Sommet européen : vers un durcissement de la politique migratoire ?

Les Vingt-Sept ont décidé de réviser "d'urgence" la législation en vigueur afin d'accélérer l'expulsion des demandeurs d'asile déboutés. Bruxelles envisage notamment de 'nouveaux dispositifs' pour lutter contre l'immigration irrégulière. Dans ce contexte, des centres de migrants placés dans des pays tiers ont fait l'objet de discussion. C'est ce que l'Italie est en train de mettre en place en Albanie. La presse européenne déchiffre la situation.

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In.gr (GR) /

Une diabolisation de l'immigration utile

Le portail In critique sévèrement la nouvelle orientation :

«Nous vivons sur un continent vieillissant et pourtant, au lieu d'être considérés comme une solution et une bouffée d'air frais face au défi de l'intégration, les réfugiés et les migrants sont perçus comme un problème, une menace et une question de sécurité. ... La question ne fait pas l'objet d'un débat sérieux, elle est soumise à une rhétorique d'extrême droite. On y diabolise les personnes, on les déshumanise ; on parle de 'flux' et non de vies humaines. Et si cette rhétorique ne sortait auparavant que de la bouche d'une Le Pen ou d'un Orbán, c'est aujourd'hui le social-démocrate Olaf Scholz qui l'utilise, réduisant [les accords de] Schengen à un bout de papier face à la montée de l'AfD, tandis qu'à côté, Donald Tusk, qui se revendique Européen, suspend provisoirement le droit d'asile pour freiner les ardeurs du Bélarus.»

hvg (HU) /

Orbán peut se féliciter

L'UE se dirige vers une politique plus stricte, telle que la réclame le Premier ministre hongrois, observe hvg :

«Le plus satisfait dans l'histoire doit être Viktor Orbán. Il est en effet aujourd'hui question de l'importance de la protection des frontières extérieures, de l'accélération des expulsions des demandeurs d'asile déboutés et du traitement des demandes dans des centres situés dans des pays tiers - des expressions que le chef du gouvernement hongrois martèle depuis longtemps. Qui plus est, on fait preuve d'une compréhension totale envers le Premier ministre polonais, Donald Tusk, qui envisage de suspendre temporairement le droit d'asile pour les migrants irréguliers en provenance du Bélarus et de Russie.»

Corriere della Sera (IT) /

Une manoeuvre de diversion

La question de l'immigration est instrumentalisée, notamment pour détourner l'attention d'autres problèmes urgents, fait valoir Corriere della Sera :

«Si les migrants n'existaient pas, il faudrait les inventer. Ils sont devenus l'arme de diversion la plus efficace qu'utilisent les politiques de tout bord en ce XXIe siècle. Des soucis de financement ou un manque de crédibilité ? Des réformes nécessaires mais impossibles à mettre en place ? ... Qu'à cela ne tienne, il suffit de braquer les projecteurs sur les étrangers soi-disant en train de forcer les frontières, et hop, voilà le débat public instantanément dévié. Pas besoin d'évoquer les récits fantaisistes de Trump sur les Haïtiens mangeurs de chiens et de chats, ou les mensonges des partisans du Brexit, nous avons suffisamment d'exemples chez nous. Or selon les sondages, ce qui préoccupe le plus les Italiens, ce n'est pas l'immigration, c'est la santé publique.»

Maaleht (EE) /

La confiance mutuelle n'est plus à l'ordre du jour

Dans Maaleht, l'experte sur les questions de migration, Annika Murov, craint que l'espace Schengen, tel qu'il existe aujourd'hui, ne puisse être maintenu :

«La réintroduction de contrôles aux frontières témoigne de l'inquiétude croissante des pays européens face à l'immigration et à la menace du terrorisme. La liberté de circulation et des frontières extérieures [solides] favorisent le sentiment d'unité et d'autodétermination en Europe. ... Jusqu'à présent, Schengen et la surveillance des frontières extérieures reposaient largement sur la confiance mutuelle entre les Etats membres, chargés de mettre en place les procédures adéquates et de coopérer entre eux. Il apparaît toutefois de plus en plus difficile de maintenir l'espace Schengen dans sa forme actuelle, sans frontières intérieures.»

