Protection climatique : quels discours tenir ?
Jeudi 25 juillet, Paris et beaucoup d'autres villes d'Europe ont pulvérisé leurs records de températures maximales depuis les relevés météorologiques. Dans ce contexte, les éditorialistes réfléchissent aux changements qui s'imposent dans la perception des militants de la cause climatique et des mesures dérangeantes de protection du climat.
Une litanie de funestes records
Si les températures record ne prouvent pas à elles seules le changement climatique, La Repubblica fait valoir que
«cette vague de chaleur suit avec quelques semaines de battement seulement la canicule de juin, qui avait eu des conséquences catastrophiques - tempêtes violentes et grêlons de la taille d'une orange, notamment. Au-delà des frontières nationales et européennes, on voit des colonnes de fumées s'élever vers le ciel au Groenland, en Sibérie et en Alaska. Pour la première fois, des feux font rage dans les steppes arctiques. En août en Islande, une plaque commémorative à la mémoire d'un glacier disparu sera inaugurée, portant l'inscription 'victime du changement climatique'. Les 42 degrés enregistrés à Paris ne sont pas le seul indicateur de la gravité de la situation. C'est l'enchaînement de situations extrêmes à un rythme rapproché qui est en cause. Et c'est précisément ce que les chercheurs tentent de nous faire comprendre depuis des années.»
Ne rien faire, c'est condamner ses enfants
Même si les activistes du climat suscitent chez beaucoup une certaine angoisse, The Irish Times souligne le bien-fondé des appels à des changements radicaux :
«Dans leurs discours, ils revendiquent un renversement du système, ce qui crée chez pas mal de gens une inquiétude tout à fait compréhensible. Mais on comprendra tout autant qu'il est impératif d'adopter une approche plus radicale quand on sait que faire comme si de rien nous mène droit dans le mur. ... Les véritables activistes extrémistes ne sont pas ceux qui défilent dans les rues avec des banderoles, le visage bariolé. Ce sont ceux qui feignent de ne pas comprendre les limites géophysiques irréductibles ; les riches et puissants magnats de l'énergie et les légions de lobbyistes à leurs ordres dans les entreprises et les médias, mais aussi dans la classe politique qu'ils ont achetée. A une heure aussi grave, ne pas adopter les mesures d'urgence radicales que les scientifiques nous intiment de prendre, c'est avant tout creuser la tombe de nos enfants.»
La politique climatique n'est pas un carcan
Les climatosceptiques devraient s'être rendus à l'évidence, lit-on dans De Volkskrant :
«Non, le réchauffement de la planète n'est pas un phénomène anodin. Des études scientifiques l'ont une fois de plus mis en évidence cette semaine, plongeant un poignard dans le cœur des climatosceptiques. ... Dans le même temps, la nouvelle nous parvient des Etats-Unis qu'en dépit du changement climatique, au niveau mondial, les dépenses entraînées par les catastrophes telles que les inondations et les ouragans sont en baisse - grâce à nos stratégies d'adaptation. ... Dans la morosité ambiante, c'est tout de même une nouvelle positive. ... Une politique climatique ne se limite pas à manger moins de viande, prendre moins souvent l'avion et consommer moins d'eau en prenant sa douche, ainsi que le demandent les militants du climat, majoritairement de gauche. L'enjeu est un changement de perspective, un défi à relever pour l'esprit d'entreprise, l'innovation et l'inventivité humaine.»
La culpabilisation ne fait pas avancer les choses
Le portail 444 ne croit pas que c'est en culpabilisant les gens qu'on les gagnera à la cause écologiste :
«Il se peut que dans vingt ans, nous aurons terriblement honte d'utiliser un sac en plastique, de conduire une voiture à moteur essence, de nous faire livrer un repas à domicile, d'utiliser des tampons hygiéniques, de nous habiller en prêt-à-porter 'fast fashion', de mettre le chauffage à fond en hiver ou la climatisation en été. ... Mais la honte est un sentiment douloureux qui s'empare de nous quand nous avons mauvaise conscience. Quelle idée saugrenue que de penser que susciter un sentiment aussi négatif inciterait à engager des changements positifs ! ... Quand on ressent une douleur, on cherche à s'éloigner de l'origine de cette douleur. Si l'on veut populariser un mouvement, ce n'est pas sur la ficelle de la honte que l'on devrait tirer.»
