Portugal : pourquoi un tel virage à droite ?
Auxlégislatives anticipées portugaises, le parti de centre-droit Aliança Democrática (AD) a obtenu 29,5 pour cent des suffrages et devancé d'une courte tête le Partido Socialista (PS), 28,7 pour cent, qui était au pouvoir depuis 2015. L'AD a pour l'instant exclu l'hypothèse d'une coalition avec le parti d'extrême droite Chega, qui a plus que doublé son score (18 pour cent). La presse se penche surtout sur l'essor de Chega.
Une législature délicate
El País pointe le danger que Chega représente :
«Luís Montenegro est confronté à un scénario compliqué. Le nombre de ses députés et des députés d'Iniciativa Liberal disposés à le soutenir est loin de la majorité absolue. Cela ne suffira pas pour faire adopter le budget - une circonstance qui, par le passé déjà, a fait chuter des gouvernements. La tenue des élections en 2022, par exemple, avait résulté de l'incapacité des socialistes à faire adopter le budget. ... L'épreuve du feu aura lieu à l'automne, quand le gouvernement devra présenter le budget 2025. ... Il sera alors à la merci de Chega, qui est en position de mettre fin à cette législature et d'amorcer un nouveau cycle électoral.»
La gauche en perte d'influence
Le Portugal suit la tendance européenne, constate Tvnet :
«Les législatives portugaises viennent confirmer la perte globale d'influence de la gauche en Europe. Les socialistes ne sont plus au pouvoir que dans 4 des 27 Etats membres de l'UE. ... Avant 2020, les forces politiques d'extrême droite et les populistes étaient essentiellement hostiles à l'immigration et à l'UE. ... Aujourd'hui, cette hostilité cible aussi les minorités sexuelles et la lutte contre le changement climatique, et la question de la guerre est à l'ordre du jour. L'idéologie d'extrême droite séduit fortement les électeurs mécontents, ceux qui souffrent de la hausse du coût de la vie et de l'inflation.»
Le revers de la croissance
Le quotidien Tageblatt cherche à expliquer les pertes de voix des socialistes :
«Le Portugal a connu un véritable essor ces dernières années. Cela se reflète dans le bilan des socialistes : hausse des exportations, conjoncture nationale attractive et hausse des salaires. Mais la croissance économique a aussi ses zones d'ombre : le secteur immobilier, par exemple, échappe à tout contrôle, ce qui a entraîné une crise du marché du logement. Bien que le gouvernement ait augmenter le salaire minimum, il est devenu difficile pour de nombreux Portugais de joindre les deux bouts. Mais au lieu de voter plus à gauche, de nombreux électeurs se sont au contraire tournés vers la droite.»
L'opposition, meilleure option pour les socialistes
The Irish Times évoque le rôle futur de la gauche :
«Le nouveau chef de file du PS, Pedro Nuno Santos, a affirmé que son parti n'avait pas l'intention de laisser Chega devenir la voix principale de l'opposition. Il envisage d'assumer lui-même ce rôle, même s'il n'exclut pas, à court terme, de permettre la formation d'un gouvernement de centre-droit minoritaire - un gouvernement, du reste, qui pourrait avoir du mal à tenir toute une législature. Les socialistes espèrent retrouver leur force et leur crédibilité sur les bancs de l'opposition, et démontrer que que l'essor spectaculaire de l'extrême droite est davantage le fait d'une contestation éphémère qu'une caractéristique durable de la politique portugaise.»
Une tâche ardue pour Luís Montenegro
Le journal Les Echos fait le commentaire suivant :
«L'air soucieux qu'affiche déjà cet homme imposant, réfléchi, peu charismatique et à l'exercice assez solitaire du pouvoir, en dit long sur les difficultés qui l'attendent. Derrière l'assainissement des comptes publics et une croissance résistante, les salaires restent bas et l'inflation conséquente, les jeunes déguerpissent aussi vite que les retraités étrangers affluent, et la grogne monte contre la vie chère . … A condition, d'abord, d'arriver à former une majorité de pouvoir, alors qu'il martèle depuis des mois refuser toute alliance avec les populistes. C'est louable de vouloir fermer la porte aux trouble-fêtes. Mais ils se sont déjà invités à l'anniversaire.»
Une défaite pour les partis traditionnels
Dans son éditorial, Público appelle les partis modérés à mener une véritable réflexion sur les raisons du succès de Chega :
«Il ne suffit plus de critiquer la popularité des réponses simplistes et des tirades démagogiques, ou encore l'instrumentalisation de problèmes réels ou imaginaires, dont 'personne ne voudrait parler'. ... A partir de maintenant, les forces démocratiques devront considérer la 'victoire' de Chega comme leur propre défaite. Alors, et alors seulement, seront-ils en mesure de se réinventer, afin d'empêcher que ne se renforcent ceux qui privilégient le conflit au compromis, qui ne rechignent pas à mentir, manipuler et tromper, et qui, à part donner libre cours aux instincts les plus vils, n'ont pas grand-chose à offrir au pays.»
