La Hongrie peut-elle rester dans l'UE ?
Après l’adoption par la Hongrie d’une loi homophobe se prévalant de combattre la pédophilie, se pose de nouveau la question de la compatibilité de la dérive illibérale hongroise avec l'Etat de droit. Tandis que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, y voit une loi honteuse, le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a demandé au pays de considérer son départ de l'Union. La presse européenne débat des réactions appropriées.
Tout pays doit pouvoir définir lui-même ses valeurs
L'UE n'a pas à se mêler des affaires internes de Budapest, estime Le Figaro :
«La Hongrie n'est-elle pas dans son bon droit ? Qui d'autres qu'elle peut décider de l'éducation qui doit être transmise à sa jeunesse ? … Le recours intempestif à l'article 2 du TUE et aux 'valeurs européennes' ressuscitent une guerre froide culturelle inutile. … Pour le devenir de l'Europe, Bruxelles doit renoncer à se muer en un club progressiste exigeant de ses nations une intégration toujours plus poussée. Intégration hier économique et institutionnelle. Intégration désormais également sociétale, culturelle et donc éducative. Le tout au nom de 'valeurs' dont le contenu serait davantage déterminé par les ONG que par des gouvernements élus.»
Une provocation ciblée
Orbán instrumentalise la loi pour attiser l'euroscepticisme en Hongrie, regrette l'entrepreneur Gábor Bojár dans hvg :
«Je pense que le Fidesz a parfaitement conscience de la valeur sacro-sainte de l'égalité de traitement de toutes les minorités, y compris des minorités sexuelles, inhérente au système de valeurs occidental moderne. Je crois que le parti s'attendait parfaitement aux violentes réactions de l'Occident, et même qu'il les a provoquées délibérément. ... Hélas, il y a longtemps que l'Ouest préfèrerait que la Hongrie d'Orbán ne fasse plus partie de l'UE et de l'OTAN. ... L'Ouest ne semble pas se soucier de ce que la virulence de ces réactions contribue peut-être même à exacerber la propagande anti-UE d'Orbán»
Aucun rapport avec la religion
L'argument selon lequel l'homosexualité serait incompatible avec les valeurs chrétiennes, avancé par nombre de partisans de la loi hongroise, est aussi fallacieux que dangereux, écrit Borislav Zoumboulev, rédacteur en chef de 24 Chasa :
«La tentative de porter sur le terrain religieux un combat politique entre des personnes qui luttent pour leur liberté et d'autres personnes désireuses de les restreindre est à la fois cynique et dangereux. Je suis chrétien, je me définirais même comme un fondamentaliste orthodoxe, et pourtant, en mon âme et conscience, je suis contre les lois hongroises contre l'homosexualité. Car il est ici question de droits civiques, et non de religion. ... La haine est aux antipodes des sentiments chrétiens.»
Couper les fonds à Budapest
The Irish Times appelle Bruxelles à frapper le gouvernement hongrois là où le bât blesse :
«Une ligne rouge a été franchie avec la loi anti-LGBT+ en Hongrie. Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, aurait demandé à Viktor Orbán pourquoi il souhaitait rester dans l'UE, et proposé à la Hongrie de sortir de l'Union. Orbán est opposé à quasiment tout ce que l'UE représente, mais rien ne l'incite à la quitter. Au contraire, la manne des fonds européens contribue à le maintenir au pouvoir. Il est grand temps de bloquer le versement des ces subventions.»
Une exclusion n'aurait aucun sens
L'Europe doit prendre fait et cause pour les citoyens hongrois, fait valoir Der Standard :
«Viktor Orbán, qui était libéral à l'aube de sa carrière politique, a tombé le masque. Il n'a pas compris ce qui faisait l'essence de la communauté de droit et de valeurs européenne. Il est europhobe. Ce serait pourtant une grave erreur que de perdre la tête et d'aller jusqu'à réclamer l'exclusion de la Hongrie de l'UE, comme l'a fait Rutte dans un accès de colère. Au contraire : Orbán n'est pas la Hongrie. Il faut que l'UE et les Etats membres s'investissent davantage encore en faveur des Hongrois, des citoyens. ... C'est aux Hongrois eux-mêmes qu'il revient de renverser Orbán - et ce de préférence dès les prochaines législatives, en espérant qu'ils auront compris l'impasse dans laquelle leur dirigeant les a menés.»
Le révélateur des failles européennes
Le litige lié au respect de l'Etat de droit se transforme en épreuve de vérité, juge La Stampa :
«Alors que l'UE est appelée à prendre des décisions pour sauver les valeurs communes, les atermoiements l'ont poussée jusqu'à la rupture. La question hongroise devient inévitable, par sa gravité, mais aussi parce qu'elle révèle plusieurs lignes de faille au sein de l'Union. Les termes très durs employés par la présidente de la Commission n'ont trouvé qu'un écho limité au Conseil européen. Seuls 17 Etats membres sur 27 ont adopté une position analogue. ... L'opposition entre les grandes institutions européennes avait déjà pu être observée à la fin de l'année passée, quand le Conseil avait humilié le Parlement, en diluant le texte de règlement voté par le Parlement jusqu'à le rendre totalement insignifiant.»
Saisir la justice européenne
Dans Le Soir, un collectif d'universitaires préconise de se tourner vers le Conseil de l'Europe :
« [La loi anti-LGBT+] s'insère plus largement dans un contexte d'érosion délibérée de la démocratie libérale en Hongrie. … La boîte à outils de l'UE révèle ici ses limites. Pourquoi alors ne pas se tourner vers la grande Europe, celle du Conseil de l'Europe, de la Convention européenne des droits de l'Homme et de la Cour européenne des droits de l'homme ? … Le moment n'est-il pas venu ? A quand la requête 'Belgique et 16 autres États membres c. Hongrie' pour dénoncer à Strasbourg, les discriminations et atteintes à la liberté d'expression dont les institutions hongroises se rendent coupables, et qui violent l'ordre public européen ?»