Roumanie : un revers pour la lutte anticorruption ?
Le ministre roumain de la Justice, Tudorel Toader, a engagé une procédure de destitution contre la figure de proue de la lutte contre la corruption dans le pays. Laura Codruta Kövesi, procureure générale du Parquet anticorruption (DNA), est reconnue internationalement et populaire en Roumanie. Les partis au pouvoir lui reprochent des méthodes d'investigation qu'ils jugent sujettes à caution. Les éditorialistes roumains apportent leur soutien à Kövesi.
La balle est dans le camp du président
Hotnews évoque les différents scénarios désormais possibles :
«Les dés sont jetés. Il appartient au président Klaus Iohannis de trancher. Le limogeage de la responsable de la DNA mettrait un terme à sa propre carrière. S'il refuse de la destituer, il gagnera la sympathie de ceux qui sont opposés au PSD [parti au pouvoir], mais il risque aussi de provoquer sa propre destitution. Or il ne semble pas qu'il veuille accéder à la requête de Toader. Une nouvelle phase d'instabilité politique va s'ouvrir en Roumanie. Il y aura vraisemblablement de nouvelles manifestations (dans les deux camps) et des tensions entre les institutions. Le camp des corrompus bénéficie par ailleurs d'un soutien accru.»
Une farce politique qui ne peut nuire à Kövesi
Le ministre de la Justice a présenté une liste de 20 accusations à l'encontre de Kövesi. Une initiative aussi absurde que contreproductive pour le PSD, juge Evenimentul Zilei :
«Nombre des arguments avancés par Toader font partie intégrante de la propagande du PSD. Comme par exemple l'atteinte supposée à l'image internationale de la Roumanie [lors d'interviews accordées par Kövesi à des médias occidentaux]. Alors que Toader désirait convaincre l'opinion, son intervention a été un désastre. Qu'il le veuille ou non, il a contribué à renforcer un peu plus la position de Kövesi - à l'étranger comme dans le pays, et il vient de fournir de nouvelles munitions électorales au président Klaus Iohannis. Il est fort probable, en effet, que celui-ci rejette la demande de limogeage qui lui sera soumise.»
Des politiques corrompus veulent échapper aux mises en examen
Le débat objectif qu'il faudrait mener sur les erreurs et les omissions du Parquet anticorruption (DNA) est une mission impossible, écrit Revista 22 :
«La DNA n'en reste pas moins l'institution qui a enregistré les plus grandes avancées dans le bourbier de la Roumanie. C'est de fait l'unique institution à être félicitée et non pas critiquée par la Commission européenne. La campagne de lynchage dont elle est la cible depuis des années, les différentes tentatives d'affaiblir la justice par des modifications du droit pénal poursuivent un seul objectif : échapper aux mises en examen, aux condamnations, à la cheffe de la DNA. Le problème ne serait pas le départ de Kövesi, mais son remplacement par une marionnette du PSD qui tienne la DNA en laisse. »
La société va-t-elle tout accepter ?
L'attitude des citoyens sera décisive dans cette affaire, assure Adevărul :
«Supposons que le président refuse une [éventuelle] demande du ministère de la Justice de limoger Kövesi : il gagnerait en popularité dans l'opinion. Mais parallèlement, les attaques de la coalition PSD-Alde contre la justice et contre sa personne redoubleraient. … C'est un moment difficile pour la Roumanie. … Beaucoup de choses dépendront aussi de la réaction de la société civile, de l'UE et des Etats-Unis. L'équipe politique actuellement au pouvoir est prête à couper les ponts avec l'UE et les Etats-Unis pour sauver sa peau et échapper à une peine de prison. Qu'en est-il de la population ? Est-elle prête à accepter ces simagrées ?»