Le Nobel d'économie 2024 récompense trois chercheurs
Le prix Nobel d'économie 2024 a été décerné à Daron Acemoğlu, Simon Johnson et James A. Robinson pour leurs travaux sur les différences de prospérité entre les nations. Au cœur de leurs recherches, le lien entre le rôle joué par les institutions étatiques et la prospérité des pays. Les commentaires de la presse européenne.
La Turquie n'a pas écouté Acemoğlu
Dans Karar, le chroniqueur Taha Akyol déplore que le régime turc n'ait pas écouté le prix Nobel Daron Acemoğlu quand il était temps :
«Dans toutes ses déclarations, Acemoğlu avait toujours salué la croissance de la Turquie entre 2001 et 2008, car celle-ci reposait sur un essor de la productivité. Il avait ensuite critiqué la phase suivante, et même fait part de ses inquiétudes. Faute d'une hausse de la productivité, la croissance reposait exclusivement sur la consommation et les revenus du capital. Il a toujours critiqué la pression politique exercée sur la banque centrale du pays et le népotisme lié à la bureaucratie. ... Je regrette que le gouvernement n'ait pas écouté Acemoğlu et d'autres véritables économistes en 2012-2013. Si nous l'avions fait, nous aurions atteint aujourd'hui un PIB par habitant de 25 000 dollars [23 000 euros environ]. Toutes ces années perdues, quel dommage...»
Pas d'institutions inclusives en Russie
Sur le portail Ekho, le politique en exil Maxim Katz explique comment les trois chercheurs évaluent les institutions russes dans leurs travaux :
«Selon eux, la Russie n'a jamais été, à aucun stade de son développement, un pays doté d'institutions inclusives. Ni sous l'Empire russe, avec son servage et son autocratie ; ni à l'ère soviétique, où le travail forcé et les paysans sans droits - qui ne pouvaient quitter les Kolkhozes - étaient la norme ; ni sous la Fédération russe actuelle de Poutine, où le régime se cantonne à empocher les bénéficies du pétrole et où les citoyens ont été privés de droits politiques. Les auteurs considèrent la Russie, mais aussi la Chine, comme des pays dont la croissance économique est bridée par leurs propres institutions.»
D'autres ont poussé la réflexion plus loin
D'autres chercheurs auraient davantage mérité le prix, estime taz :
«Daron Acemoğlu, Simon Johnson et James Robinson se sont demandés pourquoi beaucoup de pays restaient pauvres alors qu'ils pourraient se développer. Leur réponse : ces Etats sont pillés par une petite élite, comme l'illustre par exemple des pays d'Amérique latine. Mais cette approche 'institutionnelle' a des failles. ... Elle fait trop peu de cas du rôle de la revalorisation des salaires, des syndicats ou d'une politique fiscale équitable. D'autres économistes ont approfondi ces points, surtout les deux français Emmanuel Saez et Gabriel Zucman. Le modèle qu'ils ont élaboré aurait vraiment mérité le prix Nobel d'économie.»
Que ceux qui rêvent d'autocraties tendent l'oreille
Frankfurter Allgemeine Zeitung s'attarde sur un point :
«La thèse centrale des économistes nobélisés, testée selon une méthode empirique, est la supériorité économique des démocraties sur les autocraties, dans une perspective à long-terme. Un Etat de droit fournit en effet aux entreprises et aux consommateurs un cadre d'action supérieur à celui que fournissent les autocraties, à la merci des caprices de leurs dirigeants. A notre époque plus que jamais, cette conclusion peut éclairer beaucoup de gens en désamour avec la démocratie et en quête d'hommes forts (ou de femmes fortes) qui leur montrent la voie de l'avenir. L'essor économique de la Chine n'est pas en contradiction avec l'argumentation des lauréats. Les régimes autocratiques peuvent rattraper et imiter l'industrialisation, mais à ce jour, l'innovation se fait davantage dans les démocraties que dans les autocraties.»
Des prévisions qui se confirment pour la Chine ?
Expressen évoque le cas de la Chine :
«Les chercheurs récompensés font la différence entre institutions 'inclusives' et 'extractives' dans les anciennes colonies. Les pays dominés par des institutions inclusives favorisent la créativité et la satisfaction au travail ; dans ceux régis par des institutions extractives, des élites locales ont récupéré le rôle des colons et n'ont aucun intérêt notoire au changement. Acemoğlu et Robinson avaient publié les conclusions de leurs travaux dans un livre paru en 2012, 'Prospérité, puissance et pauvreté : Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres', qui était devenu un best-seller. Dans cet ouvrage, ils avaient formulé une prévision audacieuse : une stagnation à venir de l'économie chinoise – l'absence de participation des citoyens à l'économie étouffant progressivement l'esprit d'innovation. Xi Jinping est peut-être en train de leur donner raison.»