Les conséquences de l'Affaire Khashoggi
Avec la multiplication des révélations relatives à la mort du journaliste Jamal Khashoggi, la pression s'accroît sur la maison royale saoudienne. Outre les tensions entre la Turquie, les Etats-Unis, l'UE et l'Arabie saoudite, les éditorialistes européens se penchent également des aspects de l'affaire qui ont été, de leur point de vue, négligés.
Quelque chose qui cloche...
Dans Corriere del Ticino, le président de l'ONG suisse Security and Protection Against Crime and Emergencies (Space), Stefano Piazza, ne pense pas que Mohammed Ben Salman ait eu un quelconque intérêt à assassiner le journaliste :
«Pourquoi un prince ambitieux comme Mohammed Ben Salman, prince héritier désigné, qui dispose du soutien des Etats-Unis et d'autres acteurs régionaux, aurait-il décidé de se laisser entraîner dans une affaire dont il ne pouvait qu'escompter un discrédit, des sanctions et un isolement international ? ... Quelque chose ne va pas ici. Et si les ennemis du prince héritier, qui sont légion même au sein de sa propre famille, avaient tout fomenté ? On a le sentiment que les chapitres les plus sombres de cette histoire n'ont pas encore été écrits.»
En Occident aussi on muselle les journalistes
Dans les démocraties occidentale aussi, les journalistes sont sous pression, analyse le journaliste Marko Radmilovič sur le portail de la chaîne RTV Slovenija :
«Les propriétaires de médias et, souvent, les rédacteurs même qu'ils emploient, évoquent ouvertement l'insignifiance des journalistes. Ceci signifie, à mon sens, que dans le paysage médiatique moderne, un bon client publicitaire a autant d'importance que tout un bataillon de journalistes. Dans les pays démocratiques, les annonces publicitaires ont réussi à décapiter les journalistes. Les démocraties occidentales restent encore un tant soi peu civilisées, et l'on ne décapite les journalistes que de manière symbolique. Mais il y a en Europe aussi des magnats douteux qui n'hésiteraient pas à trancher la gorge fragile d'un reporter.»
Pas d'armes pour les despotes saoudiens
La guerre au Yémen serait une raison suffisante de cesser de vendre des armes à l'Arabie saoudite, souligne De Standaard, qui s'en prend à la société wallonne FN Herstal :
«Le tabou politique n'a cessé de gagner en importance au fil des années. L'argument sans cesse rebattu, c'est que si FN ne vend pas ses armes à Riyad, un concurrent le fera. Ce qui serait sacrifier les travailleurs wallons pour satisfaire en premier lieu des Flamands moralisateurs. ... L'Arabie saoudite est le premier client de FN Herstal ; le pays achète près de la moitié de sa production. ... La guerre au Yémen est en train de se transformer en véritable catastrophe humanitaire et des millions de personnes sont en détresse. Face à ce constat, toutes les justifications paraissent éminemment immorales. La Belgique verse 25 millions d'euros pour remédier aux effets tragiques d'une guerre alimentée par des armes wallonnes.»
Le président turc en position de force
Erdoğan fait d'une pierre deux coups, écrit Troud :
«Je lui tire mon chapeau ! En quelques jours seulement, grâce à une seule manœuvre, il a réussi à rabattre le caquet à un prince saoudien plein de morgue, qui a carte blanche pour exiger des Américains ce qu'il veut, mais aussi celui de Trump, obligé sous la pression internationale de retirer son soutien à Riyad. Le tout sous couvert de défense de la liberté d'expression ! Incroyable quand on pense que le régime d'Erdoğan réduit au silence les confrères turcs de Khashoggi et qu'il n'existe plus en Turquie de médias qui ne se plient pas à sa volonté et qui ne diffusent pas sa propagande.»
Les adversaires de MBS se montreraient reconnaissants
Erdoğan fournit une nouvelle fois la preuve de sa rouerie, commente Frankfurter Rundschau :
«En procédant à des divulgations et en générant un tollé international, Erdoğan espère avoir à l'usure la maison royale saoudienne. Erdoğan est sur la même longueur d'onde que les membres du clan saoudien désireux de mettre fin au plus vite à la domination du prince héritier. Si le vieux roi Salman devait céder à la pression, Erdoğan serait certain d'obtenir la reconnaissance du reste du clan saoudien, et par là même de nouveaux investissements de plusieurs milliards issus du trésor saoudien.»
