Quid de l'accord céréalier après le bombardement d'Odessa ?
Des représentants de la Russie et de l'Ukraine, sous la médiation du secrétaire général de l'ONU, António Guterres, et du président turc, Tayyip Erdoğan, se sont entendus vendredi à Istanbul sur un accord visant à permettre l'exportation des céréales bloquées dans les ports ukrainiens. Mais dès le lendemain, des missiles russes frappaient le port d'Odessa. Si Moscou affirme avoir bombardé des cibles militaires, Kyiv assure qu'il s'agissait d'infrastructures portuaires civiles. Les chroniqueurs font part de leur amertume.
L'approvisionnement alimentaire en péril constant
La situation inquiète El Periódico de Catalunya :
«L'incapacité de la communauté internationale à imposer le respect de l'accord fait redouter un accroissement de la détresse sociale dans les régions qui ne disposent pas des moyens pour limiter les conséquences de la guerre. C'est inquiétant. ... Même si de premiers céréaliers prenaient la mer après le bombardement du port d'Odessa, la crainte subsisterait que les exportations de céréales soient suspendues à tout moment pour une raison ou pour une autre. En d'autres termes, l'approvisionnement alimentaire de dizaines de millions de personnes est en jeu.»
La Russie peut aussi en bénéficier
Moscou a tout intérêt à respecter l'accord sur les céréales, fait valoir Le Monde dans son éditorial :
«D'une part, il permet [à la Russie] de desserrer l'étau occidental pour ses propres exportations. Surtout, il contribue au récit de propagande de Moscou selon lequel la Russie n'est pas le fauteur de troubles dans les approvisionnements de pays africains et asiatiques qui n'ont pas souhaité, jusqu'à présent, prendre le parti de l'Occident dans cette guerre. Il est rare que l'ONU critique les agissements de l'un des membres du Conseil de sécurité. La condamnation immédiate des tirs de missiles russes par le porte-parole de l'organisation montre bien que Poutine ne pourra pas maintenir la tension à sa guise sans mettre en danger l'application de l'accord.»
Un jeu cynique qui reste impuni
Il ne sert à rien de chercher la paix avec la Russie par le biais de négociations, commente taz :
«Le Kremlin table uniquement sur la soumission par la violence. Le tir de missiles sur Odessa est une démonstration de force. Le message est le suivant : 'N'allez pas croire que vous nous ayez muselés seulement parce que nous avons signé un accord'. ... Aucun accord signé avec le régime actuel à Moscou n'est viable. Le jeu cynique de la Russie est connu depuis la guerre en Syrie est celle dans le Donbas en 2014/2015 : une promesse diplomatique formulée par Moscou est immédiatement suivie par un acte militaire qui tend à la démentir aussitôt, tout en sachant que cet acte restera sans conséquences - la partie adverse désirant la paix.»
Prendre acte de la réalité du Kremlin
L'imprévisibilité de la Russie est une constante, explique également La Stampa :
«La Russie oscille entre accusations de fin du monde et victimisation, entre récits pompeux sur les perspectives réjouissantes de l'économie russe et les dommages 'colossaux' des sanctions occidentales, entre justifications de l'invasion à la lumière de la menace de l'OTAN et reconnaissance du projet de restauration impériale, et, aujourd'hui, entre accords signés et attaques armées qui risquent de rendre caduc l'objectif péniblement atteint via la diplomatie. Ces oscillations soulignent l'imprévisibilité fort prévisible de la stratégie du Kremlin. Fermer les yeux sur cette réalité serait aussi naïf qu'irresponsable.»
Traiter séparément la logistique de guerre
Sur sa page Facebook, Vyatcheslav Assarov, blogueur de gauche établi à Odessa, estime que l'Ukraine aurait dû s'attendre à ces attaques :
«Je l'ai déjà écrit précédemment : pour assurer la viabilité du corridor céréalier, il faut que le territoire d'Odessa soit exclu de la logistique des livraisons d'aide militaire, pour éviter qu'il ne reste la cible des attaques et rendre possible l'exportation de denrées alimentaires. Ce problème n'a visiblement pas été résolu, au contraire, on a peut-être livré de nouvelles armes sous couvert d'un traité céréalier. Tant que le problème ne sera pas résolu, nous resterons exposés à de nouvelles attaques.»
La paix par la force
L'attaque montre que le chef de guerre Vladimir Poutine ne comprend que le langage des armes, souligne le quotidien Kurier:
«Il n'est pas facile de faire la paix avec Poutine. ... Actuellement, le Kremlin ne comprend qu'un seul message : une pression militaire constante, exercée par le biais d'armes occidentales modernes. Poutine ne s'activera réellement sur la scène diplomatique que lorsque la guerre d'agression menée par la Russie se sera complètement enlisée.»