L'UE et la Grande-Bretagne se jaugent
Après le lancement officiel du processus de Brexit, l'UE et la Grande-Bretagne se positionnent dans les négociations qui les attendent. Récemment, Londres s'est montrée un peu plus conciliante. Son ministre des Finances Philip Hammond s'est déclaré ouvert à parler des obligations de paiement futures et d'un accord de libre-échange. Combien de plumes les deux camps laisseront-ils dans ces négociations ?
Bon débarras
La perspective de négociations extrêmement dures et lourdes de conséquences avec la Grande-Bretagne aura un effet de dissuasion sur les autres pays de l’UE, assure le chroniqueur Niall Ferguson dans The Sunday Times :
«Contrairement à la théorie diffusée l’an dernier, selon laquelle la Grande-Bretagne serait la première à tomber dans toute une ligne de dominos, c’est précisément tout le contraire qui s’est produit. La vue du pétrin dans lequel s’est mise la Grande Bretagne avec le Brexit décourage les électeurs continentaux de vouloir tourner le dos à l’Europe. Je conjecture qu’il n’y aura pas de sortie de l’UE ni des Pays-Bas, ni de la France, ni de la Grèce ni de tout autre pays européen. Car l’UE a surmonté le principal obstacle sur la voie d’une poursuite de l’intégration européenne : nous, les Britanniques. On a tendance à oublier que la Grande-Bretagne a toujours été une épine dans le pied des partisans d‘une Europe fédéralisée. C’est pendant les négociations sur le Traité de Maastricht que cela s’est manifesté le plus clairement.»
Les soutiens de l'Europe perdent du terrain
Pour Slate en revanche, le Brexit a décuplé encore les forces centrifuges qui déchirent l’UE :
«L'Union européenne se délite avec le Brexit et elle fait l'objet d'une profonde et grandissante désaffection des opinions. L'Europe est un échec, selon les uns, puisque la construction n'a pas réussi à apporter la prospérité et à faire 'converger' les économies des différents pays. L'Europe n'est que l'instrument du capital, des riches, ajoutent d'autres. ... Les derniers europhiles continuent de penser que ces critiques sont fausses et que, si l'Union européenne a des défauts, elle reste la dimension indispensable pour résister face aux empires. Mais ils sont en train de perdre la guerre des idées et se retrouvent dans un réduit intellectuel, politique et médiatique.»
Demander le divorce est le bon droit de Londres
Observador pose un regard inquiet sur les négociations. Le journal en ligne souligne la stupidité qu’il y a à vouloir punir la Grande-Bretagne :
«La classe politique européenne montre envers les Britanniques le courage et la résolution qui lui font défaut face à Poutine en Russie ou Erdoğan en Turquie. S’imagine-t-elle qu’elle pourra empêcher d’autres sorties en sanctionnant la Grande-Bretagne ? La semaine passée, Merkel et Hollande ont une fois de plus laissé entendre que le Brexit ne pouvait être un divorce que douloureux et qui durera longtemps. En aucun cas une manière raisonnable d'envisager une nouvelle relation, comme l’a proposé Theresa May. Pour l’Europe, la suite semble être claire : d’abord le divorce, ensuite la réconciliation. Mais c’est une erreur. La sortie de l’UE est un droit inscrit dans les accords.»
La sécurité n'est pas négociable
La première ministre Theresa May envisage également la contribution britannique à la sécurité internationale comme un moyen de pression dans les négociations sur le Brexit, observe le politologue Rem Korteweg dans NRC Handesblad, qui met en garde contre les conséquences d’un tel recours :
«La coopération dans le domaine de la défense est aussi dans l’intérêt des Britanniques, notamment parce que le Royaume-Uni assure une contribution importante à deux missions européennes en cours. … Il est par ailleurs dans l’intérêt des Britanniques de continuer à participer au développement sur la question de la sécurité. C’est d’autant plus important que la situation est actuellement très tendue dans la périphérie de l’Europe que l’on peut douter du soutien du président américain Donald Trump à l’OTAN. … La contribution britannique à la sécurité de l’Europe ne peut être un outil de négociation. Si le but consiste à opposer les chars aux frontières douanières, il ne peut y avoir que des perdants.»
