Un référendum délicat en Italie
Les citoyens italiens sont appelés à se prononcer dimanche sur une réforme complexe de la Constitution qui prévoit notamment de réduire la taille du Sénat. Mais pour les observateurs, la consultation a d'autres enjeux : l'approbation ou le rejet de la politique de Matteo Renzi, ou encore les possibles conséquences d'une crise gouvernementale pour l'Europe. Quels sont les risques ?
Le camp du non n'a pas d'alternative solide
Les détracteurs de Renzi n’ont pas de programme convainquant à proposer, met en garde La Croix :
«On pourrait comprendre le rejet du projet Renzi s’il y avait une alternative solide. Ce n’est en rien le cas. La victoire du non servira Silvio Berlusconi, qui n’a pas renoncé à son pouvoir de nuisance. Elle fera surtout le jeu du Mouvement 5 étoiles, formation 'anti-système' qui n’a guère de système à proposer sinon le bon vieux 'Sortez les sortants'. Une fois encore, le réformisme est mis à l’épreuve par la tentation du chaos. Mais renverser la table est un plaisir fugace. Reconstruire la démocratie est une œuvre de longue haleine. Mieux vaut ne pas commencer par rajouter des gravats.»
La fuite des capitaux, phénomène inquiétant
La fuite des capitaux hors d’Italie est un indicateur inquiétant de l’humeur des investisseurs, écrit l’économiste américaine Carmen Reinhart dans Jornal de Negócios :
«Le problème de l’insolvabilité des banques que connaît la Grèce, où un tiers du capital bancaire est constitué de crédits toxiques, n’est pas aussi généralisé en Italie. … Malgré tout ce qui a pu être dit sur la menace d’une crise bancaire, la principale raison au départ des investisseurs est la crise de la balance des paiements [retrait de capitaux du pays] qui se profile depuis le premier semestre 2016. Avant l'introduction de l'euro, une balance des paiements non viable en Italie (comme dans d’autres pays possédant leur propre devise) aurait généralement amené la banque centrale du pays à relever les taux d’intérêt, ce qui aurait rendu les possibilités d’investissements plus attractives pour les investisseurs et enrayé la fuite des capitaux. La BCE gérant désormais la politique monétaire de la zone euro, la Banca d’Italia n’a plus cette possibilité.»
L'orgueil précède la chute
Si le Premier ministre italien Matteo Renzi perdait le pari de son référendum sur la constitution, il ne pourrait s’en prendre qu’à sa propre suffisance, analyse le sociologue italien Salvatore Palidda sur son blog hébergé par le site Mediapart :
«A bien réfléchir sur l’histoire de cette reforme, il apparaît évident qu’il s’agit là d’un acte qui relève beaucoup de l’arrogance de Renzi (qui ressemble à celle de Cameron). ... Mais la popularité de Renzi est en chute libre, tout d’abord parce qu'il n’a enrayé ni le déclin économique du pays – le chômage touche plus de 40 pour cent des jeunes et plus de 60 pour cent dans le sud – ni la corruption qui se reproduit sans arrêt. ... Le front du non au référendum est certainement embarrassant, mais c’est Renzi qui a réussi à produire un monstre inédit.»
Financial Times se fait le porte-voix de Renzi
Selon Financial Times, une victoire du non au référendum compromettrait gravement l’avenir des banques italiennes. Pour le quotidien ultraconservateur Il Giornale, ce n’est là que pure propagande électorale :
«Il y a quelques jours à peine, le journal économique le plus illustre d’Europe, Financial Times, avait assuré qu’en cas de victoire du non, Italie sortirait de l’UE. Mardi, le journal est remonté à la charge en affirmant, comme s'il s'agissait d'une parole d'évangile, que si le oui l’emportait, huit banques italiennes seraient menacées de faillite. Financial Times ressemble plus à une machine de campagne qu’à une tribune désireuse de contribuer sérieusement au débat. … Etant donné qu’il n’y a aucune preuve scientifique au présumé risque de faillite des banques italiennes et que nous ne croyons pas à l’existence des devins, nous gageons plutôt que l’auteur de l’article est un homme de main de la bande du Premier ministre Renzi. Une bande d’irresponsables qui ne reculent devant rien.»
