Pourquoi le parti de Poutine a autant de succès
Le parti favorable à Poutine, Russie unie, a remporté haut la main les élections de la Douma dimanche, devant trois autres partis proches du Kremlin. Il détient désormais les trois-quart des sièges et dispose donc de la majorité absolue. A nouveau, les observateurs ont fait état de fraudes, et le taux de participation a été plus faible qu'en 2011. Comment Poutine et le parti Russie unie vont-ils utiliser ce renforcement de leur pouvoir ?
Une grenade dans les mains d'un fou
Il est préoccupant que le parti Russie unie ait remporté la majorité absolue, observe le correspondant à Moscou de la radio estonienne dans Eesti Päevaleht :
«Cette majorité s’apparente à une grenade qu’un fou aurait entre les mains. On ne sait dans quelle direction elle va être lancée, mais on a tout à redouter. La dernière fois [en 2008], la majorité absolue a été utilisée pour allonger la législature du Parlement et la durée du mandat du président. … Comment le parti va-t-il instrumentaliser sa majorité cette fois-ci ? En augmentant l’âge de départ à la retraite, comme le souhaite le gouvernement ? Ou en revalorisant les retraites, pour inciter les citoyens à soutenir Poutine ? En allongeant indéfiniment le mandat du président ? En rattachant Donetsk et Lugansk à la fédération russe ? On ne peut pas ignorer que même si le parti Russie unie a toute latitude de faire ce que bon lui semble, il n'a pas la légitimité de le faire, compte tenu du nombre élevé d’abstentionnistes.»
Poutine peut désormais jouer au gros dur
Les résultats de l’élection à la Douma vont faire des velléités belliqueuses de Poutine un problème majeur, craint El Pais :
«Poutine ne va certainement pas changer de cap politique suite aux élections parlementaires russes. Elles vont même lui permettre d’asseoir la rhétorique militaire et nationaliste dont il s’est fait l’emblème, ce qui est particulièrement problématique alors que les faibles lueurs d’espoir en Syrie sont actuellement étouffées dans l’œuf. Sans opposition interne susceptible de le surveiller, et avec une presse garrottée par le Kremlin, Poutine peut bomber le torse. Il renforce ainsi l’animosité à l'endroit de l’OTAN, qui n’avait jamais été autant désavouée depuis la fin de la guerre froide.»
Retour à l'ère des soviets
Au lendemain des élections à la Douma, Poutine a encore moins à craindre de l’opposition en Russie qu’auparavant, estime Neatkarīgā :
«Tous les députés des partis soi-disant concurrents continueront de se comporter à l’assemblée en obéissant aux consignes. Le système politique qui a été restauré en Russie sort tout droit de l’ère Brejnev. … Poutine a appris qu’il n’avait aucune crainte à avoir des dissidents et de la vérité, car le retour à l’ère Brejnev a aussi des côtés très agréables. Sept jours sur sept et 24 heures sur 24, la télévision peut susurrer au peuple ce qu’il veut entendre : tout va pour le mieux et un dirigeant imposant est à la tête de l’Etat. Et une voix à la radio ou un canard isolé qui donnent à entendre un autre son de cloche ne sont pas plus dangereux qu’un moustique qui volette autour notre oreille.»
Les abstentionnistes ont sauvé Poutine
C’est surtout aux abstentionnistes que le parti de Poutine Russie unie doit sa réussite électorale, écrit Ilkka :
«Le président Vladimir Poutine a obtenu aux élections le résultat souhaité. Avancer la date des élections, redécouper des circonscriptions dans lesquelles l’opposition est forte et supprimer le vote par correspondance sont autant de facteurs qui ont contribué à circonscrire le soutien aux partis critiques envers Poutine. … En Finlande, on s’inquiète pour la démocratie quand le taux de participation aux législatives passe au-dessous de la barre des 70 pour cent. En Russie, moins de la moitié des inscrits se sont rendus aux urnes, et la moitié d'entre eux ont accordé leur confiance au président en fonction. En réalité, c’est le parti des abstentionnistes qui a sauvé Poutine. La fraude fiscale n’est pas un problème dans notre pays. En Russie, on reconnaît son existence, mais on s'estime heureux qu'elle ait pris moins d'ampleur que la dernière fois. L’état de la démocratie chez notre voisin n’est pas vraiment reluisant.»
Les Russes n'ont aucune raison de voter
Il ne faut pas forcer l'interprétation et voir dans le faible taux de participation un message délibéré des électeurs, lit-on dans Novaïa Gazeta :
«La politique est devenue une perle rare en Russie. Les habitués de Facebook ne s’en rendent peut-être pas compte, mais les gens ne suivent pas avec assiduité tous les scandales politiques, convaincus que ces derniers n’auront aucune incidence sur leur vie quotidienne. Une fois tous les cinq ans, ils doivent fournir un effort considérable pour se rappeler ce que signifie la démocratie et pourquoi elle est nécessaire. Les activistes politiques ne voient pas le gouffre qui les sépare de leur public. Ainsi, les observateurs qui commentent le faible taux de participation exagèrent souvent la part du boycott des élections par les objecteurs engagés et convaincus. Les citoyens n’ont pas snobé les élections à la Douma par volonté de délégitimer le régime, mais parce que personne n’a réussi à leur expliquer pourquoi ils auraient dû aller voter.»
