Brexit : la frontière irlandaise en question
Theresa May rencontre à nouveau Jean-Claude Juncker et Donald Tusk ce jeudi pour sonder leur disposition à ménager une marge de manœuvre en vue d'un Brexit ordonné. Au cœur des pourparlers : le 'backstop' - le filet de sécurité prévu dans l'accord de l'UE pour empêcher le retour d'une frontière en Irlande. L'UE avait clairement énoncé qu'il s'agissait d'une clause non-négociable. Les éditorialistes sont nombreux à estimer que la solution ne peut venir de Bruxelles.
L'accord du Vendredi saint comme modèle
On aurait tort de laisser à Londres et à Bruxelles le soin de régler la question de la frontière irlandaise, écrit le chroniqueur Diarmaid Ferriter dans The Irish Times :
«Notre histoire nous apprend qu'il ne sert à rien de répéter que la Grande-Bretagne doit à elle seule résoudre ce problème. Pourquoi ? Parce que la Grande-Bretagne n'élaborera pas une solution dans l'intérêt de l'Irlande, pour la même raison que la question de la frontière irlandaise n'a pas été évoquée dans la campagne référendaire du Brexit. ... L'unique solution réside dans une collaboration, une fois de plus, entre Londres, Belfast et Dublin, avec le soutien de l'UE. Une procédure comparable à celle du processus de paix nord-irlandais, au cours duquel l'UE s'est contentée de rester largement en marge jusqu'à ce que soit trouvée une solution qu'elle puisse ensuite soutenir sur les plans politique et économique.»
Un empire, cela se paie
Dans Le Temps, le conseiller politique Blaise Bonvin fait l'éloge du filet de sécurité envisagé dans l'accord sur le Brexit. Il estime cependant que la solution à la question frontalière doit être trouvée à un autre niveau :
«Quand vient le moment de se recentrer, comme le Brexit l'impose, on se recentre aussi sur son histoire et ses avatars. Donc soit le Royaume-Uni voit l'Irlande du Nord se détacher un peu, soit elle revoit un conflit, pas réglé mais gelé, revenir en surface. Dans les deux cas, on se prend les pieds sur ce coin de pays, et le piège se referme. Pas moyen de filer à l'anglaise. Un empire, cela se paie sur le long terme. La solution au Brexit est donc politique et culturelle. Elle est l'affaire du Royaume et dans une mesure moindre de l'Irlande ; l'UE ne peut que proposer des substituts technico-administratifs, au demeurant plutôt bien ficelés.»
Les fraudeurs appelés à faire des concessions
Sur la question frontalière, l'UE doit continuer d'assurer Dublin de son soutien, laquelle doit à son tour lâcher du lest sur un autre dossier européen, fait valoir le politologue Carlos Closa dans les colonnes d'El País :
«L'UE doit être prête à minimiser l'impact du Brexit sur l'Irlande (y compris l'impact économique) et doit être impliquée dans la recherche de solutions imaginatives à la question frontalière. L'UE devrait aussi envisager, au besoin, les modalités en vue d'une semi-adhésion à l'UE de l'Irlande du Nord. Mais la République d'Irlande doit être prête à envoyer un signal de solidarité aux autres Etats membres, car une union solidaire ne saurait tolérer la fraude fiscale. Il est peut-être temps de faire clairement comprendre à l'Irlande qu'une solidarité à sens unique a ses limites.»
Le filet de sécurité menace l'unité du royaume
The Belfast Telegraph salue l'action menée depuis l'issue du référendum par les unionistes nord-irlandais du DUP pour mobiliser contre le filet de sécurité :
«C'est tout à leur honneur de s'être emparés du sujet et d'avoir compris, contrairement à de trop nombreux unionistes modérés et bien intentionnés, que le filet de sécurité était potentiellement un désastre pour l'unité du Royaume-Uni et qu'ils étaient prêts à mettre en jeu leur popularité pour le combattre frontalement. Ils ont été si cohérents et déterminés que les pro-Brexit et les anti-Brexit modérés, frustrés par l'intransigeance de Bruxelles, ont commencé à se dire : 'Heureusement qu'il y a le DUP.' On a enfin l'impression que les unionistes sont en train de se serrer les coudes.»