La Grande-Bretagne se replie-t-elle sur elle-même ?
Au congrès des Tories à Birmingham, Theresa May a promis davantage de justice sociale. La ministre de l'Intérieur Amber Rudd a renchéri en exprimant sa volonté de limiter le nombre de travailleurs immigrés. Les observateurs craignent qu'un 'Brexit dur' ait de vastes répercussions sur l'ensemble de l'Europe.
Les Ecossais n'accepteront pas un Brexit dur
La chef de gouvernement écossaise Nicola Sturgeon a brandi la menace d’un nouveau référendum sur l’indépendance du pays si la Première ministre britannique Theresa May maintenait l’option d’un 'Brexit dur'. Voilà qui place May mais dans une position délicate, analyse The Times :
«La revendication première de Sturgeon - le maintien dans le marché unique européen - est quasi-impossible à satisfaire pour May. Il semble en effet de plus en plus improbable que la chef du gouvernement britannique obtienne l’accord avec l’UE qui aboutisse au 'Brexit soft', qui convienne à tous. En tant que Première ministre, May a le pouvoir de ne pas autoriser la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. Or elle s'est placée dans une position difficile : elle insiste sur le devoir de respecter le résultat du référendum sur le Brexit - à valeur purement consultative - qui l’a placée au pouvoir. Comment peut-elle donc rester sourde à la volonté du peuple écossais, qui a majoritairement voté pour rester dans l’UE ?»
La contre-révolution antilibérale de May
Le Figaro établit un parallèle entre la Première ministre Theresa May et Margaret Thatcher, qui ont toutes deux redéfini la politique britannique :
«Theresa May s'est engagée depuis le 13 juillet dans une contre-révolution antilibérale. Elle pourrait marquer un nouveau tournant pour les pays développés, placé sous le signe de la démondialisation. La ligne politique de May, arrivée de manière inattendue au 10 Downing Street, n'a ni la cohérence idéologique ni la fermeté dans l'expression qui demeurent la marque de fabrique de la Dame de fer, figure dominante de la décennie 1980. Elle s'inscrit néanmoins en rupture avec le consensus britannique des 35 dernières années. ... Pour l'Europe, cela sonne le glas des stratégies d'équilibre des comptes publics et d'un ordre public économique qui devait beaucoup au libéralisme britannique en même temps qu'est apporté un renfort funeste aux populismes.»
Londres n'a pas à discriminer les Européens
Tant que la Grande-Bretagne sera encore membre de l’UE, le gouvernement britannique devra respecter la législation européenne en vigueur, assène El Paìs :
«Le Brexit entraîne une perte bien plus grave que celle de l’appartenance à l’UE : la perte de l’ouverture, de la tolérance et de la volonté d’intégration qui caractérisaient un pays qui a toujours fait office de modèle de cohabitation multi-ethnique.… Les partenaires européens ont de très bonnes raisons de s’opposer vigoureusement à ces mesures. La Grande-Bretagne est à ce jour encore membre de l’UE. Et tous ceux qui y vivent, y compris les étrangers - qu’ils soient ou non ressortissants de pays de l’UE - bénéficient des droits garantis par les traités européens, notamment ceux protégeant de la discrimination.»
Il n'y a rien à craindre d'un 'Brexit dur'
L’exemple du Canada illustre qu’un pays peut commercer en grande partie librement avec l’UE tout en contrôlant l’immigration qui en provient, explique The Daily Mail :
«La grande quantité de produits chinois dans nos magasins et nos foyers prouve qu’un pays ne doit pas nécessairement faire partie du marché unique pour pouvoir y commercialiser ses marchandises à hauteur de plusieurs milliards de livres sterling. La Grande-Bretagne essayera toutefois de conclure avec l’UE un accord commercial affranchi de droits de douane. Le Canada et l’UE ont récemment conclu un accord de ce type – ce qui n’aura pas pour conséquence que cet Etat membre du Commonwealth soit tenu de contribuer au budget de l’UE ou d’accepter la libre circulation des citoyens entre lui et les 28 (bientôt 27) Etats membres de l’UE. C’est précisément ce qui fait qu’une nation est souveraine et indépendante, pour reprendre la formulation employée par Theresa May lors du congrès de son parti à Birmingham.»