Comment Trump cherche à tirer son épingle du jeu
Gazeta Wyborcza suppose de son côté que le président américain cherche à assurer une médiation :
«Trump a dépêché la directrice de la CIA, Gina Haspel, à Ankara. Si elle est officiellement chargée de contribuer à l'enquête, on peut estimer que sa véritable mission consiste à jouer les pompiers, et à empêcher que ne soient proférées contre Ben Salman des accusations directes, susceptibles de mettre Trump en difficulté. ... Après le discours tenu mardi par Erdoğan devant le Parlement, il est encore possible de limiter l'impact de l'affaire Khashoggi, en invoquant l'action de quelques agents qui auraient agi de leur propre chef - si tant est que cette version soit acceptée par les services secrets turcs.»
Les divulgations, pas un problème pour Riyad
Il n'est pas impossible que l'Arabie saoudite se réjouisse de la divulgation du meurtre de Khashoggi, commente le quotidien pro-AKP Daily Sabah :
«Le travail des services de renseignement est de plus en plus complexe. Des opérations censées rester secrètes transparaissent au grand jour. Du fait, parfois, des erreurs commises par leurs auteurs. Mais on a aussi l'impression que le pays se trouvant derrière l'opération n'a pas vraiment l'intention de la dissimuler - comme s'il voulait qu'elle serve d'avertissement à d'autres cibles potentielles. En d'autres termes, certains pays aiment afficher leur puissance.»
La révélation au grand jour d’une rivalité intrasunnite
La Turquie a su habilement avancer ses pions dans l'affaire Khashoggi, estime Le Figaro :
«Au cours des trois semaines écoulées, le gouvernement turc a fait subir à la monarchie saoudienne une sorte de supplice persan. Sans la dénoncer officiellement, il a distillé sous le manteau à la presse turque de plus en plus de détails ... C'est qu'il y a, entre le néo-ottomanisme du président Erdoğan et le wahhabisme modernisé du prince héritier MBS, une rivalité pour la domination du monde sunnite - la grande majorité des musulmans ... L'affaire Khashoggi a révélé chez les musulmans l'acuité d'une rivalité intrasunnite qui, jusque-là, était cachée par l'ancestrale opposition sunnites-chiites.»
Riyad sur la corde raide
Le quotidien pro-gouvernemental Sabah estime lui aussi que l'Arabie saoudite devra revoir sa politique :
«Après qu'Erdoğan a annoncé qu'il divulguerait sans ménagement toute la vérité, Trump a appelé son homologue turc pour s'entretenir avec lui, pour la première fois depuis l'affaire Brunson. Car les preuves que la Turquie présentera seront également décisives pour la poursuite des relations entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite. Si Riyad, aussi bien au plan intérieur qu'au niveau régional, aspire à la stabilité, elle devra réorienter sa politique étrangère.»
Toute une campagne de promotion... en vain
Pour le quotidien conservateur Shorouk, le royaume traverse sa pire crise depuis sa création en 1932 :
«Seuls quelques pays se sont déclarés solidaires de l'Arabie saoudite. ... Cette solidarité restreinte est au cœur de la crise actuelle. Riyad n'aurait jamais pu se la figurer, même dans ses pires cauchemars. 'L'incident d'Istanbul' a détruit l'image que l'Arabie saoudite s'efforce de soigner depuis des décennies : celle d'un pays désireux d'aider les pauvres, de lutter contre le terrorisme et de promouvoir la stabilité. ... Par sa puissance financière et les liens étroits qu'elle entretient avec ses alliés, il est fort probable que le royaume surmonte la crise. Mais dans 'l'après-Khashoggi', plus rien ne sera comme avant pour Riyad.»
