L'Italie se dirige vers des élections anticipées
Le président de la République italienne, Sergio Mattarella, a chargé l'économiste pro-européen Carlo Cottarelli de former un gouvernement de transition. Le M5S et la Ligue avaient échoué dans cette entreprise suite au veto mis par Matarella à la candidature de l'eurosceptique Paolo Savona au poste de ministre de l'Economie et des Finances. Quelles seraient les conséquences d'élections anticipées ?
Pas de Macron italien en vue
Stefano Folli, spécialiste des questions politiques à La Repubblica, se demande qui pourra encore stopper la marche des partis europhobes :
«Ces formations se saborderont bien d'elles-mêmes. Le M5S, dans sa tentative de faire oublier la piètre image qu'il donne de lui, est bien parti pour se transformer en une secte extrémiste aux allures subversives. Et le rusé Matteo Salvini est désormais tiraillé entre Berlusconi d'un côté, et le M5S de l'autre. Il devra choisir à la hâte avec qui partager le pouvoir, car le temps vient à manquer et tout cavalier seul est exclu. Ensuite, il faut des europhiles pour stopper des eurosceptiques. Où sont-ils ? Personne ne le sait vraiment. En France, l'année dernière, Macron avait pris le dessus sur Marine Le Pen, la Salvini française. ... Le problème de l'Italie, c'est qu'il n'y a pas de politique comme Macron, qui serait susceptible de faire de nouvelles synthèses.»
L'euro sera l'enjeu des prochaines élections
Neue Zürcher Zeitung explique comment l'UE doit se préparer à l'éventualité d'une sortie de l'Italie de la zone euro :
«Les élections anticipées s'apparenteront à un plébiscite pour ou contre l'euro. Ce sera pour l'Union européenne une rude épreuve, après celle du Brexit. L'Italie doit tout d'abord mener un débat qui soit le plus objectif possible sur les avantages et les inconvénients de la monnaie unique pour le pays. Il importe ensuite que les gouvernements des autres Etats de la zone euro se préparent à une sortie ordonnée de l'Italie de l'Union monétaire. Ils doivent réfléchir aux moyens qu'ils sont prêts à déployer pour sauver l'Italie si elle venait à s'effondrer - et s'ils en ont les moyens.»
Laisser les populistes gouverner
Pour Rzeczpospolita, l'échec de la formation d'un gouvernement a rendu la situation encore plus explosive en Italie :
«La crise italienne ne fait que commencer, et elle peut engendrer une sérieuse crise européenne. Nous ne prendrons la mesure réelle de sa gravité qu'au lendemain des élections anticipées, le jour où les deux partis populistes que Mattarella vient de bloquer auront encore plus le vent en poupe. La procédure du président n'est pas sans risques. En effet, il n'a pas été mandaté par le peuple (il a été élu par des députés, les sénateurs et les délégués des régions), ce dont peuvent en revanche se targuer les deux partis eurosceptiques vainqueurs des élections. Il se peut qu'aux prochaines élections, la colère contre l'establishment enfle encore. Il serait bon de laisser les populistes gouverner tant qu'ils n'ont pas été plébiscités à l'unanimité. A l'épreuve de la réalité, ils mettront de l'eau dans leur vin.»
Améliorer la productivité vaut mieux que dévaluer sa monnaie
L'Italie est la seule responsable de sa déroute économique, pointe Die Presse, qui évoque le début des années 1970 :
«L'Allemagne se détachait du peloton en termes de compétitivité. Les autres pays européens avaient le choix entre deux décisions : défendre leur position sur les marchés d'exportation par le biais de dévaluations de leur devise, ou les ouvrir à l'Allemagne par le biais de dures réformes structurelles en termes de productivité. L'Italie a fait le premier choix. En Autriche, le directeur général de la banque centrale Heinz Kienzl (SPÖ), le ministre des Finances Hannes Androsch (SPÖ) et le président de la banque centrale Stephan Koren (ÖVP) imposaient un strict arrimage du schilling au deutschemark. ... La différence se ressent clairement aujourd'hui. On en retient donc l'enseignement suivant : quand on ne peut pas dévaluer, on doit améliorer sa compétitivité en augmentant sa productivité. L'expérience a montré que c'était possible. Et que c'était une voie prometteuse. »
Bravo Mattarella !