L'économie britannique garrottée
L’intention de restreindre l’accès au marché du travail britannique pour les travailleurs immigrés est une menace pour l’économie du pays, pointe The Irish Times :
«La réussite économique de la Grande-Bretagne est basée sur l’ouverture du pays au commerce et aux affaires, mais aussi sur la libre circulation des travailleurs spécialisés, surtout dans la City londonienne. Le modèle économique libéral s’en trouvera privé de sa sève-même, ou du moins est-ce le message émis par les Tories lors de leur Congrès la semaine passée. Le risque que des citoyens étrangers se voient limiter l’accès à des possibilités de travail en Grande-Bretagne constitue un autre facteur d’insécurité et de risque pour des milliers d’entreprises. De la technologie à la pharmaceutique en passant par la finance, les entreprises ont besoin de recruter les meilleurs éléments, qu’elle que soit leur nationalité.»
Le Brexit, la chance d'une réorientation économique
La sortie de l’UE pourrait avoir un effet-choc bénéfique à l’économie de la Grande-Bretagne, suppose en revanche Financial Times :
«Dans le cas de l’Allemagne et du Japon, la défaite de la Seconde Guerre mondiale a été l'occasion de redéfinir l'économie nationale des deux pays. Le Brexit pourrait avoir le même effet sur la Grande-Bretagne. C’est pourquoi la double-stratégie présentant d’un côté un Brexit dur et de l’autre un changement fondamental du capitalisme britannique a quelque chose de fascinant. Le premier élément est le choc déclencheur, le second est le changement. Dans ce scénario, la City londonienne n’est pas vouée au déclin. En se dotant de nouveaux modèles d’entreprise de technologie financière ou en tant que centre financier dérégulé sur le modèle de Singapour, elle pourrait même réussir brillamment. Au demeurant, son importance relative au sein de l’économie britannique est probablement appelée à décroître.»
La démocratie européenne s'effrite
La nouvelle attitude des Tories est une preuve de plus que la démocratie européenne part à vau-l’eau, analyse Le Soir :
«La xénophobie prônée par Viktor Orban ou Nigel Farage est désormais la politique officielle de ce Royaume-Uni dont les travailleurs et le business étrangers ont fait l’opulence – pas bien partagée il est vrai – d’aujourd’hui. … Est-ce la sortie, symbolique avant d’être légale, de ce pays hors de l’UE qui a fait lâcher les digues? Ou n’est-elle que la preuve qu’il n’avait rien à faire dans notre Union ? Une Union européenne incapable de relever les défis et de défendre sa propre démocratie, qui ressemble de plus en plus à l’Organisation des Nations unies, observatrice éternellement impuissante des génocides, comme de celui à l’œuvre en Syrie. La démocratie européenne n’est plus seulement en danger. Elle sombre déjà. Resterons-nous les bras ballants ?»
Theresa May devrait modérer ses propos
Theresa May cause du tort à son pays en essayant d’imposer un Brexit au pas de charge, fait valoir ABC :
«Il ne faut pas oublier les 16,1 millions de Britanniques qui veulent rester dans le giron de l’Europe. Face à un résultat aussi court, qui divise la société et ravive les rêves sécessionnistes de l’Ecosse, on peut réagir de deux façons différentes : soit rechercher un accord avec l’UE en s’inspirant du modèle de la Norvège ou de la Suisse, soit faire le choix d’une rupture radicale qui exclue le pays du marché unique. Il semblerait que le gouvernement britannique ait choisi la deuxième variante, ou du moins est-ce l’impression produite par May lors du congrès de son parti. … Reste à espérer que ce populisme nationaliste était une attention à l’adresse des membres du parti et que dans les négociations avec l’UE, May fera preuve de davantage de réalisme. Le Royaume-Uni est grand. Mais il porterait préjudice à ses citoyens s’il continuait de rêver de 'splendide isolement'.»