Trump : l'argent d'abord, les vies humaines ensuite
Trump applique une politique du deux poids deux mesures au Moyen-Orient, déplore Večernji list :
«Il est intéressant de constater que Donald Trump fait confiance à Ben Salman, dont le pays, responsable au Yémen de la plus grande catastrophe humanitaire actuelle, est le champion des violations des droits de l'Homme, mais qu'il n'accorde en revanche aucun crédit à l'Iran quand ce dernier affirme ne pas fabriquer la bombe nucléaire. Si un autre Etat avait commis dans un autre pays un acte aussi répugnant - découper en morceaux un journaliste - il aurait rapidement été la cible de missiles de croisière Tomahawk et de bombardiers B-52. Trump et plusieurs autres pays occidentaux ne sanctionneront probablement jamais l'Arabie saoudite, car elle représente beaucoup d'argent, environ 380 milliards de dollars issus du commerce d'armes. ... Un pays qui incarne par excellence la démocratie et la liberté s'intéresse davantage à ses ressources matérielles qu'aux droits de l'Homme et aux vies humaines.»
La politique au Moyen-Orient est toujours équivoque
Il est un peu facile de reprocher à Trump sa réticence à sanctionner Riyad, affirme Lidové noviny :
«Ceux qui accusent Trump de livrer des armes à l'Arabie saoudite sont généralement ceux-là même qui en exportent en Iran, sans songer aux droits de l'Homme. Il est évident qu'en coopérant avec l'Arabie saoudite, on mène un double jeu. Mais s'acoquiner avec l'Iran, dont le régime fondamentaliste menace d'anéantir certains Etats, est tout aussi insidieux. La grande et vraie question qui se pose est la suivante : où trouver un pays musulman au Moyen-Orient avec lequel on puisse se lier sans se compromettre ?»
Les Etats-Unis risqueraient de se nuire à eux-mêmes
Ria Novosti déconseille aux forces politiques américaines d'imposer des sanctions trop rigoureuses à l'Arabie saoudite :
«Si les fonds saoudiens étaient gelés aux Etats-Unis, Riyad serait amenée à chercher d'autres sources financières. Et quelle que soit la composition du mix de devises - euros, yuans, or ou autres - qui se mettrait alors en place, le système du pétrodollar signerait son arrêt de mort, avec les conséquences désastreuses que ceci impliquerait pour l'économie états-unienne et mondiale. ... Si les députés américains optent pour la confrontation sans merci avec Riyad, ils auront une fois de plus démontré que l'ego surdimensionné et le manque de jugeote peuvent l'emporter au sein de l'élite politique de ce qui fut autrefois une grande puissance .»
La domination de Riyad vouée à péricliter
En manifestant ses velléités de régner en maître sur le Moyen-Orient, l'Arabie saoudite va s'attirer des ennuis, estime Dserkalo Tychnia :
«Les ambitions des jeunes politiques [d'Arabie-Saoudite] radicalisent leurs actes, ce que nous ont clairement montré les derniers événements, en particulier l'affaire Khashoggi. Si la coercition, les interventions armées, les blocus, les persécutions et l'assassinat des opposants deviennent les instruments caractéristiques de sa politique étrangère, l'Arabie saoudite doit s'attendre à ce que tôt ou tard, la communauté internationale contre-attaque. Avec pour conséquences une modification radicale des rapports de force dans la région, un délitement des positions saoudiennes et la fin du désir d'hégémonie de Riyad dans la région.»
Les despotes ont le vent en poupe
L'Arabie saoudite n'est pas le seul pays où la disparition de dissidents est monnaie courante, déplore La Stampa :
«L'assassinat de Jamal Khashoggi au consulat saoudien d'Istanbul est emblématique d'un phénomène beaucoup plus répandu : l'agressivité croissante de la part des dirigeants de nations autocratiques ou illibérales envers tous types d'opposants ou d'individus gênants. ... Nous sommes donc confrontés à un phénomène nouveau, probablement le résultat de l'affaiblissement des relations internationales : des despotes, des autocrates et des monarques absolus voient dans la décomposition de l'architecture multilatérale l'occasion de consolider leur pouvoir en poursuivant partout leurs ennemis internes. Sans trop se soucier des lois, traités et conventions sur lesquels repose le concept même de coexistence entre les nations.»
La fin de l'impunité
Cette fois-ci, les maîtres de Riyad ont surestimé l'immunité dont ils jouissent, estime El Mundo :
«Les hiérarques d'un régime dictatorial pensent bénéficier de l'impunité. Mais la mondialisation, avec tous ses défauts, a réduit les espaces d'immunité de ceux qui attentent aux droits de l'homme. ... La monarchie saoudienne, avec ses us et coutumes moyenâgeux incompatibles avec la modernité, a d'abord commis une grossière erreur de calcul. Avec une suffisance jusque-là incontestée, elle a de toute évidence perpétré ce qui semble être un crime d'Etat contre le journaliste critique Jamal Khashoggi. L'affaire est si abominable - la presse turque affirme qu'il a été démembré vivant - que la bulle d'impunité qui protégeait Riyad a éclaté.»
