Gilets jaunes : les concessions de Matignon
Lors d'une réunion de crise, le président Macron et le gouvernement ont décidé un moratoire sur la taxe carburants. Le Premier ministre, Edouard Philippe, a déclaré mardi ne pas vouloir mettre en danger "l'unité de la nation". Les gilets jaunes ont néanmoins annoncé leur intention de redescendre dans les rues le week-end prochain. Ces concessions auront-elles un effet ?
La boîte de Pandore est ouverte
Le moratoire annoncé n'apaisera pas les contestataires, juge Libération dans son éditorial :
«Les mesures annoncées auraient arrêté la protestation il y a dix jours. Mais les mouvements sociaux transforment ceux qui y participent. Souvent isolés dans leur quotidien de galère, étreints par un sentiment d'abandon et d'humiliation, les gilets jaunes ont goûté à l'ivresse de l'action collective, au réconfort de la solidarité et de la reconnaissance mutuelle, aux plaisirs rares d'une médiatisation massive, à la fierté de jouer enfin un rôle politique national. Difficile de mettre fin à cette embellie qui restera, quoi qu'il arrive, comme un des grands souvenirs de leur vie. ... La tentation de continuer, enhardie par un premier succès, occupe manifestement la tête des manifestants. L'inconscience présomptueuse des gouvernants a ouvert une boîte de Pandore.»
L'arroseur arrosé
Le gouvernement a pris la mesure du risque de division profonde encouru par la société française, écrit Vedomosti :
«Macron et son entourage ont été victimes de la vague anti-élite sur laquelle ils avaient eux-mêmes surfé aux présidentielles et législatives de 2017. Mais voici que les électeurs ne veulent pas payer le prix des réformes si chères au président. ... Alourdir la fiscalité 'pour tous', peu après l'abolition de l'ISF, cela passe mal. En fin de compte, la manifestation des gilets jaunes est le fait d'une province désargentée et de classes moyennes inférieures, qui ne sauraient se passer de la voiture, par opposition aux riches des grandes villes. Après un long temps de réaction, l'exécutif a entendu la doléance des manifestants et déclaré qu'aucune taxe ne méritait de mettre en danger l'unité de la nation.»
Ce n'est pas le moment de flancher
The Irish Times appelle le président à poursuivre sur la voie des réformes :
«Emmanuel Macron ne pourra survivre politiquement que s'il ne change rien à sa stratégie. Il aurait tort de commettre l'erreur de ses prédécesseurs François Hollande et Nicolas Sarkozy, qui avaient cédé à la pression de la rue, cette caractéristique française qui s'oppose systématiquement à tout changement. ... Il peut faire des concessions sur la fiscalité pour compenser certaines injustices sociales. Et il peut encore s'appuyer sur l'éloquence remarquable dont il a fait preuve tout au long de sa carrière politique. Mais il ne peut se permettre de changer l'orientation fondamentale de sa stratégie de réforme. Il s'est notamment engagé à donner à la France un rôle de premier plan dans la lutte contre le changement climatique en taxant les carburants.»
La paresse des Français est le fond du problème
Pour l'économiste Hector Allain sur le portail Contrepoints, les Français sont eux-mêmes responsables des prix élevés des carburants :
«La crise actuelle est avant tout celle d'un système et d'un mode de pensée périmés. C'est la raison pour laquelle elle risque de se prolonger. Quel politique aura le courage de le dire ? On ne crée pas de la richesse - et donc du pouvoir d'achat - en regardant le foot à la télé. La crise de la France est celle de la paresse. 64 pour cent de la population âgée de 15 à 64 ans travaille dans notre pays, contre 79 pour cent en Suisse, 75 pour cent au Royaume-Uni ou en Allemagne. ... Soyons concrets : l'essence et les produits alimentaires coûtent plus cher car nous nous disputons ces biens avec des pays qui travaillent davantage que nous.»