Les communistes et les nationalistes sont des figurants
Dans la Russie de Poutine, le parti communiste mené par Guennadi Ziouganov et le parti libéral démocrate de l’ultranationaliste Vladimir Jirinovski font de la pure figuration au parlement russe, souligne Lrytas :
«Ces deux personnages sont à la tête de leur parti depuis plus de 20 ans. Ils font partie du tableau de la démocratie russe. C’est pourquoi il ne s'agit d'une démocratie qu'en apparence. Dès le second mandat de l’ancien président Boris Eltsine, un seul parti [à l’époque : Notre Maison la Russie] mobilisait tout le pouvoir et toute l’élite lui était affiliée. Les autres forces politiques n’avaient jamais qu’un rôle périphérique. Ce n’est que pendant le mandat de Poutine que la parole du président est devenue toute puissante et que le parlement a été ravalé au rang d’institution de façade au service de la volonté du chef de l’Etat. En Russie, toutes les décisions politiques sont prises par Poutine et sa clique.»
Le dieu vivant des populistes européens
Vladimir Poutine n’a rien à craindre des élections, analyse Die Presse :
«S'il a autant de succès, c'est que contrairement à ses homologues occidentaux, il n'est pas obligé de répondre de ses actes. Alors qu’en Europe, les hommes politiques sont sanctionnés par leurs électeurs, le président russe peut, en toute impunité, mentir droit dans les yeux de ses citoyens. Alors que les populistes européens, une fois au pouvoir, échouent souvent à transformer leur politique destructive en gouvernance constructive, à amener des solutions rapides qu’ils n’ont pas, le président russe ne doit pas répondre aux obligations imposées par un régime démocratique. Il a la chance de pouvoir faire presque tout ce que bon lui semble, sans avoir à en craindre les conséquences. Cette irresponsabilité organisée du système poutinien n'est (heureusement) qu'un rêve pour les populistes occidentaux.»
La Russie sombre dans la léthargie
Le faible taux de participation en Russie traduit l'état avancé d'apathie qui règne dans le pays, analyse De Telegraaf :
«Si en 2012, suite à la fraude de grande ampleur qui avait accompagné l'élection [de décembre 2011], la population était descendue en masse dans les rues de Moscou, aujourd’hui, elle semble définitivement engourdie. Les retraites ne sont pas revalorisées, les citoyens se retrouvent sans emploi, la classe moyenne ne peut plus se payer de vacances en Egypte ni en Turquie. Mais il semble que personne n'en tienne Poutine pour responsable. ... A nouveau, on rapporte dans tout le pays des fraudes électorales. Dans l'après-midi, le taux de participation était extrêmement faible dans les grandes villes : en dessous de 20 pour cent. Finalement, c’est le parti de Poutine qui l’emporte, et personne ne commente le faible taux de participation. ... Seules les structures pénitentiaires et les établissements psychiatriques indiquent que le taux de participation n'a jamais été aussi élevé : 89 ou 85 pour cent. C’est donc les fous et les détenus qui assurent au président sa victoire. Bienvenue dans la Russie de Poutine !»
Poutine est intouchable
Les Russes récompensent l’impunité de leur président, constate Corriere del Ticino :
«Au-delà des frontières russes, on critique la 'démocrature' de Vladimir Poutine et son absence de scrupule en matière de politique extérieure. A l’intérieur du pays, le chef du Kremlin est encensé pour les mêmes raisons. En outre, Poutine a usé de quelques ruses pour assurer la majorité au parti Russie unie. … Il a fait taire les oligarques, en leur donnant le champ libre. En contrepartie, il leur a demandé de ne pas le contredire. … La clé de son succès : la nouvelle identité nationale qu’il a réussi à forger, et qui repose sur la défense des valeurs traditionnelles russes et autochtones (une alternative aux valeurs occidentales). Pour cela, il a misé sur la défense du territoire, sur le rêve d’un retour à la grandeur de l'Union soviétique, et sur la capacité militaire d’intervenir dans de grands conflits internationaux.»
Ennui et résignation
L’élection de la Douma en Russie n’a jamais été aussi inintéressante depuis cette dernière décennie, analyse Delo :
«La nouvelle répartition des sièges entre le parti au pouvoir Russie unie et les trois 'partis du système' n’a même pas suscité un grand intérêt chez les médias et commentateurs du pays. … Les experts du Kremlin savent bien pourquoi : la faute est du côté de la répression mise en place par le régime du président Poutine. Depuis 15 ans, les spécialistes des intrigues qui ont lieu à la cour du 'nouvel empereur' expliquent que la Russie, après avoir connu une courte période démocratique, est retournée au 'Moyen Âge', c'est-à-dire à l'ère de l'Union soviétique, où des élections comme celles d'hier ne sont que de la poudre aux yeux. … Il se peut que les électeurs russes se fichent pas mal de savoir qui remportera ce jeu de fiction démocratique. … Mais peut-être que les Russes constatent également que quel que soit le nom du parti, l'intérêt premier de tous les hommes politiques est d'accéder au pouvoir.»