Sévir enfin
Plusieurs pays européens ont demandé que soit menée une enquête indépendante. L'Europe doit envoyer un signal fort, estime NRC Handelsblad :
«On peut associer un visage au caractère criminel du régime. Enfin. Bien entendu, il y a eu par le passé de nombreuses occasions d'estimer que l'Arabie saoudite n'est pas un pays normal. ... Mais avec l'affaire Khashoggi, une nouvelle ligne a été franchie pour la communauté internationale. ... La circonspection est de mise en diplomatie. Mais une prudence excessive risque aussi d'être interprété différemment. Après toutes les obstructions initiales à l'enquête côté saoudien, il convient désormais d'envoyer un signal. ... Le moment est venu, notamment au niveau européen, de remettre en question les liens avec l'Arabie saoudite.»
Le mythe du jeune réformateur arabe
L’Occident pensait que le prince héritier saoudien serait le garant de la démocratisation de son pays. Or comme Bachar Al-Assad en Syrie, Mohammed Ben Salman s’est avéré pire que son père, déplore Financial Times :
«Certes, la jeunesse est porteuse d'énergie. Mais l'inexpérience peut canaliser cette énergie dans la mauvaise direction. Inexpérience rime avec insécurité : le besoin des fils de consolider leur pouvoir les conduit à écarter les vieux conseillers. Ils gouvernent sur une base de pouvoir plus étroite et se rabattent sur leurs instincts paranoïaques. L'erreur récurrente des institutions politiques occidentales a été de confondre la jeunesse avec un engagement pour le changement, et de supposer que les jeunes dirigeants, qui voyagent à l'étranger, s'intéressent à l'art et au monde numérique, sont plus enclins à agir de façon responsable.»
L'abitraire plutôt que la justice
Delo se demande quel bouc émissaire les Etats-Unis trouveront cette fois-ci :
«Les Etats-Unis sont un pays résolu et sérieux, et s'ils prennent des sanctions, celles-ci seront lourdes. La question est seulement de savoir qui paiera le prix pour le terrible assassinat du journaliste saoudien. Car la règle qui a prévalu jusque-là, c'est que la 'juste punition américaine' pour les crimes saoudiens a toujours frappé des tiers. Lorsque des citoyens (majoritairement) saoudiens avaient détourné des avions de ligne pour attaquer les Etats-Unis le 11 septembre 2001, c'est en Afghanistan que Washington était parti en guerre. A plusieurs reprises, des tribunaux américains ont par ailleurs attribué la responsabilité de ces attaques terroristes au régime chiite en Iran, lui imposant de verser des réparations aux proches des victimes du 11 septembre.»
Khashoggi aura semé la graine du changement
Polityka espère que la disparition de Khashoggi sera le catalyseur du changement en Arabie Saoudite :
«L'affaire Khashoggi affectera sûrement en tout premier lieu l'héritier du trône Mohammed Ben Salman. Dans la famille royale, ce ne sont pas les complots et les concurrents impatients de succéder au vieux roi Salman qui manquent. Il faut donc s'attendre à une intrigue de palais et à la tentative de renverser le tout puissant 'MBS'. Mais peut-être Khashoggi réussira-t-il à devenir une icône du mouvement d'émancipation des femmes et des défenseurs de la libéralisation de ce qui est la monarchie la plus oppressive au monde. Même si les réformes ne seront à l'ordre du jour ni demain ni après-demain en Arabie saoudite, la disparition de Khashoggi rapproche l'heure du changement pour le pays.»
La funeste alliance Washington-Riyad
Washington continuera de soutenir les Saoudiens, assure le spécialiste du Proche-Orient Alberto Negri dans Il Manifesto :
«Les Etats-Unis ne veulent ou ne peuvent pas doucher l'insolence de Riyad, son principal client en matière d'armement, qui finance un sixième du budget américain de la Défense. Depuis des décennies, les Saoudiens sont pourtant les bailleurs de fonds de l'islam radical. Les Etats-Unis ont lancé en 2001 la 'guerre contre le terrorisme' - un terrorisme pourtant financé par l'Arabie saoudite elle-même, de l'Afghanistan au Proche-Orient. ... L'alliance américano-saoudienne n'est pas une alliance, mais une véritable complicité dans les pires désastres et massacres du demi-siècle écoulé. Voilà l'unique vérité connue avec certitude.»