Le Grexit n'a jamais été une option envisageable
Dans le journal grec Avgi, le chroniqueur Giannis Kibouropoulos déplore, au vu du déroulement actuel du Brexit, que la Grèce ne se soit jamais vu proposer l'option d'un "Grexit ordonné" :
«Le fameux plan analytique de la Commission – estimé à plusieurs centaines de pages, 1 000 selon Jean-Claude Juncker, 3 000 comme on a pu le lire récemment ! – reste un mystère total depuis près de deux ans. Aucun mortel ne l’a jamais vu, aucun des 'grands prêtres' qui s’y réfèrent ne l’a jamais produit. … Toute la procédure n’a absolument rien à voir avec la 'mort subite' qui avait été évoquée pour faire chanter tout un pays par le biais des 'fake news' de Bruxelles à l’été 2015 [après le référendum grec]. D’une certaine façon, le Brexit met à jour le mécanisme de mensonge et de tromperie auquel a recours le clergé européen pour manipuler les sociétés européennes.»
Une UE revigorée
Amputée de la Grande-Bretagne, l'UE pourrait finalement s'en trouver renforcée, écrit Le Soir :
«Donald Tusk, le président du Conseil européen, a trouvé une raison paradoxale de se réjouir : 'Le Brexit nous a rendus, la communauté des 27, plus déterminés et plus unis qu’auparavant.' Cela reste entièrement à prouver. Mais il est très probable que la dure négociation qui s’engage fortifie la solidarité de ceux qui restent face aux exigences de celui qui s’en va. L’Union européenne n’a d’autre intérêt que de chercher à 'être plus forte', comme madame May souhaite que sa Grande-Bretagne le devienne de son côté. Ces objectifs seront parfois incompatibles, forcément. Vous voulez un avenir plus radieux sans nous ? Nous chercherons le nôtre. Sans vous, et parfois contre vous s’il le faut.»
Brexit : Henry VIII met la main à la pâte
Le ministre du Brexit David Davis a présenté jeudi son projet de loi dit de grande abrogation (Great Repeal Bill). Ce texte prévoit de déléguer au gouvernement les pleins pouvoirs pour convertir en droit national des milliers de règles européennes, sans s’embarrasser d’une approbation du Parlement. Londres renoue avec une tradition bien ancienne, ironise Corriere della Sera :
«Le gouvernement britannique a invoqué les pouvoirs de sa Majesté pour réécrire la législation du pays en se dispensant de soumettre chacune des lois au débat parlementaire. ... En cause : les règlements européens, au nombre de plus de 12.000, qui doivent être incorporés dans la législation britannique. Le gouvernement aura recours au statut de 1539, une clause adoptée par Henry VIII qui confère au roi le pouvoir de légiférer par décret en contournant le parlement. Un des principaux arguments des pro-Brexit était de restituer sa pleine souveraineté au Parlement de Westminster. ... Et voici que le gouvernement s’empresse de court-circuiter les députés.»
L'économie britannique retombera sur ses pattes
L’économie britannique ne pâtira pas le moins du monde de sa sortie de l’UE, estime Diena :
«On est en droit de penser que les messages apocalyptiques qui prédisent le déclin imminent de l’économie britannique au lendemain du Brexit sont à des années lumières de la réalité. Londres commence déjà à réactiver ses relations avec d’anciens partenaires commerciaux, mène une expansion économique active en Asie, y compris dans le secteur financier, et promet à ses cousins américains de signer avec eux un accord de libre-échange dès que le Brexit sera chose faite. En fin de compte, les gains à court terme suffiront à compenser les pertes essuyées par le Brexit.»
Londres a une meilleure main
Les Etats membres de l’UE ont bien plus à perdre dans les négociations de sortie que la Grande-Bretagne, écrit Daily Mail, plein d'assurance :
«Londres a en main un jeu bien meilleur que la plupart des gens n'osaient espérer. Contrairement aux scénarios catastrophes déroulés par les anti-Brexit, l’économie est restée stable. Des pays comme l’Inde, les Etats-Unis ou le Canada se bousculent au portillon pour conclure avec nous des accords commerciaux. ... Sans parler de notre atout : le fait que nos partenaires (avant tout l’Allemagne) nous vendent bien plus que nous ne leur vendons. Ils ont donc plus besoin de nous que nous d’eux. L’eurocratie bruxelloise, qui n’a de comptes à rendre à personne, a peut-être ses propres plans. Mais ce serait folie pour les dirigeants politiques de ces 27 démocraties que de mettre en cause les emplois de leurs propres électeurs en érigeant des barrières à l’entrée de notre marché, si lucratif.»
La plus grosse bourde politique du siècle
Dans Público, le journaliste Diogo Queiroz de Andrade ne mâche pas ses mots à l'égard du Brexit :
«Couper délibérément les ponts avec des partenaires naturels est un choix qui entrera au palmarès des bévues politiques du siècle. Le Royaume-Uni quitte l’UE sans stratégie, sans vision et sans modèle pour les années à venir. Résumer le positionnement historique d’une nation par le cri de guerre 'Nous en avons marre des immigrés' est à tel point ridicule que cela fait mal. Et le pire reste à venir : si l’Ecosse devait bel et bien quitter le Royaume, on toucherait au comble de l’ironie. L’Angleterre survivra certes, et restera une grande puissance. Mais elle perdra de son importance et aura une influence bien moindre dans le monde.»