Un non ne serait pas catastrophique
Si les Italiens rejetaient le référendum sur la Constitution le week-end prochain, tout ne serait pas perdu, selon Neue Zürcher Zeitung :
«Malgré l'incertitude qu’entraînerait un non, il ne faut pas oublier qu'un résultat favorable à la réforme constitutionnelle ne résoudrait pas les problèmes économiques du pays. Le Parlement italien adopte déjà aujourd'hui, même sans le déblocage espéré du processus législatif, un nombre suffisant de décrets. ... L'un dans l'autre, un oui le 4 décembre serait la meilleure alternative, car elle générerait moins d'incertitudes et donc moins de risques. Mais il serait naïf de croire que tout obstacle au progrès serait éliminé. Le non ne serait pas non plus synonyme de catastrophe. Les Italiens ont connu 63 gouvernements depuis la fin de la guerre. Ils ont appris à s'accommoder de situations difficiles.»
Beaucoup de bruit pour une mini-réforme
Ceux qui poussent les hauts cris avant le référendum de dimanche peuvent se calmer, écrit Corriere del Ticino :
«On a accordé au référendum une importance démesurée. … Sur quels sujets les Italiens sont-ils appelés à se prononcer au juste ? Sur une réforme de la Constitution qui concerne un nombre important d’articles mais qui porte essentiellement sur trois points centraux : a) la transformation du Sénat ; b) la répartition des compétences décisionnelles entre l’Etat et les régions ; c) l’adaptation des règles pour les référendums. Rien de plus. Comment peut-on rendre l’avenir de l’Italie tributaire de cette mini-réforme, mal conçue et encore plus mal rédigée? Cela reste un mystère. … Sur le papier comme dans les faits, le 4 décembre n’est comparable ni avec la décision du Brexit ni avec les présidentielles américaines. S’il devait avoir un impact politique comparable, il faudrait sérieusement se faire du souci sur la solidité de l’ensemble du système politique du pays.»
Que les Italiens se rendent aux urnes !
Si les derniers sondages donnent une légère avance au 'non', les indécis restent encore très nombreux. Il ne faut pas céder à la tentation de l'abstention, préconise Michele Ainis, expert en droit constitutionnel, dans La Repubblica :
«La signification de l'abstention varie en fonction du type de scrutin. Dans le cas d'élections législatives ou municipales, s'abstenir équivaut à un rejet net et radical de l'offre des partis. Dans le cas d'un 'référendum abrogatif', l'abstention peut souligner un désintérêt quant à l'objet de la consultation et la volonté d'empêcher que le quorum requis soit atteint. Mais dans le cas d'un référendum constitutionnel, c'est une tout autre histoire. L'abstentionniste exprime son indifférence vis-à-vis de la Constitution, des règles essentielles du vivre-ensemble. Ce n'est pas un modèle d'engagement civique. C'est un problème, car une Constitution sans peuple, c'est comme une église sans fidèles. Un double-problème même, car en général, les décisions prises par la minorité sont de mauvaises décisions.»
Renzi joue à la roulette russe
Le référendum italien pourrait avoir des conséquences extrêmement dangereuses pour l’Europe, écrit Kauppalehti :
«Avec ce référendum, Renzi joue à la roulette russe tout comme l’avait fait le Premier ministre britannique David Cameron avec le référendum sur le Brexit. Le problème des référendums est que les électeurs sanctionnent souvent des choses sans rapport avec la question proprement formulée et soumise à votation. En Italie aussi, les électeurs ont ainsi la possibilité d’exprimer leur insatisfaction à l’endroit du gouvernement - ce qui n’a rien à voir avec la Constitution. Bien que le référendum italien ne constitue pas une menace directe pour la stabilité économique et politique de l’UE, ses conséquences pourraient pourtant être fatales. Le secteur bancaire italien et la dette publique du pays tiennent les partenaires européens en haleine depuis le début de la crise financière. Une accession au pouvoir des populistes [à l’issue d’élections anticipées] aggraverait l’incertitude quant à la capacité de l’Italie à mettre en œuvre des réformes et à l’adhésion du pays à la zone euro.»
