Juncker déclenche un débat sur une armée européenne
La création d'une armée européenne proposée par Jean-Claude Juncker a amorcé un débat sur la politique sécuritaire de l'Union. Ce week-end, le président de la Commission disait voir dans une armée commune la réponse appropriée aux menaces actuelles, émanant surtout de la Russie. Certains commentateurs abondent en son sens, soulignant que seule une Europe unie peut défendre ses valeurs. Pour d'autres, un renforcement de l'OTAN serait une réaction plus judicieuse à la politique hégémonique de Moscou.
Renforcer l'OTAN serait plus judicieux
Vouloir créer une armée européenne est irréaliste à l'heure actuelle, estime le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung : "Une armée commune européenne ayant d'autres missions que celle de défiler dans les rues des capitales lors des différentes fêtes nationales ne verra pas le jour tant qu'il n'existera pas une politique étrangère et sécuritaire commune digne de ce nom. Celle-ci nécessiterait une forte convergence des intérêts nationaux. ... Créer au forcing une communauté supplémentaire qui ne repose sur rien, voilà ce que l'UE ne peut et ne doit pas se permettre. Actuellement, il ne s'agit pas de se perdre en conjectures imaginaires pour le futur, mais de faire face aux dangers du présent. La sécurité européenne est menacée par une Russie agressive qui se réarme massivement. ... La réaction au cynisme de la politique hégémonique de Moscou ne peut être qu'un renforcement politique et militaire de l'OTAN."
La résolution unie, une dissuasion efficace
Dans un monde de plus en plus belliqueux, une armée européenne serait la meilleure garante d'un maintien de la paix, estime le quotidien libéral Irish Examiner : "Nous sommes membres d'une communauté européenne qui, ces dernières décennies, a été la force déterminante et positive dans la vie des Irlandais. Dans un monde qui semble être de plus en plus fragmenté et belliqueux, ce genre de considérations semble inévitable. Elles sont peut être encore très théoriques, mais l'ancien postulat selon lequel une coalition de nations est plus forte qu'une multitude de petits Etats indépendants ne perd rien de sa validité. Il en va de même de l'affirmation selon laquelle une résolution unie est la force de dissuasion la plus efficace face à ceux qui menacent la paix que nous chérissons tous et que nous voulons préserver."
Une armée européenne serait sans commandement
Une armée européenne telle que la préconise le chef de la Commission européenne Jean-Claude Juncker montrerait que l'UE prend au sérieux la défense de ses valeurs, mais il sera impossible de la mettre en œuvre dans les faits, analyse le quotidien conservateur Lidové noviny : "Qui dirigera cette armée, qui en assurera le commandement ? Dans la zone euro et dans l'UE, l'Allemagne joue un rôle prépondérant sur les plans économique et politique. Cette Allemagne est peut-être en mesure de négocier avec Poutine, de manière plus ou moins énergique, mais elle ne peut pas envoyer au combat à l'étranger le moindre détachement de troupes sans avoir préalablement reçu la bénédiction du Bundestag ou de la Cour constitutionnelle. … Quand bien même les Etats européens changeraient d'attitude, débourseraient des milliards d'euros pour une défense commune, se doteraient d'une doctrine de sécurité persuasive, un chef militaire leur fait défaut. L'UE en tant qu'institution ne peut pas assumer ce rôle, l'Allemagne non plus et ni la Grande-Bretagne et ni la France ne veulent le faire. L'armée européenne s'annonce ainsi un projet de longue haleine - voire déjà mort-né."
Une armée commune profite à la politique extérieure européenne
L'UE a de toute urgence besoin d'une stratégie de politique extérieure commune, estime sur le portail en ligne de la radio estonienne ERR le journaliste Erkki Bahovski, favorable à l'idée d'une armée européenne : "[Lors du sommet des ministres des Affaires étrangères à Riga ce week-end], l'UE a été la spectatrice de l'évolution de sa politique avec ses voisins, dans les pays du pourtour méditerranéen et dans ceux du partenariat oriental. … C'est déjà mieux que rien. Tel un super-pétrolier, l'UE s'apprête à manœuvrer, mais il faut dire que le virage à effectuer est large. … Le problème est que les conflits qui font rage à proximité directe de l'UE nous apportent des réfugiés et sont une source d'instabilité et de risque de guerre permanent. Le président de la Commission Juncker prévoit la création d'une armée européenne commune. C'est sans aucun doute un pas dans la bonne direction, qui montre que le pétrolier est peut-être plus réactif qu'il n'y paraît."