L'assassinat de Mohsen Fakhrizadeh et ce qu'il change
Quatre jours après l'assassinat du physicien iranien Mohsen Fakhrizadeh, Téhéran a réitéré les accusations envers Israël et les menaces de représailles. Fakhrizadeh passe pour être un des cerveaux du programme nucléaire iranien. Les éditorialistes se penchent surtout sur les répercussions de ce meurtre sur les futures relations entre les Etats-Unis et l'Iran.
Gagnant dans tous les cas
Les appels à des représailles font le jeu d'Israël, analyse De Volkskrant :
«Quoi que Téhéran décide, Israël semble être gagnant dans tous les cas de figure. Même si l'Iran en reste aux déclarations, le pays vient de perdre l'architecte en chef de son programme nucléaire. En outre, cet assassinat est une sérieuse mise en garde envoyée à tous les scientifiques collaborant au programme. Et si l'Iran devait passer à l'acte et que Trump ripostait rapidement avant de quitter la Maison-Blanche, Biden aurait tout le mal du monde à ressusciter un accord sur le nucléaire honni par Israël.»
Personne ne veut d'une détente
Même sans l'imbroglio actuel, les pays de la région s'opposeraient à un rapprochement entre les Etats-Unis et l'Iran, souligne Tygodnik Powszechny :
«Selon des spécialistes de l'Iran, les 'faucons' à Téhéran ont tout intérêt à envenimer le conflit avec les Etats-Unis avant les élections présidentielles iraniennes de 2021. Les rois, émirs et cheikhs sunnites, convaincus par Trump d'oublier les Palestiniens et de se réconcilier avec les Israéliens au nom de l'hostilité commune vis-à-vis de de l'Iran, ne se plaindront pas si Joe Biden ne menait pas de négociations avec Téhéran. Ils estiment que les Etats-Unis, avant de se dire prêts à remettre sur pieds l'accord sur le nucléaire iranien, seraient bien avisés de contraindre les ayatollahs à renoncer à mener des guerres au Proche-Orient, en plus de faire une croix sur la bombe atomique.»
Des détracteurs d'Israël déconnectés du monde
Dans Delfi, le chroniqueur Arkadijus Vinokuras défend le droit d'Israël à éliminer ses ennemis et reproche aux critiques de passer sous silence trois éléments importants :
«Depuis des décennies, l'Iran n'a de cesse d'aboyer sans retenue pour dire au monde entier, sans la moindre ambiguïté, que son objectif est la destruction d'Israël ; le scientifique iranien, en plus d'être responsable du développement de l'arme nucléaire, était aussi général de la garde révolutionnaire, une organisation fanatique ; le premier protocole additionnel de la Convention de Genève IV autorise les opérations militaires contre des cibles militaires ou des soldats. Ceci inclut le droit de tuer l'ennemi de manière ciblée [faute d'autres moyens de le neutraliser]. ... Iran est-il un ennemi d'Israël ? Oui, sans l'ombre d'un doute. Israël a-t-il le droit de défendre son Etat contre ses ennemis ? Oui, sans l'ombre d'un doute.»
Faire revivre l'accord nucléaire
Financial Times appelle l'UE à tout faire pour ramener Téhéran et Washington à la table des négociations :
«Les Etats signataires européens devront intensifier les efforts diplomatiques pour créer un climat propice au dialogue entre Téhéran et Washington après la prise de fonction de l'administration Biden. ... L'accord sur le nucléaire n'a pas permis de dissiper les réserves de puissances occidentales et régionales quant aux actions pernicieuses de l'Iran - des milices aux missiles. Il offre toutefois une position de départ bien meilleure que les fougueuses années Trump, quatre années que la région a vécues dans la crainte perpétuelle d'une guerre imminente.»