444 (HU) /

2024 pourrait marquer un tournant en politique migratoire

444.hu estime que les décisions actuelles marquent un tournant :

«Cela fait longtemps que la politique d'accueil bienveillante est tombée dans les oubliettes. Le ton s'est durci en Europe. Un revirement sur les questions migratoires, autrefois uniquement revendiqué par l'extrême droite, s'est transformé dans de nombreux pays en un mot d'ordre repris par des politiques à des postes clés et considérés comme centristes. ... Il est possible que 2024 soit l'année que l'histoire retiendra comme celle du virage en matière de politique migratoire et de fermeture des frontières européennes.»

Tygodnik Powszechny (PL) /

Concilier différentes valeurs

Tygodnik Powszechny souligne que le débat ne se résume pas à un clivage gauche-droite :

«L'une des politiques d'asile les plus restrictives de l'UE a été mise en place par la gauche, à savoir les sociaux-démocrates danois. En réponse à l'utilisation des migrants par la Russie comme moyen de guerre hybride, la Finlande a décidé de se donner la possibilité de suspendre le droit d'asile, avec un large consensus allant de la droite à la gauche. La stratégie migratoire présentée récemment par le gouvernement polonais peut également être interprétée comme une tentative de concilier différentes valeurs. Il ne s'agit pas seulement d'aider les migrants largués en pleine forêt, mais aussi de garantir la sécurité de l'Etat et de chacun de ses citoyens.»

El Periódico de Catalunya (ES) /

Les ennemis de l'Europe ne sont pas ceux qu'on croit

El Periódico de Catalunya propose l'analyse suivante :

«La proposition italienne apportera peu de solutions, car hormis l'Albanie et peut-être le Kosovo, aucun pays ne sera prêt à entretenir des camps de détention illégaux comme à Guantánamo. ... Il serait probablement plus efficace de mettre en place un cadre permettant l'immigration légale de migrants vers l'Europe, avec des demandes posées depuis les pays d'origine et des quotas qui réduiraient considérablement le trafic d'êtres humains. Sans migrants, adieu retraites et adieu Etat providence. Le discours est manipulé par les mouvements radicaux dont la seule ambition est d'accéder au pouvoir tandis que les autres partis sont incapables de proposer des solutions plus humaines et plus efficaces. Les ennemis de l'Europe ne sont pas ceux qui viennent de l'extérieur, mais ceux qui, à l'intérieur, sèment la peur et le chaos.»

Neue Zürcher Zeitung (CH) /

Plusieurs tabous sont tombés

Neue Zürcher Zeitung se félicite des changements de ligne observés lors de la rencontre :

«En matière de politique migratoire, le sommet européen qui s'est achevé vendredi a été hors du commun. Les Vingt-Sept y ont aboli plusieurs tabous qui semblaient encore intouchables il y a peu. ... Il y a donc une nouvelle dynamique dans la politique migratoire européenne. Mais sera-t-elle capable de conduire aux solutions innovantes qui ont été martelées lors du sommet ? Le fait que certains Etats ou groupes d'Etats expérimentent les accords 'de rapatriement' et l'externalisation des demandes d'asile est à saluer.»

Večernji list (HR) /

Qui décide de la politique de l'UE ?

Večernji list fait part de son étonnement :

«Outre l'annonce d'une loi facilitant les expulsions, von der Leyen a appelé les autres chefs d'Etat à réfléchir à la création de centres pour migrants qui seraient situés en dehors des frontières de l'UE. Elle a nommé ces dispositifs des 'hubs de retour' : à Bruxelles, l'imagination ne manque pas lorsqu'il s'agit de dissimuler les objectifs sous des néologismes plus attrayants. Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi la Première ministre italienne a cité les centres pour migrants en Albanie en exemple à suivre pour le reste de l'UE. Dès lors, on se demande qui définit réellement la politique de l'UE en ce moment : Ursula von der Leyen, ou son alliée politique et amie, Giorgia Meloni ?»

