Des séparatistes catalans sur le banc des accusés
Le procès intenté aux douze séparatistes catalans a commencé mardi devant la Cour suprême à Madrid. Le Parquet requiert des peines allant jusqu'à 25 ans de prison pour rébellion, sédition et détournement de fonds en lien avec le référendum sur l'indépendance de la Catalogne du 1er octobre 2017. Les éditorialistes évoquent le rôle de la justice et celui des médias.
Les juges méritent notre confiance
Il n'y a pas lieu de parler ici de simulacre de procès, souligne Deutschlandfunk :
«L'organisation Freedom House, d'ordinaire très regardante, considère l'Espagne comme une des démocraties les plus exemplaires au monde. Les juges jouissent d'une grande indépendance dans le pays. C'est notamment pour cette raison que des membres de la famille royale et des politiques influents sont derrière les barreaux. ... La justice espagnole a conscience de la particularité de ce procès. Un procès à l'aune duquel sera mesuré l'Etat de droit espagnol. ... Les sept juges devront dire si les séparatistes catalans sur le banc des accusés ont vraiment commis des infractions, et, le cas échéant, quelle en est la gravité. Ils devront dire si le réquisitoire du ministère public est excessif, comme l'affirment beaucoup d'observateurs - et pas que des séparatistes. Les juges méritent notre confiance.»
Les journalistes n'ont pas droit à l'impartialité
Le rédacteur en chef de La Vanguardia, Màrius Carol, invite les observateurs à se fier à leurs convictions au cours du procès :
«L'audience a suscité de grandes attentes, plus de 600 journalistes se sont fait accréditer. Il leur appartiendra de juger de l'impartialité des juges, mais aussi de la crédibilité des témoignages des accusés. Nous devrions nous rappeler les paroles d'Oscar Wilde, 'nous ne pouvons donner un avis impartial que sur des sujets qui ne nous intéressent pas ; c'est pourquoi les avis impartiaux sont sans valeur'.»
Londres a bien mieux su gérer la question ecossaise
The Independent rappelle qu'en autorisant le mouvement d'indépendance écossais en 2014 à organiser un référendum - qui avait finalement entériné le maintien de l'Ecosse dans le Royaume-Uni, le Premier ministre britannique de l'époque, David Cameron, lui avait coupé l'herbe sous le pied :
«Il a accepté le droit d'un peuple à l'autodétermination et a cherché à le persuader, dans le cadre d'une campagne démocratique, de rester dans le giron du Royaume-Uni au sens large. L'idée de faire d'Alex Salmond, le Premier ministre écossais de l'époque, une figure de martyr en l'emprisonnant n'a jamais été envisageable ne serait-ce qu'une seconde. Si le Premier ministre espagnol refuse d'admettre que son gouvernement fait fausse route en Catalogne, il devrait au moins se rendre compte que son action est contreproductive et qu'elle pourrait engendrer des problèmes encore plus grands à l'avenir.»
La présomption de rébellion est absurde
L'accusation du ministère public ne repose sur aucune espèce de fondement juridique, critique Neue Zürcher Zeitung :
«Le chef d'accusation de rébellion porté par le Parquet contre certains des leaders séparatistes est motivé politiquement ; il y a la volonté d'infliger des peines de prison les plus lourdes possibles. Or le chef d'accusation nommé présuppose l'usage de la violence, auquel les accusés se sont toujours opposés. C'est tout au plus si des manifestants se sont rendus coupables de coercition et n'ont pas suivi les instructions de la police. A la différence du ministère public, le service juridique du gouvernement ne soutient pas l'accusation de rébellion - manifestement absurde.»
Les droits démocratiques sacrifiés
Le Soir offre une tribune à Jordi Cuixart, l'un des douze accusés :
«La lutte pour le droit à la liberté d'expression, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le droit de réunion pacifique, le droit de vote, le droit d'avoir un procès juste mais également la lutte contre la détention arbitraire, en somme la lutte pour les droits civils conjugués aux droits de l'homme sont les bases solides qui doivent régir nos sociétés démocratiques. Aujourd'hui, en Espagne, ces droits sont bafoués sur l'autel de l'unité constitutionnelle. … La crise qui frappe l'Espagne est à la fois une crise politique et une crise démocratique. La réponse judiciaire qui est apportée ne fait que catalyser chaque jour plus les tensions alors que seuls le dialogue et une issue politique permettront de les résoudre.»
Le référendum, une atteinte à la Constitution
El Mundo pour sa part défend l'accusation :
«Le défi des séparatistes lancé à l'automne 2017 constitue la plus grave attaque contre la Constitution qu'elle ait connu dans les quatre décennies de son histoire. Ce n'était pas une révolution du sourire, comme le prétendent faussement ses auteurs. Il ne s'agissait pas non plus d'un processus démocratique, car rien n'est plus antidémocratique que l'infraction des lois. Il s'agissait de créer un Etat catalan sous la forme d'une république et de liquider ce faisant la souveraineté nationale. ... Il ne faut pas l'oublier.»
Une jeune démocratie en difficulté
Jyllands-Posten explique en quoi la crise catalane a transformé l'Espagne et quels en sont les enjeux actuels :
«Le conflit avec la Catalogne a indirectement soufflé dans les voiles de courants fortement nationalistes en Espagne. Le parti Vox siège au Parlement andalou et a une nouvelle fois montré dimanche qu'en se liguant aux conservateurs du PP et à Ciudadanos - partisans d'une ligne dure et intransigeante envers les séparatistes - il était capable de mobiliser des milliers de personnes en un temps record. Le mandat du chef du gouvernement Pedro Sánchez est fragile. En cas d'élections anticipées, il se pourrait que ce qui a commencé comme un soulèvement dans la petite et riche province de Catalogne ait pour une démocratie espagnole encore jeune d'importantes conséquences.»