Attention, situation explosive
Un conflit militaire avec l'Iran serait une catastrophe, met en garde Politiken :
«Le régime des mollahs contrôle des groupes paramilitaires dans de nombreux pays arabes et peut déclencher l'embrasement de tout le Proche Orient. C'est pourquoi des attentats et des attaques de drones sont extrêmement dangereux. Plus l'Iran est mis au défi, plus la pression sur le régime religieux pour qu'il riposte augmente. Cette spirale de la violence peut très rapidement échapper à tout contrôle. Le nouveau président américain, Joe Biden, a annoncé vouloir revenir à l'accord sur le nucléaire avec l'Iran - un accord dont la superpuissance avait eu la mauvaise idée de se retirer sous l'administration Trump, et que l'Iran a enfreint depuis. Biden s'engage dans la bonne voie, mais depuis l'assassinat de Fakhrizadeh, cette voie sera bien plus plus tortueuse.»
Ni l'Iran, ni les USA ne compromettront le nouveau départ
Sabah ne pense pas que les instigateurs de cet attentat en arrivent à leurs fins présumées :
«Les déclarations modérées de tous les dirigeants iraniens, exception faite de la garde révolutionnaire, montrent que Téhéran se garde bien de saboter la phase de détente qui s'annonce avec le nouveau président américain Joe Biden. Et en dépit de la pression d’Israël et de l'Arabie Saoudite, Biden est fermement résolu à ouvrir un nouveau chapitre avec l'Iran. Car la pacification de la crise iranienne est la dernière flèche que les Etats-Unis aient dans leur carquois s'ils veulent conserver leur leadership mondial. Et pour Téhéran, qui ronge son frein depuis quatre ans, Biden est une dernière chance. Pas même l'attentat contre Soleimani n'avait réussi à troubler les espoirs que Téhéran plaçait dans une nouvelle ère post Trump.»
Washington : un changement de stratégie s'impose
L'attentat est un message clair pour le président américain élu Joe Biden, explique le diplomate Giampiero Massolo dans La Repubblica :
«Il faut définir une nouvelle stratégie qui prenne la mesure de la complexité du contexte entre le libre développement de l'économie iranienne et une interruption durable et vérifiable de son programme nucléaire et de missiles balistiques. Et ce, dans un contexte qui reconnaisse aussi le rôle légitime de l'Iran dans la région, à la condition toutefois qu'il le joue de manière responsable. Il est probable que l'administration Biden s'engage dans cette voie. L'alternative consisterait à abandonner durablement la République islamique à la sphère d'influence géo-économique de la Chine - et occasionellement à celle de la Russie, en cas d'intérêts communs dans les régions en crise.»
Une politique extérieure préhistorique
Dans Ekho Moskvy, le chimiste Boris Zhuikov, qui travaille dans l'industrie nucléaire, estime que l'on a ici affaire à du terrorisme d'Etat :
«Sans vouloir innoncenter les activités de Fakhrizadeh, le liquider est-il une réaction idoine ? Tout au plus si celui-ci était survenu en temps de guerre ouverte. ... Mais le meurtre préventif d'une personne qui n'est pas elle-même terroriste, même si elle travaillait pour l'Etat iranien, a un nom : c'est un acte terroriste. Il serait d'autant plus grave et répugnant s'il émanait d'un Etat. D'autant plus que j'ai l'impression que l'Iran va désormais élargir son programme nucléaire militaire. Israël est un pays merveilleux, peuplé de gens fantastiques et de grand talent. Mais la politique extérieure de cet Etat semble sortir tout droit de la préhistoire.»
Un spécialiste irremplaçable
L'assassinat du physicien nucléaire frappe Téhéran plus durement encore que celui du général Soleimani, tué par un drone américain en janvier, écrit Club Z :
«Ce dernier était considéré comme le numéro trois dans la hiérarchie du pays des Ayatollahs. Après sa mort, l'Iran et les Etats-Unis étaient à deux doigts d'une véritable guerre. Or si Soleimani était précieux pour l'Iran, il n'était pas irremplaçable, et c'est ce qui le différencie de Fakhrizadeh. Les scientifiques de la carrure de Fakhrizadeh, en revanche, ne courent pas les rues, surtout ceux versés comme il l'était dans les applications militaires du programme nucléaire iranien.»