L'Espagne sortira-t-elle de l'impasse politique ?
Gouvernée depuis maintenant neuf mois par interim, L'Espagne appelle à nouveau ses citoyens aux urnes pour la troisième fois en l’espace d’une année. L'intransigeance des partis sur la question catalane contribue à cette paralysie, soulignent les commentateurs.
Le dossier catalan décisif pour Madrid
Les conservateurs et les libéraux de Ciudadanos sont strictement opposés à une sécession de la Catalogne. Les socialistes préconisent une voie médiane consistant à accorder davantage d’autonomie à la région. A gauche, Podemos compte des séparatistes dans ses propres rangs. Dans une pareille constellation, l'enjeu catalan constitue une des questions clé de la politique espagnole, explique La Vanguardia :
«Nous aurions déjà un gouvernement si tant de ponts n’avaient pas été sabotés. L’Espagne ne serait pas bloquée si Madrid ne s’était pas catégoriquement muré dans le mutisme [envers la Catalogne]. Le 11 septembre 2016 [jour de manifestations pro-indépendantistes catalane] amorce ainsi un processus complexe qui ne pourra aboutir à la réussite que si l’on construit des ponts tous azimuts. La lassitude qui s’empare de toutes les parties est un signe que la stratégie du choc frontal a fait son temps. En Catalogne, il n’y a pas de majorité favorable à une sécession unilatéralement déclarée – comme l'a montré le scrutin du 27 septembre. Et en Espagne, il n’y a pas de majorité favorable à un gouvernement inflexible.»
Personne ne veut gouverner à Madrid
Les deux grands partis traditionnels, PP et PSOE, sont responsables de la paralysie du système politique espagnol, s’insurge La Vanguardia :
«On ne peut plus reprocher à un seul parti l’immobilisme qui frappe l’Espagne depuis le 20 décembre 2015. Ce ne serait pas crédible. Bien sûr, [le chef du PSOE] Pedro Sánchez a détruit des ponts hier, et compliqué encore un peu plus la donne. Que ce soit par cohérence politique, comme il l’a affirmé, ou par rancœur contre Rajoy, comme l’affirment d’autres. Mais il est vrai aussi que le PP ne s’est pas suffisamment efforcé de s'assurer d’autres soutiens. … On peut dire que ni le PP ni le PSOE n’ont jugé particulièrement urgente une mission pourtant prioritaire aux yeux d'une majorité d’Espagnols : celle de donner au pays un gouvernement à part entière, à même de diriger le pays de manière décente et de rendre des comptes au parlement.»
L'Espagne fonctionne bien sans gouvernement
L'Espagne dispose actuellement d'un gouvernement intérimaire, et celui-ci ne s’en tire pas si mal que cela, estime la politologue Nadia Urbinati dans La Repubblica :
«Il y a quelques années, la Belgique a parfaitement réussi à se passer de gouvernement pendant un an et demi. Une situation comparable se profile aujourd’hui en Espagne. La société civile semble bien s’accommoder de l’absence de gouvernement et de la perspective d’un nouveau scrutin qui, espérons-le, fera sortir le pays de l’impasse. Parallèlement aux débats politiques sur la nécessité de gouvernements forts, s’impose ça et là l’idée d’un appareil basé sur des normes universelles, en mesure d’assurer la cohésion de la société avec des lois moins arbitraires que celles que nous impose la politique, dominée par la volonté électorale et les tractations entre les partis. La condition préalable est bien sûr une société suffisamment solidaire et cohérente.»
L'immobilisme, une stratégie qui ne mène à rien
Renouvellement politique, lutte contre la corruption, modification du droit de vote ; voilà quelques une des conditions que le nouveau parti Ciudadanos exige pour faire de Mariano Rajoy le Premier ministre. Ce dernier va devoir battre en retraite, estime El Periódico de Catalunya :
«Lors de son intervention calamiteuse hier, Rajoy s’est à nouveau réclamé de la stratégie qu'il poursuit depuis le 20 décembre : gagner la partie en épuisant ses adversaires, ou en d'autres termes redevenir Premier ministre sans le moindre effort, sans intentions sérieuses d’initier les changements politiques nécessaire ni de renouveler son parti, dans lequel la corruption a pris des proportions inacceptables pour une démocratie. ... Il semble n’y avoir aucune issue de sortie, pourtant un pacte est indispensable, car l’option d'un troisième cycle électoral au sein d’une même année reviendrait à foncer dans le mur.»
Une troisième élection n'est pas une option
La crise du gouvernement qui déstabilise l'Espagne depuis des mois intervient dans un contexte très défavorable, explique Upsala Nya Tidning :
«Il n’y a pas que l'économie qui bat de l’aile dans l’Espagne sans gouvernement. La Catalogne franchit de nouvelles étapes dans le processus d’indépendance. La majorité au sein du Parlement catalan a récemment voté en faveur de sa propre Constitution en plus de la Constitution espagnole. Parallèlement, certains travaillent à la création d'une banque centrale et d'autres institutions nationales. Tout cela devrait être prêt d’ici le printemps. On souhaite ensuite organiser un référendum, quel que soit l’avis du gouvernement central. ... Le Président catalan Carles Puigdemont a rencontré brièvement Mariano Rajoy en avril. Depuis, c'est silence radio. Pour éviter que l’Espagne ne sombre dans le chaos, ce qui ne doit pas arriver, tout le monde s’accorde à le dire, Rajoy doit arrêter de jouer au vexé et se mettre au travail. Une troisième élection n’est pas une option pour l’Espagne.»
Un nouveau scrutin serait insupportable
L'Espagne n'a pas encore digéré les récents bouleversements politiques, commente le journaliste Jorge Almeida Fernandes dans Público :
«Depuis sept mois déjà, l'Espagne n'a plus de gouvernement et nombreux sont ceux qui prédisent que cette situation pourrait perdurer jusqu'en novembre ou janvier, dates possibles d'un troisième scrutin. ... En Espagne, le passage d'un système bipartite à une réalité où quatre partis dominent la scène politique n'a pas encore donné lieu à de nouvelles règles permettant d'aboutir à des compromis. Au contraire, nous assistons à un jeu de vétos qui s'entremêlent et qui nuisent fortement à la recherche de solutions viables. Lors de la dernière législature, les élections anticipées étaient la seule solution. Un troisième passage aux urnes est politiquement intenable, mais pas inéluctable.»
Il y a toujours une solution
Le pays arrive à s'en sortir étonnamment bien sans gouvernement, analyse le journal économique Cinco Días :
«Alors que les partis ne parviennent pas à s'entendre sur la formation d'un gouvernement depuis le mois de janvier, et qu'ils semblent de moins en moins disposés à essayer de le faire, 2 555 personnes par jour ont trouvé un emploi sur la même période. L'Espagne des fonctions tourne le dos à l'Espagne qui fonctionne. Alors que l'Espagne officielle et politique n'a pas fait son travail, car on ne va pas bien loin avec des belles paroles et des déclarations d'intention, les entreprises et les acteurs de l'économie ont fait en sorte que tout fonctionne. ... Mais si la crise politique perdure, ce qui semble être le cas, le redressement pourrait marquer le pas. Personne ne comprend l'incapacité des partis au consensus. Chacun sait qu'il n'y a pas d'accord faute de volonté. Quand on veut, on peut.»