a filtré du projet de solution de Trump est confirmé, ce serait une rupture majeure avec la politique menée jusque-là par l'Occident, écrit Frankfurter Allgemeine Zeitung :
«Il ne pourra plus y avoir de victoire de l'Ukraine dans ces conditions. Si Moscou devait accepter un cessez-le-feu suivant ces lignes, alors ce serait indéniablement un grand soulagement pour les habitants en Ukraine et les soldats des deux camps. Mais sur le plan géopolitique, cela marquerait selon toute vraisemblance le début d'une nouvelle phase d'insécurité en Europe, car la Russie pourrait restaurer ses capacités militaires, et tabler sur le fait qu'une OTAN désormais limitée à l'Europe ne serait pas un adversaire aussi redoutable qu'elle l'était jusque-là.»
Le droit international en passe d'être bafoué
Dans Eesti Päevaleht, le président de la commission chargée de la défense au Parlement estonien, Kalev Stoicescu, déplore ce développement :
«Personne ne parle plus de la responsabilité de Poutine. Il n'est plus jugé nécessaire de fixer des conditions préalables à la Russie pour l'ouverture de négociations, encore moins de forcer la Russie à rendre des comptes pour ses agressions et ses crimes de guerre. Céder aux conditions de la Russie, cela reviendrait à bafouer brutalement le droit international et les droits des peuples et des Etats libres. ... La situation pourrait encore évoluer, mais actuellement, la Russie a toutes les raisons d'être optimiste.»
Jouer le jeu
La Repubblica conseille à l'Europe de suivre les idées de Trump :
«La partition de l'Ukraine en deux zones par le biais d'un cessez-le-feu, comme cela s'était produit en 1953 en Corée le long du 38e parallèle, sera le point le plus délicat. Notamment parce que la nouvelle frontière ferait plus de 1 000 km de long et nécessiterait pour sa surveillance de gros contingents militaires, qui seraient issus d'Europe et de Turquie – mais aussi d'Italie. Il faut donc que l'Europe coopère avec le nouveau président américain, contrairement à ce qu'elle a fait jusque-là. ... Il est évident que Trump amorce une rupture nette, mais l'intérêt de l'Europe passe toujours par une consolidation du camp atlantique, ce qui signifie accepter le défi d'une approche commune et 'non conventionnelle', afin de trouver une issue à des conflits qui restent irrésolus.»
Territoires pour la Russie, terres rares pour les Etats-Unis
Les approches respectives de Trump et de Poutine rivalisent de cynisme, déplore Avvenire :
«Ils parleront de négociations, de paix, de nouveaux accords. Mais derrière cette entreprise se trouve, de manière à peine dissimulée, le butin sur lequel les deux dirigeants cherchent à mettre la main : de nouveaux territoires pour la 'Sainte Mère Russie' (Donetsk, Lougansk, Marioupol) ; des terres rares, joyaux de la technologie du futur (lithium, béryllium, lanthane, cérium, néodyme), et des hydrocarbures pour Washington - d'une valeur de 500 milliards de dollars, une somme suffisante pour 'compenser' et 'rentabiliser' les 174 milliards de dollars dépensés par Washington pour soutenir Kyiv. Donnant-donnant selon la logique mercantiliste de Trump ; donnant-donnant dans celle, néo-impérialiste, de Poutine.»
Des inquiétudes, de Bruxelles à Pékin
Dans un post Telegram relayé par Ekho, le journaliste Dmitri Kolesov juge qu'un "deal" ficelé par Trump déplairait à plusieurs acteurs internationaux :
«Trump ne pourra satisfaire tous les souhaits de Poutine, et la position de l'Ukraine et des Etats de l'UE ne pourra être occultée. Pour les Européens, il est préoccupant que Washington réclame clairement de 'reformater' l'OTAN et de ne plus allouer de fonds à la sécurité de l'Europe. Par ailleurs, Poutine rêve probablement d'obtenir l'approbation des Etats-Unis pour que la Russie puisse agir à sa guise dans sa sphère d'influence, dans laquelle figurent potentiellement les PECO. Il sera intéressant de voir quelle sera l'action de la Chine. Le soudain rapprochement entre Moscou et Washington ne devrait pas beaucoup plaire à Pékin.»
La fin d'un partenariat
Avec cette annonce, la situation est claire désormais, commente Le Temps :
«L'Ukraine sera-t-elle invitée aux négociations de paix ? ... 'Question intéressante', a osé Donald Trump, plus tard dans la journée, comme s'il n'y avait jamais pensé. Et d'appeler le président ukrainien à se soumettre à des élections, un classique de la propagande russe. Car Vladimir Poutine est le dictateur le mieux élu de la planète. Inutile de s'interroger sur la part d'ignorance et de cynisme chez le président américain. Au soir de ce 12 février 2025, il faut se rendre à cette inquiétante évidence : l'Ukraine et ses alliés européens ne peuvent plus compter sur les Etats-Unis.»
La conséquence d'échecs à répétition
L'Europe ne peut se plaindre si Trump prend les commandes, juge The Daily Telegraph :
«Certaines capitales réagiront certainement avec indignation à la perspective que l'avenir de leur continent soit scellé sans leur participation directe. ... Mais les chefs d'Etat et de gouvernement, qui, en dépit des avertissements répétés, ont omis d'augmenter les dépenses de défense, ne peuvent pas dire grand-chose aujourd'hui. L'enseignement selon lequel l'Europe devait assumer la responsabilité de sa propre défense, il aurait fallu le tirer bien plus tôt, quand Barack Obama avait renoncé à faire respecter ses lignes rouges en Syrie. ... Cela n'a pas été fait, ce qui atteste davantage les échecs répétés de l'Europe que la perfidie de Washington.»