Rencontre Macron/Scholz : quel bilan ?
Emmanuel Macron a effectué une visite d'Etat de trois jours en Allemagne. Les échanges ont été harmonieux. A Dresde, le président français a plaidé la cause de la démocratie et de la défense européenne et souligné l'amitié franco-allemande avec son homologue, Frank-Walter Steinmeier. Les divergences notoires avec le chancelier Scholz, notamment sur la question de l'Ukraine, ont été jugées minimes par les deux parties. Les commentateurs se penchent sur la question.
L'Allemagne agacée par les prétentions francaises
En termes de leadership militaire, une rivalité se dessine entre Paris et Berlin, second fournisseur d'armes à l'Ukraine après les Etats-Unis, analyse le germaniste Jacques-Pierre Gougeon dans Le Monde :
«Berlin s'irrite de voir le président français se profiler en chef de l'Europe. C'est notamment pour cette raison que la réaction négative d'Olaf Scholz a été aussi cinglante lorsque le président français a évoqué l'éventualité de l'envoi de troupes au sol. Cette opposition frontale révèle le rejet d'un postulat français tacite, selon lequel la France, seule puissance nucléaire de l'UE après le départ du Royaume-Uni, aurait une forme de leadership 'naturel' en matière militaire. Aux yeux de Berlin, ce n'est pas le cas. Il faut, dès lors, clairement poser la question d'un leadership partagé.»
D'accord sur un point
Népszava souligne une question qui fait consensus entre les deux grandes puissances européennes :
«Ces dernières années, l'efficacité de l'axe franco-allemand a laissé à désirer. Désormais, Macron et Scholz commencent à comprendre qu'il est impératif qu'ils coopèrent, qu'il n'y a pas d'alternative. ... Or il y a une condition préalable à ceci : simplifier les prises de décisions [au sein de l'UE], autrement dit en finir avec l'instrument du veto. Sur ce point, Macron et Scholz sont parfaitement d'accord. Ils trouvent tous les deux inadmissible qu'un seul pays paralyse le fonctionnement de l'UE en opposant en permanence son veto ou en menaçant de le faire.»
Des dissonances manifestes
Affichée avec ostentation, l'amitié franco-allemande n'est qu'une façade, écrit Radio Kommersant FM :
«De plus en plus souvent, Berlin et Paris sont comme les deux pôles opposés d'un aimant. C'est le cas en politique intérieure et économique (quand les conservateurs sont au pouvoir en Allemagne, c'est la gauche qui gouverne en France, et inversement), mais aussi en politique internationale. Le tandem franco-allemand fait des embardées de plus en plus marquées. Ce n'est pas un hasard si, depuis assez longtemps, Paris trouve plus facilement le soutien de pays méditerranéens comme l'Espagne ou l'Italie que celui de l'Allemagne. Ces derniers mois, c'est sur l'attitude envers la Russie et le conflit ukrainien que le déphasage franco-allemand est le plus flagrant.»
Quand les petits pays donnent l'exemple
Le problème de l'UE, c'est le décalage entre les paroles et les actes, pointe Frankfurter Allgemeine Zeitung :
«Ceci se vérifie tout particulièrement concernant les relations franco-allemandes. Car si les visites d'Etat leur donnent un coup de pouce, une action concertée leur ferait aussi le plus grand bien. L'Europe n'étant plus au centre du monde, Macron a raison quand il dit que les solutions ne peuvent pas être purement nationales ou purement atlantiques. Mais les solutions européennes ont souvent été trop timorées ou trop tardives, notamment dans le cas de l'Ukraine. ... Ce sont parfois les petits Etats qui montrent comment réaliser cette Europe 'puissante et souveraine' dont parle Macron. Les responsables belges sont rarement invités en Allemagne ou récompensés par des distinctions. Or le pays s'est engagé, hier, à livrer 30 avions de chasse F-16.»
