Macédoine : la fin d'un litige de 27 ans ?
Lors d'une cérémonie qui s'est déroulée dimanche sur les rives du lac de Prespes, à la frontière gréco-macédonienne, Athènes et Skopje ont signé un accord qui résout la dispute qui les opposait sur le nom de Macédoine. L'Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) devrait ainsi prendre le nom de Macédoine du Nord - une dénomination qui devra être approuvée par les députés et les électeurs macédoniens. Les réactions de la presse européenne.
Une barrière psychologique a été levée
Daily Sabah espère que d'autres pays s'inspireront de cet accord :
«Les noms de pays ont toujours une signification historique et symbolique. La Macédoine ne perdra pas pour autant son identité suite à ce changement de nom. Il s'agit néanmoins d'une mesure qui amènera des changements politiques. ... Il faut se réjouir du fait que les deux voisins aient signé cet accord. Car les véritables obstacles n'étaient pas les noms ou les frontières physiques, mais les obstacles psychologiques. Il faut espérer qu'il y aura davantage d'exemples de ce type à l'avenir et que les Etats s'efforceront de résoudre leurs différends par des accords plutôt que par des conflits armés.»
Enfin un dirigeant courageux
Après l'accord avec la Macédoine, Alitheia ne tarit pas d'éloges sur l'action du Premier ministre grec :
«Il a prouvé qu'il n'était plus le 'petit Alexis', comme le surnommaient certains avec mépris ; qu'en l'espace de trois ans, il a connu un impressionnant processus de maturation politique. Il a l'étoffe d'un grand leader - d'un dirigeant qui croit en lui, en sa vision et en ses principes. Le courage, la patience, l'endurance, le réalisme, la détermination et la volonté de conclure un accord qui pourrait lui être funeste politiquement sont autant de qualités que l'on ne voit pas souvent chez les responsables politiques. Le 'petit Alexis' montre ces jours-ci qu'il est devenu grand ; il montre également comment un vrai dirigeant devrait se comporter.»
Que les Macédoniens redeviennent des Bulgares
Le problème numéro 1 de la Bulgarie n'est pas lié au nom de l'Etat macédonien, juge Bochidar Dimitrov dans Standart:
«La position stratégique de la Bulgarie vis-à-vis de la Macédoine devrait être de considérer que seuls des Bulgares vivent dans cet Etat. ... Actuellement, dix pour cent des Macédoniens se considèrent comme des Bulgares. Ils ont des passeports bulgares. En adoptant les amendements correspondants, cette proportion pourrait s'élever à un million d'ici deux ans. Je me fiche de savoir comment s'appelle cet Etat. Ce qui m'importe, c'est de savoir quand on pourra qualifier de 'Bulgares' les 1,2 millions de personnes qui vivent dans l'Etat de Macédoine, de savoir quand le processus de re-bulgarisation pourra être mis en œuvre. ... Ce qui est important, c'est d'établir que des Bulgares vivent en Macédoine. Qu'ils nomment leur Etat Macédoine du Nord, Illyrie ou Bulgarie du Sud-Ouest, cela m'est complètement égal.»
Les voies de l'amitié
Le quotidien progouvernemental Avgi fait part de son enthousiasme après la signature de l'accord de Prespes :
«Pour effectuer cette avancée historique, les deux pays avaient besoin de gouvernements prêts à braver les récits ethno-patriotiques préfabriqués ainsi que les récupérations politiques faciles. Il ne faut pas occulter la très forte réaction des blocs nationalistes dans les deux pays. ... Une nouvelle ère s'est ouverte hier à Prespes. Une ère dans laquelle le terme de patriotisme ne sera plus associé à l'extrême droite, à l'agitation, au nationalisme et à l'intolérance. Le patriotisme doit permettre de jeter des ponts, d'ouvrir des voies menant à l'amitié, à la stabilité et à la compréhension. C'est ce qui s'est produit hier à Prespes.»
Merci aux nouvelles générations
Le bon sens a fini par s'imposer, se réjouit l'écrivain Sergio Romano dans Corriere della Sera :
«L'affaire n'aurait pas pris une telle ampleur si la Grèce n'avait pas été membre de l'UE, ce qui lui a permis de bloquer l'adhésion de la Macédoine. On s'était employé jusque-là à contourner le problème, en désignant le pays par cinq mots : 'Ancienne République yougoslave de Macédoine' (ARYM). ... Le pays avait le droit d'avoir un nom plus sérieux. Si cela est chose faite aujourd'hui, c'est d'abord grâce au Premier ministre grec Alexis Tsipras, qui a su faire preuve du même bon sens avec lequel il a géré la question de l'euro. C'est aussi lié à la marche de l'histoire. La manifestation organisée place Syntagma, à Athènes, a montré que si les anciens nationalistes étaient toujours là, les nouvelles générations, elles, avaient d'autres soucis et d'autres intérêts.»
