Qui est responsable de la crise de l'UE ?
Dans le discours sur l'état de l'Union qu'il a prononcé mercredi, le chef de la Commission Jean-Claude Juncker a reproché aux Etats membres un manque de solidarité. Après le vote du Brexit, l'UE traverse une 'crise existentielle' a-t-il déclaré devant le Parlement européen à Strasbourg. Si certains journalistes imputent aux Etats membres la responsabilité de la déconfiture de l'Europe, d'autres reprochent à Juncker de ne pas reconnaître ses propres erreurs.
Circonscrire le problème pour mieux le tacler
Juncker n’a pas mâché ses mots quant à la gravité de la situation, se félicite Jyllands-Posten :
«L’état des lieux a révélé ce qui faisait la force et la faiblesse de l’UE. Il a permis de constater que si les Etats membres de l’UE n’étaient pas d’accord, leur union ne leur conférait aucune force. Beaucoup s’accordent à dire que la solution à la crise des réfugiés n’est pas du ressort des Etats membres pris individuellement, mais ceux-ci ont du mal à se mettre d’accord sur les compétences à confier à l’UE. Si beaucoup partagent la conviction qu'optimiser le marché unique pour le rendre plus opérant crée des emplois et stimule la compétitivité, la libre circulation des personnes, inhérente au marché unique, est en revanche un thème controversé dans beaucoup de pays de l'UE. … Juncker n’a pas nié la crise. Cet aveu est la condition préalable indispensable si l’on veut trouver une solution.»
Pas l'ombre d'un mea culpa
Juncker a rejeté sur les Etats membres la responsabilité du piètre état de l’UE, une accusation que Frankfurter Rundschau juge trop facile :
«Ceux qui s’attendaient à ce que Juncker reconnaisse ses propres erreurs ou celles de la Commission au lieu de montrer les autres du doigt auront été déçus. Il aurait été bien plus important de dire quelle serait dorénavant l’orientation de l’UE. Il aurait donc pu avouer que ces dernières années, la Commission a trop peu veillé à équilibrer sa politique économique au sein de l’Europe, raison pour laquelle l’UE chercherait désormais à poursuivre le développement de l’Union monétaire. Juncker n’a pas non plus proposé de feuille de route pour sortir de la crise des réfugiés. Il a préféré jeter la pierre aux Etats membres. A l’avenir, il devra élaborer des solutions avec eux et non pas sans eux. Si ça n'est pas encore le cas aujourd'hui, ça le sera peut-être demain.»
Sans membres forts, pas d'Union forte
Il faut d'abord que les États-nations retrouvent la confiance de leurs électeurs avant de réfléchir à l'échelle de l'Europe, argumente De Tijd :
«D’une part, on reproche son impuissance à l’UE, notamment vis-à-vis des décisions en politique migratoire. D’autre part, on critique l’UE pour se comporter en super Etat qui s’arroge le pouvoir de manière non démocratique. … La réponse à cette critique contradictoire est elle aussi nécessairement contradictoire. L’Union européenne doit regagner la confiance des parlements nationaux des Etats membres. C’est la condition indispensable si l'on veut glaner des résultats ici et là, et renouer avec la légitimité. Cela ne réussira que si l’on décide avec pragmatisme sur quels dossiers le consensus politique et le progrès sont possibles, et sur lesquels ils sont impossibles. La politique migratoire ne peut véritablement reprendre son cours que si l’on fait machine arrière et que chaque pays est libre de décider le nombre de demandeurs d’asile qu'il souhaite accueillir. Ceci pourrait peut-être relancer une politique européenne.»
Une UE plus désunie que jamais
Naftemporiki n'est pas très optimiste quant à la capacité de l’Union européenne à trouver un terrain d’entente sur les grandes questions :
«Lors de sommets précédents, les Etats membres de l’UE avaient décidé que les défis actuels – de la crise des réfugiés à la stabilité financière en passant par la lutte contre le terrorisme et contre l’évasion fiscale – appelaient des mesures communes et des solutions homogènes. … Or dans les faits, c’est tout le contraire que l’on constate. On érige des frontières, on abolit de facto les accords de Schengen. Dans la lutte contre le terrorisme, bien que l'on parle beaucoup d’une intensification de la collaboration et d’un échange d’informations, selon Europol, il ne s’est pas passé grand chose. … Les décisions importantes pour l’Union ne bénéficient pas d’une grande marge de manœuvre. Les gouvernements ne devraient pas perdre de vue ce que Monsieur Juncker a souligné : l’histoire ne se rappellera pas leur noms. Elle se souviendra de leur détermination ou leurs erreurs.»