Les divergences dominent
Berlin et Paris sont en désaccord sur tout ou presque, estime Lidové noviny :
«Tandis que le président français ne cesse de souligner que sur les plans économique et militaire, les Etats membres de l'UE doivent s'émanciper de la tutelle des Etats-Unis, le chancelier allemand Olaf Scholz est nettement plus prudent. Pour Berlin, les Etats-Unis restent et demeurent le premier garant de la sécurité du pays, considérant le partenariat avec la France comme un complément, rien de plus. Même si la posture visant à se détourner de l'Europe était victorieuse à l'issue de la présidentielle de novembre aux Etats-Unis, cela ne changerait rien à l'affaire. Le premier parti d'opposition en Allemagne, la CDU, bien placée pour remporter les prochaines législatives, suit la même ligne.»
Deux leaders que tout oppose
Il y a encore fort à faire pour forger une véritable amitié, estime L'Obs :
«Si le président et le chancelier s'accordent sur la nécessité de booster l'Europe face à la concurrence des deux géants mondiaux, ils restent en désaccord sur la place du nucléaire, la stratégie budgétaire, les accords commerciaux ou le degré de protectionnisme. ... 'La relation franco-allemande, c'est se dire des désaccords et essayer de trouver des chemins de compromis', relève Hélène Miard-Delacroix, spécialiste de l'histoire de l'Allemagne à la Sorbonne. Mais pour Olaf Scholz, à la réserve toute nordique, et Emmanuel Macron, prompt à bousculer les évidences, le chemin s'avère plus long qu'à l'accoutumée.»
Passer à la vitesse supérieure
Si Macron et Scholz ne parviennent pas à accorder leurs violons, les conséquences seront redoutables, écrit Frankfurter Rundschau :
«Leurs désaccords sur la question des droits de douane sur les importations de voitures chinoises peut coûter des emplois, ce qui nuirait à la prospérité de l'Europe. Par ricochet, cela attiserait dans la population des craintes qui ont profité jusqu'à présent aux partis populistes de droite voire d'extrême droite. Pourtant, les Etats membres de l'UE pourraient répondre à un défi de l'extérieur en serrant les rangs. C'est en tout cas ce qui s'était produit quand le président Donald Trump avait mis sous pression ses alliés européens. ... Mais pour résoudre les nombreux problèmes, il serait souhaitable d'enclencher la vitesse supérieure. C'est le rôle qui incombe au moteur franco-allemand.»
Prendre son mal en patience
La France table sur une alternance au pouvoir en Allemagne, à l'issue des législatives de septembre 2025, croit savoir Rzeczpospolita :
«Au vu du taux de popularité dramatique du SPD (autour de 15 pour cent), Macron est tenté d'attendre patiemment que le mandat du gouvernement actuel se termine. En effet, de nombreux facteurs tendent à laisser penser que dans un peu plus d'un an, le chef de file de la CDU/CSU, Friedrich Merz, prendra le relais d'Olaf Scholz. Paris table que le chrétien-démocrate reste aussi intraitable sur les questions financières, mais qu'il se montrera probablement plus ouvert à une coopération dans d'autres domaines.»
Le troisième volet de l'unité européenne
Le Triangle de Weimar - France, Allemagne et Pologne - est le seul salut possible pour l'Europe, écrit dans La Repubblica l'eurodéputé Bernard Guetta :
«A l'heure où la situation aux marches de l'UE n'a jamais été aussi dangereuse depuis 1939, l'armée française est la seule défense de l'Union. ... C'est ce qui a tiré de son profond sommeil le Triangle de Weimar, maintenant que les Polonais ont relégué la droite germanophobe [PiS] dans les rangs de l'opposition. ... La marche vers une défense commune sera inévitablement freinée par des conflits d'intérêt. ... Mais le rapprochement de ces trois pays est annonciateur de ce qui est en train de devenir sous nos yeux le troisième volet de l'unité européenne : après le marché commun et la monnaie unique, l'heure de l'unité politique a sonné. »