La fin d'une exception
La Repubblica fait part de sa consternation :
«C'est la fin de l'exception portugaise. Et c'est aussi la fin du miracle socialiste, envié par les gauches de toute l'Europe. Cette exception, c'était celle d'un pays qui avait su éviter de succomber à la tentation de l'extrémisme conservateur, même dans les moments les plus délicats, comme les sombres années de la troïka, lorsque la souveraineté du pays avait été rognée par les 'hommes en noir' de l'UE, de la BCE et du FMI, venus administrer une austérité douloureuse à une économie au bord de la faillite. ... Ce miracle, qui a duré un peu moins d'une décennie, a été construit avec force habilité par le leader socialiste António Costa, qui a su remettre de l'ordre dans les comptes du pays, assurer l'équilibre budgétaire et relancer l'Etat providence.»
Un vote contestataire
L'extrême droite enverra un fort contingent de députés au Parlement portugais, et ce alors que le pays s'apprête à célébrer les 50 ans de la fin de la dictature de Salazar, souligne Correio da Manhã :
«Chega occupe un espace qui était jusque-là l'apanage des partis situés à gauche du PS : le champ de la contestation, des anti-systèmes, des indignés, de la périphérie. Un rôle important de 'tribun', qui vient de passer de l'extrême gauche à l'extrême droite. Il est ironique que 50 ans après le 25 avril 1974 [révolution des œillets], un parti d'extrême droite compte près de 50 députés.»
En dépit du bon sens
Le bon résultat de l'extrême droite défie toute logique, estime Rainer Wandler, correspondant de taz dans la péninsule ibérique :
«Une part non négligeable de l'électorat donne ses voix à une formation d'extrême droite dont le programme autoritaire et économiquement libéral va à l'encontre de ses propres intérêts. Trump, Milei, Meloni, Le Pen, l'AfD, Vox en Espagne et maintenant le Portugal. 'D'abord la bouffe, ensuite la morale' - voilà ce qui prévalait jadis. Aujourd'hui, l'idéologie haineuse passe en premier. Féministes, LGBTQ, écologistes, immigrés - tous sont fautifs, hormis les véritables responsables, à savoir ceux qui profitent de la politique néolibérale, d'inégalités sociales qui ne cessent de se creuser. Des résultats électoraux qui suscitent une profonde perplexité.»
L'épouvantail suédois
Aftonbladet déconseille de suivre le modèle suédois, - un gouvernement minoritaire toléré par l'extrême droite :
«La Suède sait désormais ce que signifie dans la pratique l'accord de Tidö [sur la coopération du gouvernement conservateur avec le parti d'extrême droite SD]. Economie exsangue, une diète imposée aux aides sociales et à la vie culturelle, une hausse de la répression, du racisme et de la précarité juridique. De plus, SD a inscrit dans l'accord une clause interdisant aux partis au pouvoir de le critiquer ouvertement. En des temps plus raisonnables, la Suède d'aujourd'hui ferait office d'épouvantail.»
L'équilibre habituel menacé
L'essor du parti d'extrême droite Chega vient bouleverser le paysage politique traditionnel, estime Jornal de Noticias :
«Le parti d'André Ventura a montré qu'il était en mesure de s'implanter dans tout le pays. ... Cela ne marque pas la fin du bipartisme dominant, mais confirme pour le moins qu'un parti de taille encore moyenne menace l'équilibre traditionnel. ... Si la viabilité d'un gouvernement minoritaire AD est garantie dans un premier temps, le vote du budget sera un test déterminant. A ce moment-là, il sera plus difficile pour les socialistes de tendre la main au gouvernement de droite, même si un pan du parti pourrait défendre cette stratégie, pour empêcher qu'un rôle majeur n'échoie à Chega.»
Faire avancer le pays
Público espère une action concertée des partis modérés :
«Un scénario d'ingouvernabilité, qui déboucherait sur la tenue d'élections d'ici la fin de l'année, serait le meilleur moyen de donner raison aux Portugais qui ont déserté le camp de la démocratie libérale et qui préfèrent la politique radicale à la tolérance, au sens civique et à l'esprit de solidarité communautaire. Il faut que les dirigeants comprennent que leurs hésitations et leurs négligences s'avèrent plus néfastes aujourd'hui encore ; ils sont tenus d'agir dans des domaines critiques comme la santé et l'éducation ; de se rendre compte qu'il existe de nouveaux défis, comme l'immigration, que l'on ne peut plus se permettre d'ignorer.»