Législatives allemandes : les partis radicaux en question

Aux législatives allemandes anticipées du 23 février, le parti AfD a recueilli 20,8 pour cent des suffrages, ce qui fait d'elle la seconde force politique du pays. Une partie des sections de l'AfD a été classée par l'Office fédéral de protection de la constitution (renseignement intérieur) 'organisation extrémiste avérée'. Dans les länder de l'ex-Allemagne de l'Est, l'AfD devance même les autres partis. La presse européenne analyse le vote allemand et tente de comprendre l'affaissement du centre modéré.

Ouvrir/fermer tous les articles
Pravda (SK) /

Un sentiment d'humiliation et de déclassement

Pravda cherche à expliquer le succès des partis extrémistes dans les länder qui appartenaient à la RDA avant 1990 :

«Dans cette partie de l'Allemagne, on ressent un fort sentiment d'exclusion. Du jour au lendemain, toute leur histoire, leur culture, leurs traditions et pour une grande partie leur économie et leur industrie ont été déclarées nulles et non avenues, effacées de l'histoire comme autant d'erreurs et d'égarements. Mais les gens n'effacent pas de leur cœur leur passé et leurs souvenirs. L'euphorie d'avoir retrouvé la liberté est rapidement retombée, et les tribulations du quotidien ont repris tous leurs droits. Sont restés dans le peuple les sentiments d'humiliation, de déclassement et de rancœur. Le tout est de savoir exploiter ces sentiments pour servir ses fins politiques.»

Politika (LT) /

Une jeunesse allemande déçue

Dans Politika, le politologue Linas Kojala tente d'analyser le vote des jeunes :

«En Allemagne, plus de la moitié des moins de 25 ans ont voté soit pour l'AfD, soit pour un des deux partis de la gauche radicale. On peut y voir un signe clair d'une déception croissante face aux forces politiques traditionnelles. Le cordon sanitaire parvient encore à écarter du gouvernement les partis extrémistes, mais le jour viendra où cela deviendra arithmétiquement impossible. ... Le nouveau chancelier sera jugé non pas à ses paroles, mais à ses actes.»

Lidové noviny (CZ) /

L'ostracisation n'est pas le bon moyen

Lidové noviny juge que le cordon sanitaire n'est pas la bonne approche quand on a affaire à un parti légal :

«L'AfD n'est vraiment pas une troupe recommandable. Mais si le danger qui émane du parti est aussi grave qu'on l'entend dire en Allemagne, celui-ci devrait être dissout par décision de justice - le mieux serait que la Cour constitutionnelle s'en charge. Alternative à une dissolution : le laisser participer librement à la course démocratique. Si les choses continuent sur leur lancée, le hiatus entre la majorité dans la société et la majorité dans la politique pourrait prendre des proportions dangereuses.»

Rzeczpospolita (PL) /

Faire usage de son droit de vote

Dans Rzeczpospolita, la journaliste Aleksandra Ptak-Iglewska conseille aux Polonais de prendre de la graine de la forte mobilisation des électeurs allemands :

«Nous avons pu renouer avec la démocratie en 1989, mais j'ai l'impression qu'aujourd'hui, nous préférons la défendre dans des discussions sur les réseaux sociaux qu'en allant voter. Nous voyons l'Allemagne comme un voisin mieux loti et que nous soupçonnons, pour différentes raisons, de jouir de privilèges. Mais quand il s'agit de prendre nos responsabilités pour améliorer la situation de notre pays, quatre inscrits polonais sur dix préfèrent rester vautrés sur leur canapé plutôt que de se rendre au bureau de vote.»

Club Z (BG) /

Ce sont deux perdants qui vont gouverner

Plus rien ne s'oppose à la formation d'une grande coalition CDU/SPD, écrit Club Z :

«C'est une bonne nouvelle au sens où cette coalition étant voulue par les deux partis, elle pourra se conclure rapidement. Elle pourra prendre des décisions plus vite et aura moins de compromis à faire. La lenteur de la coalition 'feu tricolore' a été à le ferment de sa chute. La mauvaise nouvelle, c'est que la grande coalition sera en réalité une petite coalition, car CDU et SPD ayant engrangé des scores comparativement mauvais, ils auront besoin du soutien d'autres partis au Bundestag s'ils veulent par exemple modifier la Constitution, réformer le 'frein à la dette' ou voter des budgets d'urgence [qui requièrent la majorité des deux tiers].»

Respekt (CZ) /

L'AfD attend son heure

La mission première des chrétiens-démocrates et des sociaux-démocrates consistera à redécouvrir l'art du compromis, écrit Respekt :

«S'ils n'y parviennent pas et que le prochain cabinet se déchire en public aussi violemment que ne l'a fait le précédent, la lassitude de l'électorat envers les élites politiques en général gagnera du terrain. Cela soufflera dans les voiles d'un parti farouchement opposé au système dans son ensemble : l'AfD. En multipliant son score par deux, l'AfD apparaît comme la grande gagnante du scrutin. ... Pour l'instant, personne ne veut gouverner aux côtés de l'AfD, en raison de ses positions extrémistes. Mais si les négociations de coalition ne débouchent pas sur un compromis viable, ce parti ultradroite pro-russe n'aura aucun mal à prendre la première place en 2029.»

Sme (SK) /

La gauche renaît de ses cendres

Sme souligne le score surprise de la gauche radicale :

«Die Linke a réussi à mobiliser. Elle le doit notamment à la prestation de figures de proue charismatiques comme Heidi Reichinnek et Ines Schwerdtner, très actives sur les réseaux sociaux, où elles ont condamné la CDU, qui avait remporté un vote au Bundestag grâce aux voix des extrémistes. Elles ont clairement défini leurs priorités : lutte contre les inégalités sociales, plus forte imposition des riches, baisse des loyers et du prix des transports publics. La stratégie du parti a surtout séduit les jeunes électeurs : dans le groupe d'âge des 18 à 24 ans, Die Linke s'est classée en première position avec 25 pour cent des voix, devançant de quatre points sa grande concurrente, l'AfD.»

Der Spiegel (DE) /

Il en va de la confiance dans le système

Der Spiegel rappelle qu'au cours des quatre années de mandat qui s'annoncent, Friedrich Merz devra aussi défendre la démocratie libérale :

«S'il échoue, elle pourra probablement plier boutique. Aux prochaines élections, l'AfD améliorera encore son score, peut-être en se plaçant en première position. Le chancelier aura pour mission de restaurer la confiance en une politique centriste, voire même dans le système en soi, dans la supériorité de la démocratie libérale face aux approches autoritaires. Jamais, depuis la réunification allemande, aucun chancelier ni aucune chancelière ne s'était trouvé devant une tâche aussi monumentale.»