Le PPE doit faire pression sur Skopje
Pour appuyer le compromis trouvé dans la dispute entre la Grèce et la Macédoine, le Parlement européen doit faire pression, juge Der Standard :
«Le dernier élément nécessaire à une réforme constitutionnelle est l'approbation du parti d'opposition VMRO-DPMNE, allié au Parti populaire européen (PPE). Seul le PPE est en mesure, par le biais d'une pression considérable, de faire plier le VMRO - et s'il a une once d'esprit européen, il doit s'y employer, car l'avenir de la Macédoine passe par l'UE et l'OTAN. Il n'y a par ailleurs aucune raison de se montrer conciliant avec le VMRO, car en Europe, il n'existe aucun parti qui ait sapé son Etat de façon aussi éhontée que ne l'ont fait les nationalistes à Skopje jusqu'en 2015.»
La Bulgarie laisse la Macédoine s'imposer
La Bulgarie n'aurait pas dû être aussi conciliante avec les Macédoniens et les partisans du macédonisme - doctrine qui considère les Slaves de Macédoine comme un groupe ethnique distinct des Bulgares :
«Si Zoran Zaev a affirmé que la Macédoine n'entretenait aucune revendication territoriale sur la Bulgarie, il estime cependant que les habitants de la Macédoine du Pirin [province du sud-ouest de la Bulgarie] appartiennent à la nation 'macédonienne' et il s'arroge des pans de l'histoire. Zaev, mais aussi ses rivaux politiques, sont tous des 'macédonistes' et des héritiers de la propagande de l'ère yougoslave. Ils falsifient l'histoire et s'approprient des figures de l'histoire bulgare. Face à ces agissements, notre gouvernement ne bronche pas.»
Athènes s'impose à tort
Pour Neue Zürcher Zeitung, ce compromis a un arrière-goût amer :
«Les Grecs, compulsifs sur la question, n'ont certes pas obtenu leur revendication maximale, mais ils ont réussi à imposer un nouveau nom à leur voisin. L'argument selon lequel la République de Macédoine, petit Etat faible militairement, constituerait une menace irrédentiste pour la province grecque éponyme, a toujours été ridicule. ... Le prétendu monopole grec sur l'histoire de l'antique Empire macédonien est tout aussi intenable historiquement parlant. Il n'existe nulle part, pas même en Grèce, de lien historique direct entre l'antiquité et le présent. ... Dans le litige sur le nom, l'enjeu n'a jamais vraiment porté sur le seul nom. Ce compromis ne satisfera pas les nationalistes grecs - et les autres auraient pu s'accommoder de la Macédoine voisine.»
Il faut que les Grecs puissent voter aussi
Contrairement à l'ARYM, le gouvernement grec n'organisera pas de référendum sur l'accord. Un choix qui n'étonne pas le chroniqueur Dimitris Konstantakopoulos, comme il l'explique sur son blog :
«Si l'accord et ses effets - l'adhésion de l'ARYM à l'UE et à l'OTAN - sont aussi bénéfiques que le prétend le gouvernement grec, pourquoi n'organise-t-il pas de référendum sur la question ? ... Les Grecs sont-ils à ce point stupides qu'ils seraient incapables de comprendre les arguments du gouvernement ? ... Pourquoi faudrait-il accepter que l'ARYM soit plus démocratique que la Grèce ? ... La politique extérieure du gouvernement grec n'est que la mise en application des souhaits des Etats-Unis et de l'OTAN, et n'a rien à voir avec les intérêts du peuple grec. Au contraire, elle expose ce peuple à des risques considérables, sans qu'aucune contrepartie ne soit apportée.»
Un génocide culturel
L'accord avec la Grèce prévoit que la Macédoine renonce à aider la minorité macédonienne en Grèce - un principe établi dans la Constitution de la Macédoine. Le journal Kurir appelle à s'opposer à cette disposition :
«La Grèce pose un ultimatum au gouvernement macédonien : il doit cesser de se soucier des droits de la minorité macédonienne en Grèce. ... A l'avenir, nous ne pourrons donc plus partager avec eux notre éducation et notre culture, car nous serons un autre peuple ! Ceci, mes chers compatriotes, est un génocide culturel pratiqué par les Grecs en plein XXIe siècle, le siècle des droits de l'homme. Il ne faut l'accepter en aucun cas.»
