Huawei : Washington menace Berlin
L'Allemagne et les autres pays susceptibles de céder aux sirènes du groupe de télécommunications Huawei, qui entend développer le futur réseau 5G, s'exposeraient à des sanctions américaines, a prévenu Washington. La Maison-Blanche menace notamment Berlin de suspendre la coopération en matière de renseignement et au sein de l'OTAN, estimant que la Chine pourrait avoir accès à des infrastructures sensibles. Comment l'Europe doit-elle réagir ?
Sans la NSA, l'Allemagne est sourde et aveugle
La menace proférée par les Etats-Unis à l'encontre de l'Allemagne est grave, analyse Gazeta Wyborcza :
«L'ambassadeur a ainsi menacé de cesser de transmettre des informations confidentielles relatives à l'armée, aux services secrets et à la lutte antiterroriste. Dans ce cas de figure, les services de renseignement allemands seraient dans la panade. La coopération avait été étroite jusqu'à maintenant : les Allemands sont les sous-traitants de la National security agency (NSA) et, à sa demande, ils ont mis sur écoute et intercepté des conversations téléphoniques et des courriels dans le monde entier. Depuis quelques années, les Américains délivrent aux Allemands des informations relatives aux cellules terroristes actives sur le territoire allemand, ce qui a permis de déjouer de nombreux attentats. ... Il est par ailleurs difficile de concevoir comment une coopération serait viable au sein de l'OTAN si Washington sèvre Berlin d'informations.»
Réunir Berlin, Paris et Londres autour d'une même table
"Huawei ou pas Huawei ?" - cette question appelle une réponse européenne, fait valoir Handelsblatt :
«En France, par exemple, les produits Huawei sont surtout employés pour des tâches périphériques en marge des réseaux de télécommunications. Paris et sa région restent tabous pour les Chinois. La cyberdéfense britannique, pour sa part, examine de si près les produits Huawei qu'elle juge les risques afférents gérables. Pourquoi Berlin, Paris et Londres ne se sont-elles pas réunies, il y a longtemps de cela, pour échanger leurs expériences et adopter une position commune vis-à-vis de la menace potentielle chinoise et des craintes américaines ?»
Les Etatsuniens espionnent autant que les Chinois
La rivalité sino-américaine constitue un dilemme pour les autres pays, souligne le magazine Wired :
«Si vous n'êtes pas Américain ou Chinois, vous aurez du mal à faire la différence entre les accords conclus par Washington avec les entreprises technologiques US et ceux passés par Pékin avec les entreprises technologiques chinoises. Dans un monde où les superpuissances technologiques américaine et chinoise se disputent la suprématie, les gouvernements et les entreprises des autres pays voient les choix qui se présentent à eux menacer potentiellement leur propre sécurité. Ou, pour dire les choses autrement : des Chinois ou des Américains, qui préférez-vous avoir comme espions ?»
Rattraper le retard technologique
Au lieu de fermer leurs marchés à Huawei, les Européens feraient mieux de chercher à promouvoir les technologies de pointe, peut-on lire dans L'Opinion :
«Il en va de la protection contre un éventuel espionnage, il en va tout autant de la souveraineté technologique de l'Europe. Mais il faut en tirer toutes les conséquences. Les commutateurs Huawei ont de l'avance sur les fabricants européens Nokia et Ericsson et ils représentent aussi un aiguillon de concurrence. Bannir Huawei peut être malheureux si cela se termine par priver les télécommunications européennes d'une capacité d'innovation et de prix bas. Les Européens, exactement comme dans le cas de l'industrie ferroviaire avec la fusion Siemens-Alstom, doivent se doter d'un plan de reconquête technologique et de financement de la R&D, des flèches européennes.»
L'UE doit se protéger de la Chine
Le débat autour de Huawei révèle la vulnérabilité de l'Europe, souligne l'eurodéputée libérale Marietje Schaake dans De Volkskrant :
«Mener des enquêtes nationales sur les risques de sécurité et octroyer des licences 5G au niveau national, tandis que les règles du marché sont internationales, tout cela joue en faveur de la Chine. L'UE doit rester ouverte au commerce international et cesser de se leurrer. Si l'on fait du 5G une infrastructure dominante, il faudra que chaque entreprise qui propose cette technologie remplisse des normes de qualité élevées. ... Si l'on veut aborder intelligemment les protagonistes qui combinent pouvoir économique, politique et stratégique, alors il faudra que tombent certains tabous nationaux.»
Une offre que l'on ne peut refuser
En visite à Budapest, Bratislava et Varsovie, le ministre américain des Affaires étrangères Mike Pompeo milite contre le groupe Huawei et son intention de pourvoir les PECO du réseau 5G. Hospodářské noviny paraphrase le message de Pompeo :
«L'essor de la Chine est notre plus grande crainte. De notre point de vue, la concurrence stratégique avec Pékin sera déterminante pour la politique étrangère américaine. Et s'il est dans votre intérêt national de vous ranger de notre côté, nous remplirons notre part du contrat. Vous n'avez à vous inquiéter ni pour votre sécurité, ni pour la Russie. L'alliance avec les Etats-Unis ne vous a jamais laissés tomber, alors qu'une alliance avec la Chine serait un pas aux conséquences impossibles à évaluer. L'Amérique vous fait une offre que vous ne pouvez pas refuser.»