Phileleftheros (CY) /

Meloni fait des émules

Le gouvernement italien n'est pas isolé idéologiquement, constate le journal Phileleftheros avec inquiétude :

«Meloni est passée du statut de marginale d'extrême droite à celui de leader européen montrant la voie à suivre. La quasi totalité de l'Europe convoite ces nouveaux 'camps de concentration' mis en place en Albanie, où sont envoyés celles et ceux qui franchissent les frontières terrestres et maritimes. Les Pays-Bas négocient avec l'Ouganda pour faire de même, la Finlande érige une barrière à ses frontières avec la Russie, et Ursula von der Leyen cite l'Italie comme exemple à suivre.»

Corriere della Sera (IT) /

Rome n'hésitera pas à contourner les règles européennes

Vendredi, un tribunal italien a ordonné le retour sur la péninsule des premiers migrants placés dans un centre à Shëngjin, en Albanie. Cela n'arrêtera pas Meloni, estime le Corriere della Sera :

«La question centrale est de savoir quels pays peuvent être considérés comme des 'Etats tiers sûrs' ? ... La Cour européenne de justice a récemment décidé [le 4 octobre 2024] de revoir ses critères. L'Egypte et le Bangladesh, d'où provenaient les douze personnes admises au centre d'accueil de Shëngjin, n'en font pas partie, ce que les personnes qui ont organisé le transfert des migrants vers l'Albanie savaient pertinemment. Les critères sont toutefois sujets à interprétation et, en tant que tels, seront redéfinis par le gouvernement Meloni par le biais d'un décret qui élargit arbitrairement la liste des pays 'sûrs', dans l'objectif déclaré de mieux protéger les pays d'arrivée comme le nôtre.»

Jornal de Notícias (PT) /

L'Allemagne et l'Espagne résistent

Certains pays s'opposent avec force à ce nouveau virage droitier, observe Jornal de Notícias avec soulagement :

«Dans un contexte de guerre qui s'internationalise tous les jours un peu plus, il est légitime de vouloir fuir la mort, la destruction et la faim, ce qui pose l'Europe devant des défis de taille. Il est essentiel que le Vieux Continent opte pour une politique commune et juste, car il a besoin de ces personnes. Il est important de faire comprendre que tout le monde n'est pas prèt à accepter cette légitimation de l'extrême droite encouragée par von der Leyen. Les gouvernements espagnol et allemand, par exemple, ont fait entendre un tout autre discours, en critiquant le manque d'éthique et d'efficacité du plan de Meloni et en refusant de participer à un sommet sur les migrations organisé par la Première ministre italienne.»

El País (ES) /

Les droits de l'homme et la démocratie en danger

El País cherche est quant à lui à la recherche de contre-pouvoirs :

«On observe certains signes de résistance, notamment au niveau du pouvoir judiciaire, comme l'illustrent le tribunal italien qui a remis en question le modèle Meloni, mais aussi la Cour suprême britannique, qui a critiqué l'accord passé avec le Rwanda. ... Mais il ne faut pas perdre des yeux la lutte politique qui s'impose en Europe et en Occident. Nous, qui défendons les droits de l'homme et la démocratie, sommes en train de perdre du terrain. ... Malheureusement, face à cette érosion, aucun contre-pouvoir politique se semble se former. ... Le gouvernement allemand est en fin de course. ... Celui de la France n'est pas en meilleur état. ... L'Italie et les Pays-Bas sont aux mains de l'extrême droite. En Espagne, les sociaux-démocrates se maintiennent. ... Leur discours les place du bon côté de l'histoire, mais leurs faiblesses internes les empêchent d'avoir un quelconque écho.»