L'argent prend le pas sur les droits de l'homme
La Suède, privilégiant ses intérêts économiques, s'abstient elle aussi depuis des années de critiquer l'Arabie saoudite, déplore Aftonbladet :
«Que le gouvernement ait été de centre-droit ou de gauche, le résultat a toujours été le même. Le blogueur militant Raif Badawi, jeté en prison et fouetté, n'a pas fait bouger les lignes. Le ministre de l'Economie, Mikael Damberg, continue de se rendre à Riyad pour soutenir le commerce avec l'Arabie saoudite, aiguillonné par de puissants représentants de l'économie. A tous les niveaux, l'argent prend le pas sur les droits de l'homme. Comme nous le montre une nouvelle fois l'affaire Jamal Khashoggi.»
Une disparition qui ne peut être niée
The Washington Post évoque des similitudes avec l'affaire Snowden aux Etats-Unis :
«Les dommages causés par l'affaire Snowden avaient mis les alliés des Etats-Unis dans une situation impossible. Les éléments attestant un espionnage américain ne pouvant plus êtres niés, des alliés de longue date comme le Brésil et l'Allemagne avaient notamment été contraints de restreindre leur coopération. ... Jamal Khashoggi est entré dans le consulat saoudien à Istanbul. Il n'en est jamais ressorti. Les artifices et les illusions réconfortantes n'y changeront rien.»
Le choix de la Turquie n'a rien de fortuit
Evrensel évoque les raisons pour lesquelles, selon lui, la 'disparition' s'est produite à Istanbul :
«Si la Turquie a été choisie comme lieu du crime dans l'affaire Khashoggi, c'est parce que le pays s'oppose à l'Arabie saoudite dans le conflit entre Riyad et Téhéran au Proche-Orient et dans la péninsule arabique. Il convient par ailleurs de noter que l'administration américaine, dans la mise en œuvre de ses plans dans la région, rencontre des difficultés avec la Turquie. Les Saoudiens pourraient donc avoir estimé que les Etats-Unis ne broncheraient pas si la disparition du journaliste survenait en Turquie.»
Tracer une ligne rouge
Si la responsabilité de Riyad dans la disparition de Khashoggi était établie, des sanctions seraient inévitables, souligne Die Presse :
«Céder n'est pas une option envisageable. Cela ne ferait que renforcer le prince jeune et impulsif qui dirige de facto l'Arabie saoudite. Pendant l'été, quasiment aucun Etat occidental ne s'était rangé aux côté du Canada, qui, pour avoir critiqué la détention de militantes des droits des femmes par Riyad, avait été frappé d'ostracisme diplomatique et financier par l'Etat du Golfe. Aujourd'hui aussi, les différents gouvernements, de Berlin à Washington, n'osent élever la voix de peur de mettre en péril les contrats et les ventes d'armes de plusieurs milliards conclus avec l'Arabie saoudite. Mais il convient visiblement de recadrer la prince héritier ; il faudra lui tracer une ligne rouge dès qu'il y aura des preuves de son implication dans le meurtre de Khashoggi. Dans le cas contraire, la seule valeur qui restera commune aux pays occidentaux sera l'indifférence.»
Le crime de trop
Dans De Volkskrant, la chroniqueuse Sheila Sitalsing se demande pourquoi l'Occident a attendu aussi longtemps pour critiquer l'Arabie saoudite :
«De tous les régimes malveillants, celui de Riyad était peut-être celui le moins remis en cause en Occident. Le régime tranche têtes et mains ; il traite les femmes comme de simples machines à enfanter soumises à leurs époux ; il sévit de manière impitoyable contre les dissidents ; il est responsable, enfin, de crimes de guerre et d'une catastrophe humanitaire au Yémen. Mais tout cela ne nous a pas vraiment dérangés, pour deux raisons : le pétrole et la guerre contre Daech. ... Mais la disparition de Khashoggi a visiblement été le crime de trop.»
