Mobilisation en Europe après la mort de George Floyd
Le meurtre de George Floyd à Minneapolis a déclenché des manifestations contre le racisme et les violences policières dans de nombreux pays européens. Les manifestants veulent sensibiliser à la haine raciale et à la violence institutionnelle à l'œuvre dans leurs propres pays. Les commentateurs réservent un accueil mitigé à ces manifestations.
Une colère enfin partagée
La diversité des doléances exprimées sur les banderoles - esclavage, colonialisme ou encore fossé Nord-Sud - ne diluent nullement le fond de la contestation, estime Le Soir :
«L'histoire tourne en boucle et les jeunes manifestants mélangent tout, avec raison : l'esclavage, ce travail gratuit qui jeta les fondements de la prospérité américaine, la colonisation qui accéléra le décollage des puissances européennes, le déséquilibre persistant des relations Nord-Sud qui, 60 ans après le temps des indépendances, inspire la quête d'une vie meilleure et les flux migratoires. Les panneaux brandis devant le palais de justice ont rappelé tout cela, la révolte et l'espoir, la colère enfin partagée, mais également le désir de mieux connaître l'histoire car l'amnésie et l'ignorance sont aussi le terreau du racisme.»
Les réactions symboliques ne résolvent rien
Appeler la classe politique à "témoigner sa solidarité" et à "prendre position" n'est d'aucun secours pour les victimes de ces actes, critique Göteborgs-Posten :
«L'idée selon laquelle le racisme structurel peut expliquer les conditions de vie des gens recèle deux graves problèmes. Premièrement, il n'est absolument pas certain que cette explication soit aussi satisfaisante qu'on le prétend. Mais cela signifie aussi que les réactions à ce phénomène s'avèrent inopérantes ou purement symboliques. Deuxièmement, l'hypothèse du racisme structurel est plus qu'un simple modèle explicatif. C'est une idéologie selon laquelle les contacts interpersonnels sont principalement décrits par des rapports d'oppresseur à opprimé. ... Le véritable problème, c'est que des groupes économiquement précaires aient l'impression que la résolution de leurs problèmes dépend de la capacité des blancs à suffisamment prendre position contre le racisme.»
Minneapolis et Bondy : même combat
On s'est également mobilisé en France ce week-end, et pour cause, lit-on dans Politis :
«La France traîne aussi sa honte, ses flics impunis couverts par le ministre de l'Intérieur. Elle a ses scandales, comme l'affaire Adama Traoré, mort en 2016, sous le poids d'un flic bien de chez nous ... Quatre ans après, des nouveaux médecins, un poil suspects, viennent de pondre un nouveau rapport contredisant de précédentes expertises et affirmant que le jeune homme de 24 ans avait une faiblesse cardiaque. On est pris de nausée devant cette obstination à protéger un lobby policier qui fait peur à son ministre. Et encore ceci : lundi, Gabriel, 14 ans, est interpellé, plaqué au sol, et savaté par un policier pendant que ses collègues l'immobilisent. Dents arrachées, visage tuméfié, maxillaire brisé, et un œil peut-être perdu. Nous ne sommes pas à Minneapolis, mais à Bondy, Seine-Saint-Denis.»
Des manifestants non solidaires
Mercredi à Stockholm, la police a dispersé une manifestation de solidarité à laquelle plusieurs milliers de personnes avaient participé - les rassemblements étant limités à 50 personnes en raison de l'épidémie. Upsala Nya Tidning juge une manifestation peu opportune :
«Des gens manifestent en Suède contre la violence policière américaine et mettent en péril la vie de nos séniors et de nos malades. ... Il est bien sûr important de protester contre les injustices. Mais certains manifestants semblaient avoir surtout pour but d'appliquer la problématique raciale américaine au contexte suédois, alors que celui-ci n'a rien à voir. ... 'I can't breathe', pouvait-on lire sur une pancarte brandie par un contestataire. C'est précisément ce qui peut arriver aux séniors et aux malades, particulièrement menacés par le coronavirus.»
Les leaders autoritaires à l'affût
Dans Postimees, le chroniqueur Andres Herkel fait preuve d'une forte empathie à l'égard des manifestants :
«J'appartiens à l'heureuse génération dont la rébellion de jeunesse a coïncidé avec la période de lutte pour l'indépendance de l'Estonie. Ce qui était radical à cette époque est normal aujourd'hui, et je n'ai pas eu à changer mes opinions. Au contraire, la démocratie et la liberté des peuples restent des idéaux fondamentaux. ... On assiste malheureusement à l'émergence de leaders privilégiant une rhétorique clivante - et pas seulement aux Etats-Unis. Ceux-ci peuvent à tout instant devenir des pyromanes, sans que l'on sache exactement quand ils mettront le feu à la maison. ... Ce qui est certain, c'est que lorsque les citoyens ne peuvent user raisonnablement de leur liberté, et lorsque la classe politique et la police réagissent de façon démesurée, les dirigeants autoritaires se frottent les mains.»