Du danger des formules toute faites
Zeit Online condamne la "dramatisation" de ceux qui parlent de l'impératif de "sauver le monde" :
«Objectivement parlant c'est faux, et c'est une surenchère verbale dangereuse. ... Ce qu'il importe de préserver, c'est cette configuration fragile dans laquelle les sociétés humaines peuvent prospérer, où il ne fait ni trop chaud ni trop froid et où la nature peut fournir alimentation et ressources, air pur et eau potable. ... Les exagérations sont contre-productives. Dans les discours de ceux qui s'obstinent à vouloir sauver le monde, les mesures nécessaires dépassent nos capacités. Car nul n'ignore ce trait psychologique humain : quand une chose nous semble impossible d'emblée, on préfère l'occulter plutôt que de prendre le taureau par les cornes. Voilà le danger avec la formule agaçante 'sauver le monde'.»
Les libertés victimes de l'hystérie
Pour le site Contrepoints, la protection du climat vire à l'hystérie :
«Ce qui compte n'est pas la réalité, mais le sentiment d'urgence profondément inoculé en nous à force d'activisme et d'appels de ce type qui pourraient enfin nous pousser à renoncer volontairement à notre mode de vie libéral et à nous placer docilement sous la contrainte tyrannique du prétendu impératif climatique. … La transition écologique qui consiste à transformer étatiquement, idéologiquement et obligatoirement la société au lieu de la laisser évoluer au rythme naturel de la science et des technologies mises en concurrence est déjà bien engagée par le gouvernement à coup de taxes, interdictions et subventions, et on ne voit pas ce qu'il pourrait faire dorénavant sans porter une atteinte considérable aux libertés individuelles déjà passablement écornées dans ce pays.»
Le rôle que l'Allemagne doit jouer
En matière de protection du climat, certains Etats se doivent de donner le bon exemple, argumente Frankfurter Allgemeine Zeitung :
«Une politique de protection du climat à l'échelle mondiale ne sera envisageable que si un certain nombre de pays montrent que les mesures qui s'imposent sont de l'ordre du possible. Que lutte contre la pollution ne rime pas nécessairement avec appauvrissement. Et que cette poignée d'Etats sont les seuls capables d'assumer ce rôle de précurseurs pour deux raisons : premièrement, parce qu'ils ont les moyens de fournir un effort aussi important ; deuxièmement, parce qu'ils produisent davantage de gaz nocifs pour le climat par habitant que les autres pays. L'Allemagne remplit ces deux critères. Il est peut-être vrai que seuls, nous n'y arriverons pas. Il n'y a pas que l'Allemagne sur Terre ; mais l'Allemagne a un rôle décisif à jouer.»
La révolution verte est socialement injuste
Jyllands-Posten fait valoir que la mise en application de mesures de protection de l'environnement entraînerait d'importants problèmes en termes d'équité sociale :
«Le jour où taxes et redevances monteront en flèche, on découvrira à quel point la révolution écologiste peut être socialement injuste. Les partis le savent, bien sûr, mais ils cachent bien leur jeu. Exemple : l'annonce de la liste unitaire [socialiste-écologiste qui soutient le gouvernement social-démocrate] d'un renchérissement quasi-certain du prix des billets pour la Thaïlande, assorti toutefois de la mise en place d'un mécanisme qui redistribuera l'argent aux groupes de la société les moins bien lotis. Ce projet illustre l'étendue de l'impuissance : si l'on veut réduire le nombre de vols à destination de la Thaïlande, il ne sert à rien de redistribuer l'argent aux pauvres, car cela leur donnera les moyens d'acheter des billets d'avion.»