L'état de droit en lambeaux
Pour The Guardian, l'affaire dénote une crise des valeurs au niveau international :
«Elle dénote un mépris généralisé du droit international et de cet 'ordre mondial basé sur des règles', tant malmené et abondamment regretté. La disparition de Kashoggi illustre ce qui peut se produire quand la primauté de la loi s'effondre - et que bien loin de se battre pour la restaurer, des leaders et des gouvernements élus démocratiquement sont les complices des dictateurs et des despotes responsables, ou du moins font-ils comme si de rien n'était. Des scandales aussi flagrants arrivent tous les jours, et tous les jours, ils restent impunis.»
Un sentiment d'impunité ?
Mohammed Ben Salman a probablement l'impression de pouvoir agir à sa guise, analyse De Telegraaf :
«Le prince héritier s'est senti renforcé par le président Trump, lequel a effectué en Arabie saoudite sa première visite à l'étranger après son élection. D'anciens diplomates américains soulignent que grâce Trump, Salman estime avoir les coudées franches. Le président américain, à l'instar du président Erdoğan, n'a quasiment rien dit après la disparition de Kashoggi. Car les deux dirigeants ont besoin de l'Arabie saoudite sur les plans politique et financier.»
Des traces visibles
Les ravisseurs de Khashoggi voulaient faire passer un message, assure Star, quotidien inféodé au pouvoir :
«Leur attitude montre qu'ils n'ont même pas essayé d'éviter les erreurs. Ils ont délibérément laissé des traces derrière eux. ... Aucun service secret - on sait désormais que 15 ressortissants saoudiens, membres du renseignement, ont atterri le 2 octobre à l'aéroport Atatürk - ne procède de façon aussi négligente. Il s'agit véritablement de 'négligences professionnelles'. ... Le but n'était pas simplement de faire disparaître un dissident, mais aussi de faire passer un message. ... Le pays visé et son gouvernement évalueront la teneur de ce message et élaboreront un 'plan d'action' en conséquence.»
Une tragédie pour l'Arabie saoudite
Si les soupçons pesant sur l'Arabie saoudite se vérifiaient, le pays se retrouverait isolé, écrit Thomas L. Friedman, chroniqueur du New York Times, dans un commentaire relayé par La Repubblica :
«S'il s'avère que Jamal Khashoggi a été kidnappé ou assassiné par des agents du gouvernement saoudien, ce serait une catastrophe pour l'Arabie saoudite et pour tous les pays du golfe persique. Il s'agirait en effet d'une violation incommensurable des normes en matière de dignité humaine. Quels dirigeants occidentaux se rangeraient du côté de Mohammed Ben Salman s'il était prouvé que son gouvernement a kidnappé ou assassiné Jamal Khashoggi ? »
La répression de toute dissidence
Le prince héritier saoudien ne tolère visiblement aucune contestation politique, analyse The Guardian :
«Les développements de l'année dernière dans le royaume saoudien suivent un modèle clair. Depuis que Mohammed Ben Salman est devenu le prince héritier et le dirigeant de facto du pays, l'Arabie saoudite est entrée dans une nouvelle ère, dans laquelle toute dissension interne, quel qu'en soit l'auteur, est brutalement réprimée. ... L'appareil étatique saoudien indique clairement que le changement n'est autorisé et légitime que lorsqu'il émane de lui-même. ... Quoi qu'il soit advenu de Jamal Khashoggi, l'Arabie saoudite crie haut et fort qu'elle appliquera la tolérance zéro en matière de dissensions.»
Aussi une attaque contre la Turquie
Cet imbroglio ne doit pas rester impuni, prévient le quotidien Yeni Şafak :
«Le président Erdoğan suit personnellement l'affaire. Le Parquet a ouvert une enquête et les services de police sont pleinement mobilisés. ... Dans le même temps, la Turquie tente d'élaborer la stratégie à suivre s'il s'avérait que le journaliste a bel et bien été assassiné. Le cas échéant, les autorités devraient réagir de manière ferme et résolue. Car il s'agit d'une attaque qui ébranle la crédibilité, la réputation et la responsabilité de l'Etat turc vis-à-vis des ressortissants étrangers. ... Quoi qu'il en soit, ce meurtre ferait l'effet d'une opération délibérément menée pour mettre la Turquie en difficulté et mettre fin aux relations entre les deux pays.»