L'Europe, encore et toujours en crise
L’Europe est en bien fâcheuse posture en cet été 2016, renchérit le politique de gauche et ex-Premier ministre Leszek Miller dans une tribune à Super Express :
«Les douze derniers mois ne nous fournissent guère d’occasion de rester optimistes. Les Britanniques vont quitter la sphère d’influence de Bruxelles. Dans les crises migratoire et économique, on piétine sans qu’une solution ne se profile. Les frustrations et la peur du lendemain gagnent de plus en plus les citoyens. Les attentats terroristes en France, en Belgique et en Allemagne ont révélé la grande faiblesse des systèmes de sécurité des pays et de l’UE. On note toutefois un certain nombre d’évolutions positives. Le PIB [de l’UE] est en légère hausse, l’économie grecque n’a pas complètement coulé et les voix prévoyant la désintégration de la Zone euro se sont quelque peu tues.»
Le bilan bien maigre de la Commission
Après environ deux ans de mandat, Juncker ne peut pas se targuer d’un bilan bien mirobolant, écrit NRC Handelsblad, qui redoute que le flot de critiques ne cessera pas de sitôt :
«Il n’a guère atteint son objectif premier, qui était de définir un avenir pour l’Europe. La Commission voulait jouer un rôle de moteur dans la crise des réfugiés, mais les Etats membres s’y sont opposés. Echec aussi sur le dossier grec, où Juncker n’a pas réussi à faire acte d’autorité. Le résultat au bout de deux ans : une Commission qui a peu d’influence sur les grandes questions. Une direction de l’UE bredouille et penaude. … [Bien qu'il ait un certain nombre de réussites indéniables à son acquis], à 61 ans, le luxembourgeois est surtout la cible de critiques. La Commission a toujours été le souffre-douleur préféré des nationalistes à court d’idées. Et depuis le Brexit, c’est une espèce qui prolifère.»
Trop peu d'Europe, trop peu d'Union : une constante
Dans son discours sur l'état de l'Union, le président de la Commission ne fait pas le poids, analyse Tages-Anzeiger :
«Il y a quelque temps, le discours annuel du président américain sur l'état de la nation tenait lieu de modèle. Or, un chef de la Commission européenne n’a qu’une fraction du pouvoir d’un chef d’Etat américain. En outre, c’est de plus en plus dans les Etats membres que les choses se passent. ... Juncker doit en faire l'amer constat. ... L’accord sur les réfugiés avec la Turquie est compromis, les forces centrifuges ont plutôt augmenté au sein de l’UE. Il y a trop peu d’Europe et trop peu d’Union dans l’Union européenne, Juncker disait-il il y a un an. Une rengaine qu’il pourrait entonner à nouveau aujourd’hui.»
L'UE, un projet politique qui demande à être poursuivi
Si l'UE veut perdurer, elle doit poursuivre les projets qu'elle a entamés, affirme Les Echos :
«Avancer dans l'organisation de l'accueil des réfugiés. Dynamiser le succès du plan Juncker de soutien à l'investissement, encore timide malgré les communiqués de victoire. Renforcer enfin les frontières de l'Europe et accélérer les échanges d'informations entre autorités judiciaires, et policières, au sein de l'espace Schengen, comme cela avait été prévu au départ et jamais mis en oeuvre. Démocratiser Erasmus, le symbole le plus fort de l'Europe dans l'opinion publique. Faire exister vraiment la « garantie pour la jeunesse », qui prévoit une offre d'emploi, d'apprentissage ou de formation pour tous les jeunes. Rien n'est facile. Mais tout reste encore possible. A condition de bâtir l'Europe comme un projet politique, et non comme le marchepied pour un poste dans une banque d'affaires américaine.»