La chef des Tories ratisse large
La Première ministre va à la pêche aux voix – surtout à droite, mais aussi à gauche, observe La Vanguardia :
«Dans son premier discours important depuis qu’elle réside au 10 Downing Street, la chef de file des conservateurs s’est surtout adressée à l’aile droite de son parti et aux électeurs du parti xénophobe UKIP. Elle n’a pas pour autant oublié l’aile gauche, en essayant de disputer au Labour la défense de l’Etat social. … Theresa May mise non seulement clairement sur la déconnexion par rapport à l’Europe – rappelons que pendant la campagne, elle n'était pas une farouche défenseuse de la sortie de l'UE – mais elle essaie aussi d’élargir son électorat à droite et au centre en émaillant d’accents nationalistes un discours placé sous le signe d’une 'Grande-Bretagne globale' pour les Britanniques.»
Le protectionnisme supplante le libéralisme
Theresa May est en train de renoncer à une valeur fondamentale des conservateurs, selon Les Echos :
«Elle veut s'adresser aux 'travailleurs ordinaires', met ostensiblement l'accent sur les questions migratoires, pour mordre à la fois sur le terrain du Labour et des populistes du UKIP, en pleine crise existentielle. Elle incarne une autre tradition qui a le vent en poupe, y compris en France, protectionniste et interventionniste. Une petite révolution pour les conservateurs, qui abandonnent leurs habits libéraux pour prendre des accents souverainistes. Avec même quelques relents nationalistes. On croit entendre Arnaud Montebourg ou Marine Le Pen dans les discours des ministres de Theresa May, faisant l'éloge des aides d'Etat ou exigeant des entreprises britanniques qu'elles listent leurs employés étrangers. La City a fait sa fortune sur son ouverture au monde. Elle a beaucoup à perdre à un repli sur soi.»
La Grande-Bretagne à l'ère de la 'post-vérité'
The Daily Telegraph déplore que la Première ministre ait conforté beaucoup de Britanniques dans le sentiment erroné que les immigrés prenaient le travail des autochtones :
«May s’est adressée à des gens qui nourrissent la suspicion ou la crainte – basées sur un ressenti, et non sur des faits – qu’ils sont pauvres ou au chômage à cause de l'immigration – et elle leur a donné raison. L’essence de son message est : vos sentiments importent plus que les faits. … N’en tenez pas compte, écoutez votre ressenti. Si l’immigration suscite en vous la peur et la colère, ces émotions sont légitimes. Elle va plus loin : vos sentiments sont la preuve que vous avez raison. Si ces propos vous rappellent un débat politique mené ailleurs dans le monde, c’est normal. Car les remarques sur l’immigration et l’emploi de Mme May sont directement issus de la 'politique post-vérité' de Donald Trump.»
May peut colmater la fracture de la société
Theresa May a certes réussi à rassembler le parti derrière elle mais cela ne suffit pas, commente Frankfurter Rundschau :
«La base militante du parti lui témoigne une sympathie qu’elle n'avait jamais témoignée au prédécesseur de May, David Cameron. Ceci est aussi dû au fait que May a fait preuve d’une grande retenue dans son argumentation en faveur du maintien dans l’UE, tant en termes de rhétorique que de contenus, ce qui l’a rapprochée des membres du parti majoritairement europhobes. … May fait probablement une interprétation juste quand elle voit dans la courte majorité pour la sortie plus qu'un refus de Bruxelles. Des millions de Britanniques se sentent abandonnés par l’élite libérale de Londres. Davantage d’investissements dans les régions négligées d’Angleterre ne changeront pas la donne du jour au lendemain. Mais c’est une mesure nécessaire pour colmater la fracture de la société.»