Nouvelle doctrine nucléaire russe : un péril ?
Vladimir Poutine vient de signer la révision de la doctrine nucléaire russe, annoncée en septembre. Le texte stipule qu'une attaque conventionnelle contre la Russie par toute nation soutenue par une puissance nucléaire sera considérée comme une attaque conjointe. Le seuil d'utilisation des armes atomiques en cas de menace contre la Russie a également été abaissé. Les appréciations des médias sont contrastées.
Le risque subsiste, aussi infime soit-il
Malheureusement, on ne peut jamais exclure la possibilité qu'il ne s'agisse pas d'un bluff, redoute Avvenire :
«La Russie aurait-elle vraiment recours à des armes atomiques, même purement tactiques, en Ukraine ? Nombreux sont ceux à estimer que les menaces de Poutine ne sont que du bluff. Les Ukrainiens en tête, qui redoutent un désengagement de l'Occident. Et avec eux, de nombreux pays européens, des Etats baltes au Royaume-Uni. La Pologne est plus prudente : elle construit des refuges et propose aux Etats-Unis d'héberger des armements nucléaires. La Suède est plus pragmatique : elle a distribué des dépliants à cinq millions de foyers, indiquant les instructions à suivre en cas de frappe nucléaire. ... A une probabilité de 99,9 pour cent, Poutine bluffe. Mais quid du terrible 0,1 pour cent restant ? Il n'y a pas de réponse à cette question, juste des craintes.»
Mieux vaut ne pas jouer avec le feu
La Vanguardia fait part de ses inquiétudes :
«S'agit-il d'une nouvelle provocation sans conséquence ? Ou bien un nouveau tir de missile ukrainien pourrait-il provoquer une riposte nucléaire russe ? Il faut espérer qu'il s'agisse simplement d'une énième bravade, mais on a quand même fortement l'impression d'une transition politique. L'administration Biden est sur le départ. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, également. Comme l'a indiqué fort justement le politique espagnol, il est 'irresponsable' de la part de la Russie d'agiter la menace nucléaire. Il a raison, mais mieux vaut ne pas jouer avec le feu. Il faut désamorcer l'escalade militaire le plus vite possible.»
Poutine attend Trump
Il ne faut pas se laisser intimider par les menaces russes, fait valoir e-vestnik :
«Poutine n'a pas d'alliés, à l'exception des régimes les plus obscurantistes de la planète : la monarchie communiste primitive de Kim Jong-un, l'Etat islamiste d'Iran et le régime du dictateur Loukachenko, le plus archaïque d'Europe. ... Il faut y ajouter le régime néo-stalinien de Poutine. Ses propos sont aberrants : alors que la Russie attaque l'Ukraine entière avec tout un arsenal d'armes et importe de pays tiers armes et troupes, l'Ukraine n'a pas le droit de tirer sur la Russie. Et si quelqu'un remet en cause ce 'droit', Poutine brandit la menace nucléaire. Mais il ne passera pas à l'acte à cause des missiles ATACMS. Il attend l'entrée en fonction de Trump, dans l'espoir que celui-ci lui accorde ce qu'il veut.»
Une anticipation du duel avec Trump
Le Kremlin se prépare à un bras de fer, croit savoir La Repubblica :
«La menace du Kremlin répond à Biden, mais elle s'adresse en réalité à son successeur, en posant sur la table deux cartes antagonistes : la disposition de Poutine à examiner les perches potentiellement tendues par Trump pour mettre fin à la guerre en Ukraine, et la détermination du même Poutine à recourir aux armes nucléaires si la Russie se trouvait 'menacée'. C'est le début d'un bras de fer imprévisible et brutal entre Trump et Poutine, dont l'issue dépendra uniquement des deux protagonistes. Cela pourrait déboucher sur un nouveau 'Yalta', qui redéfinirait les sphères d'influence en Europe, en Afrique et au Proche-Orient pour mettre fin aux conflits actuels ; mais qui pourrait aussi déboucher sur un choc frontal entre deux dirigeants prêts à tout pour l'emporter sur l'adversaire.»
Vers une nouvelle 'crise des missiles' ?
La situation est aussi sérieuse qu'en 1962, juge Népszava :
«Avec ce message en guise de réponse évidente à Washington, le président russe mène la planète au bord d'une guerre nucléaire, comme cela avait été le cas pour la dernière fois lors la crise de Cuba. ... Il y a des différences entre les évènements de l'époque et ceux d'aujourd'hui, mais elles sont infimes. ... Si l'on ne parvient pas à inverser la tendance dans un avenir proche, et à orienter le processus dans le sens d'une solution négociée, alors la possibilité théorique s'ouvre pour Poutine de recourir aux armes atomiques. Pas pour faire plier l'adversaire, mais pour le contraindre à répondre avec des armes conventionnelles, en vue d'éviter une guerre nucléaire mondiale.»
La situation reste la même
Cette nouvelle doctrine ne change pas grand-chose, assure Frankfurter Allgemeine Zeitung :
«Il en va pour ce texte comme pour tous les documents officiels dans la Russie de Vladimir Poutine : sa signification n'est pas littérale, mais dépend de l'interprétation arbitraire qu'en fera le pouvoir. ... Depuis que Poutine a mis en état d'alerte les forces nucléaires lors de l'annexion de la Crimée au printemps 2014, il joue avec la menace du recours aux armes atomiques pour avoir les coudées franches dans ses agressions militaires conventionnelles. La prudence de l'Occident dans le soutien militaire à l'Ukraine constitue la réaction - fondée - à cette posture. Le Kremlin élargit les conditions liées au recours aux armes nucléaires et les définit de manière un peu plus vaseuse - mais cela ne change pas grand-chose aux menaces existantes.»
Un message à la nation
Corriere della Sera y voit un signal destiné à l'arène politico-médiatique russe :
«Suite à la décision prise vendredi par les Etats-Unis [autoriser l'Ukraine à frapper le territoire russe avec des missiles longue portée], les médias russes - télévision notamment - ont aussitôt fait jouer la fierté patriotique. ... 'Trois missiles bien placés, et c'est toute la civilisation britannique qui s'effondrerait et disparaîtrait pour toujours', a tonné un expert militaire sur la première chaîne d'Etat, affichant une carte avec toutes les capitales et les lieux sensibles d'Europe susceptibles d'être frappés par les missiles de son pays. ... Certaines personnalités et certains médias avisés, au fait des intentions de Poutine et de son cercle personnel, continuent d'exclure le recours à l'arme ultime, mais cela ne change rien. Tel est malheureusement le vent qui souffle depuis des années sur la Russie.»