France : ouverture du procès des attentats du 13-Novembre
Six ans après les attentats de novembre 2015, qui avaient fait plus de 130 morts, le procès des terroristes présumés a débuté mercredi à Paris. Les audiences seront filmées et rendues publiques. Si les chroniqueurs saluent le travail de la justice, ils appellent à ne pas négliger des problématiques moins visibles.
Espérer un procès ordinaire
Correspondante de longue date du journal Le Soir à Paris, Joëlle Meskens espère que l'envergure du procès ne détournera pas l'attention de l'essentiel :
«Tout sera hors-norme. La dimension de la salle spécialement construite au sein du palais de justice historique de Paris (45 mètres de long), le nombre de parties civiles (autour de 1 800), la durée de l'audience (plus de huit mois), l'épaisseur du dossier (53 mètres de haut). Ce gigantisme sera à la hauteur de l'horreur perpétrée. Quelle que soit son ampleur, le procès ne devra verser ni dans la démesure ni dans la surenchère. Car ce n'est pas un procès d'exception, mais un procès irréprochablement ordinaire qui fera l'honneur d'une nation dont les valeurs n'ont jamais vacillé depuis près d'une décennie de terrorisme islamiste.»
Une preuve de démocratie
Ce procès est essentiel pour la société française, et ce à plusieurs égards, explique Polityka :
«Les autorités françaises accordent une grande importance à ce procès et veulent générer une conscience sociale pour ce chapitre dramatique de l'histoire du pays. Le procès revêt en outre un aspect fondamental en matière de pédagogie juridique. Pour reprendre les propos [du journaliste Soren Seelow, spécialiste des questions de terrorisme, dans Le Monde] : 'La démocratie doit faire la preuve qu'elle sait répondre à la barbarie et à l'assassinat aveugle par la justice, le débat contradictoire et les preuves matérielles'.»
On ne peut emprisonner une idéologie
Cette procédure n'est qu'un jalon dans la lutte contre le djihadisme, commente Marianne :
«Le procès ne sera pas le procès posthume d'assaillants morts dans leur attaque funèbre donc injugeables, mais il doit être surtout celui d'une idéologie mortifère qu'il est difficile de condamner juridiquement et emprisonner derrière des barreaux. Les prisons mentales de ces individus sont plus fortes que le droit. ... Il ne faut jamais oublier que Daech poursuit son entreprise de mort en attendant le jugement dernier.»
Pour que la justice ait le dernier mot
Le procès sera filmé, ce dont se félicite Libération :
«Une audience filmée pour l'histoire, qui pourrait permettre aux témoins qui ont tenu à venir de se hisser au-dessus du statut de victimes que les terroristes leur ont infligé. … Il est regrettable que cet événement national ne soit pas diffusé en direct pour permettre à la solidarité collective de se former autour d'eux, mais les archives filmées resteront pour prouver aux générations futures qu'au-delà des chiffres et des faits, c'est la justice même qui a prévalu sur la barbarie.»
On occulte le problème des banlieues
Ce procès a aussi pour mission de montrer comment une démocratie gère un traumatisme, souligne Stefan Brändle, correspondant de Frankfurter Rundschau à Paris :
«Il importe tout d'abord de montrer que le système judiciaire français ne répond pas instinctivement par la vengeance et la violence, mais de manière sobre, réfléchie et résolue. Depuis le 13 novembre 2015, la France a prouvé qu'il était possible de ne pas se laisser abattre par la peur. La présence policière et le plan vigipirate ont été renforcés, sans pour autant en gâcher la joie de vivre des citoyens. Dans le même temps, ceux-ci refoulent ce qui est probablement le problème numéro un du pays : les banlieues, d'où proviennent la majeure partie des terroristes. C'est le talon d'Achille de la France, et aucune audience ne contribuera à en venir à bout.»