Les esprits que l'Europe a invoqués
Après le référendum italien, l'Europe pourrait payer le prix des erreurs commises dans la gestion de la crise de l'euro, prévient aussi The Independent :
«Comme lors de crises précédentes de la zone euro, le foyer de contagion italien pourrait facilement affecter d'autres banques en Europe et dans le monde. ... Résoudre les problèmes bancaires italiens et assainir les finances de l'Etat, telle est la tâche inachevée des années de crise. A l'époque, en effet, on avait préféré éviter de prendre des décisions difficiles mais nécessaires pour assurer la pérennité de la monnaie unique, à savoir renforcer l'intégration politique et budgétaire de la zone euro - grosso modo, le subventionnement permanent de l'Europe méridionale par l'Allemagne. On ne soulignera jamais assez les conséquences de cette incapacité à faire preuve de compréhension économique et de courage politique.»
Le projet de Renzi menace la démocratie
The Economist préconise de voter contre la réforme constitutionnelle :
«Le projet de Renzi ne résoudrait pas le principal problème de l'Italie - sa réticence aux réformes. Par ailleurs, les potentielles retombées positives de cette initiative sont minimes par rapport à ses inconvénients. En cherchant à mettre fin à l'instabilité italienne - le pays a connu 65 gouvernements depuis 1945 - on risque de favoriser l'élection d'un 'homme fort'. Dans un pays qui a produit Benito Mussolini et Silvio Berlusconi, et dont la vulnérabilité au populisme est inquiétante. ... Le principal bénéficiaire pourrait être Beppe Grillo, ex-comique et leader du Movimento Cinque Stelle (M5S), une coalition hétéroclite qui réclame la tenue d'un référendum sur une sortie de l'euro.»
Garder la tête froide
Corriere della Sera n'a pas manqué de remarquer que The Economist prenait le contrepied de la plupart des médias internationaux sur la question du référendum italien :
«Le fait que la bible du monde financier international ne s'inquiète pas outre mesure de l'issue de la consultation est un indice à la fois politique et économique. Cela montre qu'à l'étranger, on commence à envisager la tête froide les possibles conséquences du vote. ... Ce qui est surprenant, toutefois, c'est la dureté des critiques à l'endroit de Renzi. Dire que le projet de réforme du Parlement bafoue les principes démocratiques, que le Premier ministre perd son temps dans des réformes inutiles et qu'une victoire du oui porterait Beppe Grillo au pouvoir : tout ceci ressemble à un un lynchage en règle. ... The Economist est donc inquiet, lui aussi. Mais de façon singulière, il en conclut que Renzi en est le premier responsable, avec son référendum jugé 'erroné'.»
Le M5S dans les starting-blocks
Diena évoque également le scénario d'une sortie de l'Italie de la zone euro :
«Ce référendum montre une nouvelle fois que l'ordre politique en vigueur en Occident nécessite d'importants correctifs. L'un des scénarios envisagés prévoit même des élections anticipées en Italie. Dans le cas d'une victoire du M5S, il y aurait probablement un référendum sur une sortie du pays de la zone euro et de l'UE. Il ne reste plus qu'à espérer qu'il ne s'agisse que d'une simple crise gouvernementale, qui n'aurait rien d'inhabituel pour le pays. Si tel n'était pas le cas, cela pourrait signifier que les problèmes économiques italiens ne seront jamais résolus. Espérons que ce référendum rétablisse la confiance dans le système politique existant. Ou du moins qu'il prouve que toutes les décisions prises par les politiques italiens ne sont pas inutiles. »
Un vote à l'enjeu sous-estimé
Les Italiens ne peuvent feindre d'ignorer que le référendum touche aussi l'ensemble de l'UE, souligne La Stampa :
«On a souvent l'impression, dans le débat actuel sur la consultation du 4 décembre, que les positions des partisans et des adversaires [de la réforme constitutionnelle] sont évaluées de façon abstraite, comme s'il s'agissait d'un simple exercice académique. On semble oublier en chemin les répercussions potentielles de la future décision. Notamment ses implications financières. Même s'il faut espérer que le pessimiste Wolfgang Münchau ait tort, les électeurs doivent néanmoins être conscients du fait que le 'oui' et le 'non' influeront forcément sur la poursuite (et l'accélération souhaitable) de la reprise économique italienne, et sur nos rapports avec l'UE. Voilà l'enjeu du référendum, et une fois dans l'isoloir, il faudra en être conscient.»