May fonce droit dans le mur
La Vanguardia illustre par une métaphore percutante le surprenant revirement de Theresa May, initialement défavorable au Brexit :
«Le pouvoir a le même effet que certains alcools forts, dont la simple vue de l’étiquette fait tourner la tête. Quand David Cameron a démissionné après avoir perdu le référendum, sa ministre de l’Intérieur s’est portée volontaire pour le remplacer. En une nuit, elle a dévoré les mémoires de la Dame de fer et pris le parti de devenir elle-même femme en acier inoxydable et de jouer la carte d’un Brexit dur. Selon la logique : à aller droit dans le mur, autant appuyer sur l’accélérateur et foncer, pour que personne ne puisse dire après coup que nous avions les mains qui tremblaient. ... La Première ministre a adopté un budget expansionniste pour masquer dans un premier temps les effets désastreux d’une sortie. Mais à moyen terme, elle se rendra à l’évidence : la signature apposée à la demande de Brexit marquait son suicide politique.»
Plus populiste que Trump
La rupture radicale avec l’UE que semble vouloir la Première ministre britannique pourrait parfaitement être le fait d’un Donald Trump, estime The Washington Post :
«Les Etats-Unis sont dirigés par un caudillo au comportement exubérant mais qui est peut-être plus populiste par son style que par ses actes. En Grande-Bretagne, c’est le phénomène inverse qu’on observe actuellement. Theresa May, la Première-ministre au visage on ne peut plus grave, est sérieuse, méthodique, prudente et sans la moindre fantaisie. Elle est l’antétrump. Or son mandat Brexit, combiné à la stricte interprétation à la lettre qu'elle en fait, relève du populisme à l'état pur. La Grande-Bretagne retrouvera le contrôle de ses frontières, probablement pour pouvoir sévir plus durement encore contre les étrangers. ... Le pays quittera le marché unique, l'une des expérimentations les plus poussées et les plus réussies de la mondialisation.»
Le Brexit repose sur de purs mensonges
Ce n’est pas la première fois que la Grande-Bretagne prend une décision sur la base de faits erronés, souligne le chroniqueur Joris Luyendijk dans NRC Handesblad :
«Le parallèle entre le Brexit et la guerre en Irak a déjà été plusieurs fois établi. En effet, c’est en usant de mensonges et de manipulations que ces deux décisions politiques ont réussi à s’imposer, tandis que les sceptiques ont été vilipendés comme autant d’éléments antipatriotiques et défaitistes. ... Avec la même irresponsabilité et le même aveuglement dont ont fait preuve Américains et Britanniques en Irak en 2003, la Grande-Bretagne se retire aujourd’hui de l’UE. ... En Irak, ce sont les populations civiles qui en ont payé le prix. Aujourd’hui, ce sont les ressortissants européens établis en Grande-Bretagne, les Britanniques dans l’UE et surtout les pauvres hères qui croyaient donner un coup de pouce à leur pays en votant pour le Brexit. Il sera intéressant d’observer la réaction de ces gens quand ils prendront la mesure de la supercherie.»
Une menace pour la paix en Europe
Le journal Večernji list craint que le Brexit ne contribue à replonger l’Europe dans une période de guerres et de conflits :
«L’Ecosse pourrait quitter le Royaume-Uni avant même que celui-ci ne sorte de l’UE - idem pour l’Irlande du Nord. Le Brexit pourrait marquer la fin du Royaume-Uni. Mais le danger potentiel pour l’UE est tout aussi important. Toutes les déclarations, comme celle faite lors du sommet de Rome, ont beau avoir des accents en apparence positifs. L’UE est un grand projet qui repose sur la coopération et l’intégration d’Etats qui, au cours de l’histoire, ont toujours réglé leurs désaccords par le biais de guerres et de conflits. Le Brexit constitue un tournant et peut dans le pire des cas signifier la fin de la paix en Europe et le retour à l’ère de la discorde et de la confrontation. Donald Tusk a entièrement raison quand il dit que depuis hier, il n'y a plus qu'une grande priorité : limiter les dégâts.»