Made in Britain
Le Royaume-Uni aurait dû prendre position, écrit The Guardian :
«Dans cette situation, le gouvernement britannique aurait pu avoir l'humilité de souligner et de reconnaître le passé de la Grande-Bretagne. Il aurait pu engager le débat sur la responsabilité du pays dans l'invention du racisme anti-noir, rappeler que la tradition raciste américaine actuelle a son origine dans les colonies britanniques, et le rôle majeur de la Grande-Bretagne dans l'industrialisation de l'esclavage noir aux Antilles, la mise en place de systèmes d'apartheid sur l'ensemble du continent africain, sa main-mise sur les terres, les ressources et la main d'œuvre des Noirs pour mener les deux guerres mondiales, et ensuite, pour la reconstruction de l'après-guerre.»
Balayer devant notre porte
Il faut que la Turquie ouvre les yeux sur son propre racisme, souligne l'ex-diplomate Aydın Selcen sur le portail Gazete Duvar :
«Dans le contexte des événements déclenchés par le meurtre de George Floyd, si nous nous regardons en toute honnêteté dans le miroir, comment occulter le souvenir du génocide arménien, du pogrom des 6 et 7 septembre [1955 contre la minorité grecque d'Istanbul] et des spoliations qui ont suivi, comment oublier la question kurde qui ne parvient pas à être résolue par la voie pacifique et politique depuis bientôt un siècle. ... Pas besoin de remonter si loin dans le temps. ... La police lance ce mois-ci un gigantesque appel d'offre pour se constituer des stocks de grenades, balles en caoutchouc et gaz lacrymogènes. ... Il faut aussi rappeler que [l'ex-président du parti pro-kurde] Selahattin Demirtaş est détenu à Edirne depuis le 4 novembre 2016.»
La France contient mieux sa police
Des manifestations ont lieu également en France contre les violences policières. A l'origine de cette mobilisation, un nouveau rapport publié sur la mort d'un jeune noir, Adama Traoré, lors de son interpellation par la police. Christian Estrosi, maire conservateur de Nice, loue pour sa part la police de son pays :
«Je dénonce les méthodes employées aux Etats-Unis, l'injustice dont sont victimes les hommes noirs et la multiplication des violences policières et en particulier ceux qui évoquent le passé judiciaire de cet homme qui avait purgé sa peine. Mais j'estime aussi qu'il serait mortifère de faire des policiers français les boucs émissaires d'un système américain qui n'est pas le nôtre. Chez nous, la technique de l'étranglement est heureusement bannie de notre Etat de droit. Chez nous, les policiers qui fautent sont sanctionnés et même radiés. Chez nous, on combat le racisme sous toutes ses formes, mais on défend les policiers et les gendarmes qui incarnent l'autorité.»
Mark Rutte cautionne la haine raciale
Dans De Volkskrant, la chroniqueuse Sheila Sitalsing dénonce l'avancée du racisme aux Pays-Bas et la complicité du Premier ministre, Mark Rutte :
«Depuis dix ans qu'il est Premier ministre de ce pays, voici ce qu'il a réalisé : une coalition avec le PVV [parti d'extrême droite dirigé par Geert Wilders], donnant ainsi à la haine anti Marocains et Antillais droit de cité au Parlement ; dix ans de 'Retourne en Turquie' et de 'Tiens-toi à carreau ou casse-toi'. ... Dix ans d'arrogance dans les rangs de la police, pour laquelle tout noir au volant d'une belle voiture est systématiquement suspect. Des policiers qui s'appellent eux-mêmes 'liquidateurs de Marocains'. Des services du fisc pour lesquels toute famille non blanche cherche d'office à frauder.»
Une spirale absurde de la violence
Il semble y avoir une première prise de conscience du côté de la police américaine, estime le journaliste Dawid Warszawski dans Gazeta Wyborcza :
«La police ne peut travailler sans armes. Trop de civils sont armés, et ces civils sont responsables des 15 000 à 16 000 meurtres commis chaque année. ... Les 800 000 fonctionnaires de police sont responsables des 1 000 morts restants, car ils ont peur des civils qu'ils sont censés protéger. Les policiers perçoivent eux-mêmes l'absurdité de ces statistiques : le meurtre de Floyd a été condamné pour la première fois par les syndicats de policiers, et le chef de la police de Minneapolis a témoigné sa sympathie aux manifestants qui protestaient contre les violences policières. Mais tant que l'immunité des agents sera maintenue, mes amis noirs auront plus à craindre de la police que du coronavirus.»