Sommet européen : peut-on espérer une solution ?
Les tractations menées jusqu'aux petites heures du matin n'ayant pas abouti à un accord, le sommet européen exceptionnel sur le fonds d'aide en réponse à la crise du coronavirus entre aujourd'hui dans sa quatrième journée. Si les diplomates européens soulignent d'importants rapprochements, la presse européenne ne les perçoit pas encore et explique pourquoi il est si difficile de trouver une décision.
Désespérément désunie
Pour l'heure, les "frugaux" sont les seuls gagnants, constate Eric Bonse dans son blog Lost in EUrope :
«Ils ont farouchement tenu tête à la chancelière allemande, Angela Merkel, et au président du sommet, Charles Michel, et rudement revu à la baisse le montant initial de 750 milliards d'euros du programme d'aides. Le coup aurait pu être encaissé si les désaccords n'avait pas mis au jour des failles nouvelles et profondes. Ce n'est plus le Nord contre le Sud et l'Est contre l'Ouest. On constate une révolte contre le duo franco-allemand, et des convoitises portant sur les aides à la crise sanitaire et les rabais sur la contribution au budget. Cette Union est désespérément désunie ; elle ne peut plus s'appuyer sur le socle des valeurs de la démocratie et de l'Etat de droit.»
Ecouter au lieu de jurer
Taxer les opposants à la mutualisation des dettes d'égoïsme et de nationalisme n'avancera en rien l'Italie, estime Corriere della Sera :
«Trois des cinq 'frugaux' passés sur le devant de la scène lors du sommet européen sont dirigés par des sociaux-démocrates : la Suède de Stefan Löfven, le Danemark de Mette Fredriksen et la Finlande de Sanna Marin, qui étaient considérés jusqu'ici comme la fierté de la gauche européenne. Peut-être nos leaders se confrontent-ils donc avec les représentants d'une tradition qui fait honneur à la social-démocratie. Il se peut qu'ils aient tous trois été contaminés par le virus de l'insensibilité et de l'absence de charité ; mais il se peut aussi qu'ils mènent des réflexions dignes d'être entendues quant au comportement économique de notre pays.»
Un tournant existentiel pour l'UE
Süddeutsche Zeitung constate également que l'UE est en train de se tailler elle-même en pièces :
«Le fonds de sauvetage, cette tentative de ressusciter l'UE, est en train de devenir le 'dies irae' : le jour de la colère, suscitée par des modèles de gouvernement et de vie à tel point divergents au sein de l'Europe qu'ils sont devenus irréconciliables. C'est une tragédie car cela illustre l'impuissance de l'alliance entre l'Allemagne et la France - une alliance pourtant devenue rare ces dernières années. Angela Merkel et Emmanuel Macron ont pris les devants dans l'espoir de pouvoir amorcer une dynamique positive pour l'Union. Or ils se heurtent à des pays qui ne pensent qu'à s'arroger la plus grande part du gâteau et au message que l'Union ne s'achète pas avec de l'argent. Si ce projet fédérateur de 750 milliards devait échouer, l'UE aurait vraiment matière à s'interroger sur sa raison d'être.»
Rutte ne joue que la carte nationaliste
De Volkskrant croit que le Premier ministre néerlandais privilégie à tort des considérations électoralistes :
«Il est bien entendu important que les pays méridionaux mènent des réformes afin de consolider et pérenniser leurs économies. Mais des exigences trop strictes peuvent aussi étouffer une économie, comme la Grèce a dû en faire l'expérience ces dernières années. En outre, l'index moralisateur néerlandais est jugé présomptueux, car les Pays-Bas, de par leur économie ouverte, profitent de l'UE. ... Le message lié à l'utilité et à la nécessité de l'Union n'est pas assez mis en avant auprès des électeurs néerlandais. ... Un 'nee' nationaliste ne suffira pas à courtiser les électeurs [avant les législatives de 2021] ; il faut aussi leur présenter une vision d'avenir claire et réaliste.»
Supprimer le vote à l'unanimité
Le processus décisionnel de l'UE est vicié, estime El País :
«Le fait que La Haye prenne le relais de Londres en matière de blocage des projets communautaires révèle que le problème décisionnel de l'UE n'est pas lié au rôle joué par telle ou telle capitale : il se trouvera toujours quelqu'un pour profiter sans payer son dû. Le problème, c'est qu'il faut abolir la méthode du vote à l'unanimité, car celle-ci mène à des vetos, des chantages et des compensations iniques. Les Etats-Unis ont montré la marche à suivre lorsqu'ils ont renoncé au vote à la majorité absolue dans les votes au niveau fédéral, y compris pour les questions constitutionnelles - il y a un siècle et demi de cela.»