Les deux camps y laisseront des plumes
L’Europe s’enlise dans la pire des crises depuis la Seconde Guerre mondiale, prédit avec pessimisme La Stampa :
«Quitter l’Europe est pour le Royaume-Uni un saut dans le vide sans filet. L’UE est un des principaux partenaires commerciaux de la Grande-Bretagne, une source presque inépuisable de main-d’œuvre et de cerveaux et du reste un appui indispensable dans le jeu compliqué de la politique extérieure internationale. ... L’UE, pour sa part, ne sortira pas victorieuse de cette saga. L’échec des réformes politiques, le spectacle indécent que donne à voir la situation économique dans des pays comme la Grèce et le spectre de l’immigration ont été décisifs pour le non des Britanniques à l’Europe. Sans le Royaume-Uni, il sera encore plus difficile pour l’UE de créer un bloc politico-économique capable de tenir tête aux Etats-Unis et à la Chine.»
Un test pour le Royaume-Uni
La pression exercée par les partisans et les adversaires de l’UE au niveau national sera pour Theresa May le problème numéro un dans les négociations avec l’UE, pense The Times :
«La vérité est que May fait face dans son propre pays à une série de négociations qui seront peut-être aussi difficiles que celles qu’elle va devoir mener avec l’UE. Elle est aux prises avec Nicola Sturgeon, chef du gouvernement écossais, dans un bras de fer sur l'indépendance de l'Ecosse, qui fait mentir sa déclaration selon laquelle le Brexit ressouderait les liens au sein de la Grande-Bretagne. Pour l’Irlande du Nord aussi, les conséquences seront graves, mais les répercussions sur l’Union britannique ne sont que le début des difficultés que rencontrera la Première-ministre. Après leur victoire au référendum sur le Brexit, les Tories eurosceptiques interpréteront tout compromis avec Bruxelles comme une trahison.»
La vengeance n'est pas à l'ordre du jour
Avec le départ de la Grande-Bretagne, l'UE perd l'une de ses locomotives, regrette Echo24, qui conseille de renoncer à toute tentation de vengeance :
«L’accord définissant la nature du nouveau partenariat avec Londres serait pour l’Europe la preuve qu’elle est capable de tirer des enseignements de ses erreurs. Qu’elle est capable de résoudre les problèmes actuels de manière rationnelle, sans arrières-pensées de punition, de vengeance ou de dissuasion. Les enjeux centraux sont économiques et sécuritaires. L’Europe a tout intérêt à ce que le commerce avec Londres reste le plus libre possible. Si la volonté y est, un accord peut également être trouvé sur les services financiers. L’importance de Londres surpasse celle de toutes les autres métropoles financières européennes. Mais dans la lutte antiterroriste, l’échange d’informations confidentielles devra rester aussi assidu que jusqu’à présent. ... La réussite de ces négociations conforterait la confiance de l’UE et l’encouragerait à engager de nouvelles réformes pour éviter que d’autres précieux pays ne soient tentés de la quitter.»
Un chantre du libre échange met les voiles
Dagens Nyheter esquisse les difficultés que le Brexit posera aux Etats membres de l'UE restants :
«Pas d'accord vaut mieux qu’un mauvais accord, affirme Theresa May - mais ce n'est là qu'un slogan de propagande. Si la Grande-Bretagne sort de l’UE sans accord, cela créera une insécurité dans la jurisprudence et l’économie. Même si la conjoncture s’est relativement bien développée après le référendum, le cours de la livre est tombé et le taux d’inflation est remonté. Et les grands risques résident dans les répercussions sur le long terme. La Grande-Bretagne était pour la Suède un bon allié quand il s’agissait de défendre le libre marché et le commerce. Ironie du sort, ce sont peut-être les plus farouches défenseurs du libre marché qui le quittent aujourd'hui. ... Le Brexit aura un prix pour les Britanniques, mais aussi pour l’ensemble de l’UE. Il est dans l’intérêt de tous de résoudre le problème de la manière la plus souple possible.»
Ouvrir la voie à différents types de partenariats
Le coup d'envoi des négociations du Brexit devrait être pour l'UE l'occasion d'évaluer de nouveaux statuts de partenariat pour des pays comme la Suisse, la Turquie ou même la Russie, estime Die Presse :
«Les négociations sur le Brexit permettent finalement de créer un nouveau système de relations à géométrie variable. L’élargissement de l’Union se heurte de toutes façons à ses limites, raison pour laquelle il faut développer une nouvelle forme de partenariat flexible pour rattacher à l’UE les autres pays voisins en fonction de leur maturité, de leur volonté et de leur importance. Il serait judicieux de mettre au point un système de paliers qui propose une participation au marché unique allant d'une forme très limitée jusqu’à l'intégration totale. Dans ce système de paliers, l’apport financier de chaque Etat membre pourrait être échelonné.»