Regina Krieger, correspondante de Handelsblatt en Italie, tire sa révérence au président italien :
«Il a eu exactement la réaction qu'il fallait dans le chaos politique qui ébranle l'Italie depuis des semaines, fait plonger les cours de la Bourse et attise la nervosité sur les marchés financiers. Il a actionné tous les leviers que sa fonction et la Constitution mettent à sa disposition et opposé son veto à un candidat ouvertement eurosceptique au poste de ministre de l'Economie. Mattarella a trouvé les mots et le ton justes pour faire barrage à une rhétorique aussi dangereuse qu'obtuse. ... Souhaitons à Mattarella que le bastion garanti par la Constitution résiste aux coups antidémocratiques en dessous de la ceinture. C'est encore plus important pour l'Italie que les problèmes économiques.»
Quand le président fait fi du verdict des urnes
Pour le quotidien Mandiner en revanche, Mattarella foule aux pieds les principes démocratiques :
«La presse internationale mainstream n'a de cesse de le ressasser : partout dans le monde, les nouveaux mouvements dits 'populistes' sapent les fondements de la démocratie, face aux anciennes forces libérales, gardiennes de la démocratie. Or comment caractériser une situation dans laquelle un président appartenant à une caste politique surannée, pour des raisons clairement politiques, empêche les partis désignés par les électeurs de former un gouvernement en bloquant la nomination de ministres ? N'est-ce pas là un mépris total de la démocratie et de la volonté des électeurs ? Imaginons qu'un chef d'Etat 'populiste' empêche la formation d'un gouvernement de 'démocrates libéraux', au motif que les ministres proposés ne lui plaisent pas. Quelles seraient les réactions ?»
Les élites européennes sont antiréformistes
Il est absurde de reprocher à la Ligue et au M5S d'entraver l'intégration européenne, déplore Lorenzo Marsili, fondateur de l'ONG European Alternatives, dans The Guardian :
«L'UE a besoin d'être réformée rapidement et en profondeur. Or un establishment politique inconscient veut laisser les choses en l'état - et advienne que pourra. Manfred Weber, le président allemand du Parti populaire européen (PPE), a commenté les efforts en vue de former un gouvernement en Italie de la façon suivante : 'La réforme de la zone euro est désormais condamnée'. On rejette ainsi la faute sur d'autres. Et pourtant, l'Allemagne n'a aucun intérêt à voir la réforme de la zone euro mise en œuvre. Elle entrevoit aujourd'hui la possibilité de stopper le moindre changement. ... Alors que les défis actuels nécessitent leadership et clairvoyance, nos responsables politiques agissent tels des somnambules au bord du précipice.»
Un ultime débat sur l'Europe
Dans La Repubblica, l'analyste politique Stefano Folli qualifie le chef de file de la Ligue, Matteo Salvini, de grand vainqueur du long bras de fer qui se termine :
«Ce n'est pas sans raison que l'on dit que Salvini, contrairement [au chef du M5S] Di Maio, misait dès le départ sur l'échec d'une coalition menée par un Premier ministre invisible [Giuseppe Conte], à laquelle il n'a jamais cru. Il se prépare depuis longtemps à des élections anticipées, pour écraser le M5S en brandissant le drapeau du 'souverainisme'. C'est pourquoi il n'a pas cherché à remplacer Savona par un candidat plus rassurant, [le numéro deux de la Ligue] Giancarlo Giorgetti. ... Les élections anticipées seront le dernier choc entre des conceptions opposées de l'Europe, du vivre-ensemble au sein de l'UE, de la politique économique et ainsi du rôle de la monnaie unique.»