Accord sur le Brexit : en attendant le couperet du non
Les députés de la Chambre des communes se prononceront ce soir sur l'accord sur le Brexit conclu entre l'UE et le gouvernement britannique. Pour tenter de conjurer un très probable rejet du texte, Theresa May brandit les épouvantails d'une suspension du Brexit ou d'une sortie désordonnée sans accord. Les chroniqueurs tentent de décrire le chaos qui règne en Grande-Bretagne.
Le sacre de l'irrationnel
Pour le quotidien Die Presse, l'impréparation dans laquelle se fait le Brexit est révélatrice du piètre état de la politique :
«Ce qui est en train de se produire illustre combien il est facile de transformer la peur d'influences extérieures en illusion de sa propre force. Cela ne fonctionne qu'en faisant abstraction de tout le reste : l'histoire européenne, les prévisions économiques et même les premiers impacts sur le quotidien, par le biais des fluctuations monétaires et de la suppression d'emplois. L'envie de façonner le monde à son entière guise, sans tenir compte des privations que l'on va s'imposer et de la solitude qui nous attend, est une faiblesse que l'on devrait avoir surmonté une fois la puberté passée. Or il est des politiques populaires qui sont capables de provoquer chez l’adulte un comportement égocentrique qui était initialement un phénomène de l'adolescent.»
Quand la démocratie vire à l'orgie
Le tour que prennent les évènements en Grande-Bretagne plongent dans la perplexité Bert Wagendorp, chroniqueur à De Volkskrant :
«La fête de la démocratie a dégénéré en une immonde beuverie, où les invités perdent toute inhibition et se pourchassent sauvagement. Plus grand-chose à voir avec la démocratie. Les intérêts personnels et partisans ont pris le pas sur la question de l'utilité d'un Brexit. ... Le référendum sur le Brexit a divisé un pays stable et transformé sa classe politique en une nuée de lemmings se précipitant dans le vide du haut d'une falaise de craie. Offrant un spectacle formidable - mais assez tragique.»
Etirer le délai comme un chewing-gum
On ne gagne rien à prolonger artificiellement une situation sans issue, écrit El Mundo avec résignation :
«Si Westminster enterre l'accord, l'Europe se retrouvera à nouveau dans le désarroi, face à un avenir hérissé de points d'interrogation sans réponses fiables. A Bruxelles, on s'est déjà paré de bandages avant même d'avoir été blessé et on parle de repousser de plusieurs mois l'échéance du Brexit. Mais à quoi bon distendre le temps comme on étire un chewing-gum ? L'immense irresponsabilité de convoquer un référendum sur le Brexit a conduit à une impasse : les Britanniques n'avancent pas d'un millimètre et le reste de l'Europe est paralysé.»
Il faut que Dublin fasse une concession importante
Si Londres et l'UE ne parvenaient pas à trouver un accord de libre-échange après le Brexit, l'ensemble de la Grande-Bretagne resterait dans l'union douanière, empêchant de facto la réapparition d'une frontière physique entre les deux Irlande. C'est ce que prévoit la clause "backstop" de l'accord conclu avec l'UE. Dublin devrait s'ouvrir à l'éventualité de renoncer à cette clause honnie des pro-Brexit, préconise The Irish Independent :
«Si, dans les semaines à venir, l'éventualité d'un Brexit sans accord devait se préciser, le chef du gouvernement irlandais Leo Varadkar devrait prendre la décision la plus difficile de sa carrière politique. Il a encouru un énorme risque en novembre 2017 en plaçant le backstop sur la table des négociations. S'il faut revenir sur cette clause pour éviter un Brexit sans accord et les conséquences désastreuses que celui-ci aurait sur ce pays et sa population, il doit enclencher la marche arrière. »
Comment Bruxelles peut empêcher un Brexit sans accord
Financial Times espère que l'UE rejettera catégoriquement un report du Brexit :
«Trois options se présentent aux députés britanniques : un accord avec l'UE, pas d'accord ou pas de Brexit. ... Les pro-UE sont nombreux à croire à l'éventualité d'un second référendum. Et les pro-Brexit sont nombreux à croire qu'ils vont obtenir une sortie sans accord. ... Theresa May et l'UE ne parviendront à remporter le vote au Parlement sur l'accord négocié qu'à la condition qu'un retour en arrière sur le Brexit soit hors de question. Cela peut paraître absurde de prime abord. Mais dans une situation où une majorité de députés rejette un Brexit sans accord, cette mesure est logique. Il suffit que les députés s'opposent au scénario 'no deal' et que l'UE exclue l'option 'no Brexit' pour qu'un accord soit ficelé en deux temps trois mouvements.»
Le Parlement prend les devants pour empêcher le 'no deal'
New Statesman se réjouit que les députés de la Chambre basse remuent ciel et terre pour empêcher un Brexit sans accord :
«La Grande-Bretagne troquerait son rôle de membre leader de l'UE contre celui d'un Etat affaibli placé devant un choix peu enviable : devenir un Etat satellite des Etats-Unis 'America first' de Donald Trump, voire d'une dictature chinoise répressive et expansionniste. Les conséquences pour les citoyens, les consommateurs et les entreprises en seraient catastrophiques. ... Les partisans d'une rupture totale avec l'UE devraient dire la vérité et cesser de propager de faux mythes selon lesquels tout rentrera dans l'ordre. Car ce n'est pas ce qui va se passer.»
Une arme peu dissuasive
Pour Gerardo Morina, chroniqueur à Corriere del Ticino, les jours de la Première ministre Theresa May sont comptés :
«Plus la date fatidique du 29 mars - qui devrait marquer la sortie officielle du Royaume-Uni de l'UE - se rapproche, plus la situation politique à Londres devient chaotique. ... Bref, ce qui aurait dû être l'arme gagnante de May (la menace de 'no deal' si le vote du Parlement rejette son accord) s'est transformé en une lance émoussée. ... Le dernier mot n'a pas encore été dit dans ce long bras de fer entre Londres et Bruxelles, et entre pro-Brexit et pro-européens. Toutefois, la Première ministre britannique semble être à un pas du précipice et même en cas de chute, ou si elle glisse, cela ne sera peut-être pas suffisant pour enrayer le chaos du Brexit.»
Voie sans issue
Hospodářské noviny se demande comment les choses vont bien pouvoir se poursuivre :
«Sauf miracle d'ici mardi, la chef du gouvernement Theresa May devra prier les autres membres de l'UE de reporter la date officielle de sortie. Outre-Manche, le Continent a la volonté de trouver une solution acceptable. Mais tout ce qui s'est passé jusqu'ici montre que l'accord que May a négocié est impossible à imposer dans son pays. On demandera si cela ne va pas se répéter. Restent deux possibilités : des élections anticipées ou un second référendum sur le Brexit. Mais pour les deux options, le temps de préparation est insuffisant d'ici la date officielle de sortie, fin mars.»
La motion de censure prête à tomber
Le Parlement supplante de plus en plus Theresa May dans les préparatifs du Brexit, commente Gazeta Wyborcza :
«Les députés s'étaient déjà arrogés le droit de proposer des amendements aux projets de May. Ceci leur permet de dicter à Downing Street la direction qu'elle devra prendre : prolongation du temps de préparation au Brexit ? Rupture dure sans accord ? Second référendum ? ... Le vote de mardi sera suivi de journées turbulentes, car tout porte à penser que le Labour déposera une motion de censure contre le gouvernement de May. Le parti d'opposition l'a annoncé depuis longtemps et attend le moment le plus propice pour passer à l'acte.»