L'alarmisme déplacé des médias
Un rejet de la réforme constitutionnelle pourrait entraîner le démantèlement de l’ensemble de la zone euro. Tel est le point de vue relayé par un grand nombre de médias. Ceux-ci ont peut-être peur de se voir accuser par la suite de ne pas avoir suffisamment tiré la sonnette d’alarme, juge Avvenire :
«Les prévisions catastrophistes de Wall Street Journal et de Financial Times quant au risque bancaire italien suscite de notre côté un scepticisme poli mais inévitable. … Les journaux, qui n’avaient prévu ni la dégringolade de Clinton ni le vote sur le Brexit, montrent que leurs prévisions sont davantage motivées par les appels à la modération lancée par des acteurs financiers ou d’autres pouvoirs plutôt que par leur volonté désintéressée d’expliquer et d’informer. … Avant de reconnaître, comme au lendemain du référendum sur le Brexit ou de la victoire de Trump, que les marchés s’adapteront, et de célébrer le vainqueur. Les journaux ne sont pas l’Oracle de Delphes. Mais visiblement, tout le monde ne l’a pas encore compris.»
Une défaite de Renzi serait une catastrophe pour la zone euro
Un non des Italiens au référendum sur la réforme de la Constitution pourrait entraîner une sortie du pays de la zone Euro, et en fin de compte, la dissolution de cette dernière, met en garde Financial Times :
«L’Italie a trois partis d’opposition, qui sont tous favorables à une sortie de l’Euro. Le plus grand et le plus important d’entre eux est Movimento Cinque Stelle. … Dans les Etats démocratiques, il est normal que les partis d’opposition arrivent un jour au pouvoir. Il faut également s’y attendre en Italie. Le référendum est important au sens où il pourrait accélérer une sortie de l’euro. Renzi a fait savoir qu’en cas de défaite, il démissionnerait. En résulterait un chaos politique. Les investisseurs pourraient en conclure que la partie est terminée. Le matin du 5 décembre, l’Europe pourrait trouver à son réveil la menace immédiate de sa désintégration.»
La chute d'un autre rempart ?
Expresso subodore lui aussi que la prochaine crise est imminente :
«Renzi a annoncé qu’il démissionnerait si la réforme de la Constitution était rejetée par les urnes. … Cette condition ne l’a pas aidé à remonter dans les sondages, mais plaît fort aux populistes, Beppe Grillo le premier, [chef du Movimento Cinque Stelle et] clown de son état, qui rêve de voir Rome brûler par décret. … La prochaine crise des démocraties occidentales suivra dans un peu moins de deux semaines ; étrangement, ce même jour, l’Autriche élira un nouveau président, et devra choisir entre un candidat écologiste et un candidat populiste d’extrême droite. … Le 4 décembre tiendra lieu de répétition générale pour l’année électorale à venir pour l’ensemble de l’Europe. … Les marchés peuvent normaliser Trump, le monde peut faire comme si de rien n’était, les Italiens peuvent se passer de gouvernement et les Autrichiens saluer un président populiste d’extrême droite. Mais la somme de ces événements cimente l’état dans lequel nous nous trouvons : les barbares ont brisé les portes et ont déjà commencé à fêter leur victoire.»