Un accord favorable à la paix
En dépit du nouveau nom, certains Bulgares s'inquiètent de possibles revendications territoriales de l'Etat voisin sur la Macédoine du Pirin, une province bulgare. Club Z juge néanmoins que cet accord sera source de stabilité pour la région :
«L'entrée de la Macédoine dans l'OTAN est vitale pour la Bulgarie, car avec les négociations d'adhésion du pays à l'UE, elles constituent un postulat indispensable à la paix intérieure dans la République, et, in fine, à la paix dans la région des Balkans. Le risque pour la Bulgarie, ce n'est pas le nom de ses voisins, mais l'activité des services secrets russes et serbes sur place, susceptible de générer un climat hostile à la Bulgarie.»
Notre nation n'existera plus
Le journal Kurir pointe du doigt l'inconstitutionnalité du projet de changement de nom :
«Il est contraire au droit international, mais aussi à la Constitution et aux lois du pays. L'accord que Zaev et Alexis Tsipras entendent signer atteste que nous ne sommes pas des Macédoniens et que notre nation et notre société macédoniennes, dans lesquelles nous sommes nés et avons grandi, n'existent plus ! L'accord qui nous est présenté comme inexorable et comme l'unique solution de compromis possible modifie durablement le nom de notre État, bien que le droit international proscrive clairement les litiges sur les noms d'État et stipule qu'ils sont nuls et non avenus.»
Les Macédoniens doivent apprendre à grandir
Les Macédoniens devraient enfin apprendre à lâcher prise, juge quant à lui Fokus :
«Lorsque les enfants refusent de partager leurs jouets avec d'autres enfants, leurs parents leur apprennent que le partage est une condition essentielle à la vie en communauté et à l'amitié. Ceux qui ne sont pas prêts à faire des compromis restent seuls avec leurs jouets. … Il n'y a pas de baguette magique qui fasse disparaître tous les problèmes. Tous ceux qui disent 'On ne renoncera pas à notre nom, sans lui nous ne sommes rien et les Grecs sont méchants' ont de toute urgence besoin d'une leçon sur le passage à l'âge adulte.»
La rhétorique nationaliste n'a pas été écoutée
Politis se réjouit de la possible résolution du litige et salue l'action de Nikos Kotzias, ministre grec des Affaires étrangères :
«Avec la fin de la querelle sur le nom de la Macédoine, le pays adhérera bientôt à l'UE et à l'OTAN. De facto, de par la mise en œuvre de l'acquis communautaire, il deviendra un partenaire commercial de la Grèce et de l'UE, mais aussi un allié militaire. En acceptant un nom composé comportant le terme 'Macédoine', la Grèce garantit ses frontières, la paix, et l'alliance économique et militaire à ses confins septentrionaux ; elle se fait un ami et se défait d'un ennemi. ... Kotzias a montré qu'il était un réaliste, et que pour servir la Grèce à moyen et long terme, il a su résister aux sirènes d'une rhétorique nationaliste sans issue.»
La stratégie rusée de l'UE
Dnevnik salue l'action efficace de l'UE dans les négociations entre Athènes et Skopje :
«Elle a su appâter Skopje au bon moment en lui présentant une belle carotte (la perspective de négociations d'adhésion), permettant au Premier ministre Zoran Zaev de convaincre ses concitoyens qu'un compromis sur le nom du pays n'avait rien d'une défaite. Bruxelles a également compris qu'en l'absence d'élargissement européen dans les Balkans du Sud-Ouest, les Turcs et les Russes pouvaient y effectuer un retour rapide, et qu'il convenait donc de trouver également des solutions rapides pour la Bosnie, la Serbie et l'Albanie.»
Athènes doit tirer les leçons de l'histoire irlandaise
Dans Kathimerini, l'auteur Richard Pine appelle la Grèce à tenir compte de l'exemple nord-irlandais dans le litige macédonien :
«Lorsque j'entends la formule 'La Macédoine est grecque !', je songe au slogan utilisé par les opposants à l'indépendance irlandaise au début du XXe siècle : 'L'Ulster est britannique'. ... Historiquement, l'Ulster a toujours été au cœur de l'identité et de la mythologie irlandaises. ... Certains des lieux les plus sacrés de l'identité irlandaise se trouvent ainsi en territoire britannique. Cela évoque peut-être pour de nombreux Grecs des souvenirs ataviques, ceux de Philippe de Macédoine et de son fils, l'impérialiste Alexandre, qu'ils continuent à considérer comme Grecs. ... Si l'on tire les enseignements de l'histoire irlandaise, on peut être à la fois pragmatique et visionnaire : continuer à interdire le nom de Macédoine à l'ARYM est absurde, de même que sont absurdes les requêtes liées à des ethnicités et des territoires qui ont de tout temps été controversés.»