Protection du climat et capitalisme sont incompatibles
L'institutionnalisation du mouvement écologiste qui s'opère actuellement ne suffira pas à contenir le changement climatique, souligne le militant écologiste João Camargo dans Público :
«Il y a un an, il n'y avait pas de mouvement social et politique favorable à une politique climatique plus juste et capable d'éviter l'effondrement. Aujourd'hui, ce mouvement existe au niveau mondial. Son expansion est certes importante, mais la volonté de l'institutionnaliser risque aussi de le compromettre. ... Le capitalisme ne survivra pas à cette crise. La question qui se pose est : nous entraînera-t-il au fond de l'abîme, ou parviendrons-nous à le stopper ? Il n'existe tout simplement pas de programme politique et social en mesure de mettre fin à la crise climatique sans détruire du même coup les structures de pouvoir capitalistes.»
Une mobilisation de grande envergure s'impose
Dans The Guardian, l'ex-chef de file du Labour Ed Miliband appelle à faire face au changement climatique en lui opposant une vision positive, et non pas en brandissant des scénarios-catastrophes :
«Martin Luther King a marqué les esprits pour avoir dit 'I have a dream', et non 'J'ai une vision de cauchemar'. Il nous faut définir collectivement ce rêve et décider quelle sera notre société. ... Gérer la crise climatique est une occasion rêvée d'offrir de meilleurs conditions de vie pour les êtres humains. Nous devons trouver d'autres moyens de chauffer 27 millions de foyers et d'assurer l'approvisionnement électrique de notre industrie, éliminer de la circulation 40 millions de véhicules essence et diesel et planter des dizaines de milliers d'hectares de forêt chaque année. En d'autres termes, nous devons orchestrer la plus grande mobilisation de main d'œuvre, de terre et d'investissement jamais vue.»
L'apartheid climatique est déjà une réalité
Le rapporteur spécial de l'ONU Philip Alston a fait état d'un 'apartheid climatique'. Dans Avvenire, l'écrivain Gerolamo Fazzini abonde en son sens :
«Dans un avenir assez proche, la discrimination ne dépendra probablement plus uniquement de la couleur de peau, mais de la capacité à gérer les lourdes conséquences du changement climatique. Autrement dit, le monde entrera dans une nouvelle phase : celle de l''apartheid climatique' - à vrai dire, elle a déjà commencé. ... N'oublions pas que les pionniers de la protection climatique nous le prédisent déjà depuis longtemps. Il est significatif que l'ONU en apporte aujourd'hui la certification officielle. Espérons que face au risque d'inégalités grandissantes, ceux qui possèdent davantage et ont davantage de leviers d'action se joindront à la lutte contre le changement climatique.»
Le pire reste à venir
La canicule de juin a surtout touché l'Europe centrale. Les Portugais auraient plutôt tendance à se plaindre de la tiédeur de l'été. Sur les ondes de la radio TSF, Nádia Piazza n'en appelle pas moins à la vigilance :
«Mais le pire reste à venir. Grâce à notre anticyclone des Açores, le Portugal est passé entre les mailles du filet, confirmant le dicton qui veut qu'à la Saint-Jean, les températures soient 'douces comme de bonnes châtaignes'. Cependant, la chaleur accablante est à nos portes. ... Oui, ma voix se veut alarmante, car l'heure est grave et nous vivons une urgence climatique. C'est pourquoi nous devons tous nous y préparer, sans exception.»
Il n'y a pas une minute à perdre
Sander Jahilo, spécialiste du développement durable, appelle dans Postimees le gouvernement estonien à prendre les devants :
«Le Premier ministre, Jüri Ratas, a au moins le mérite de ne pas mettre en doute l'origine humaine du changement climatique. En politique averti, il comprend que quand on s'avance en terrain inconnu, il faut faire appel à des spécialistes. Il s'agit de scientifiques, d'organisations de protection de l'environnement et d'organismes qui assurent que le changement climatique est pour sa majeure partie provoqué par l'homme et que les changements interviennent à une grande rapidité. ... Nous n'avons pas le temps de regretter les décisions de politique énergétique court-termistes prises par le passé. Nous devons déclarer la crise climatique, car nous avons déjà perdu un temps précieux.»