Coup d'Etat au Niger : une nouvelle poudrière ?
Après le coup d'Etat militaire au Niger, qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum, le Burkina Faso et le Mali, Etats voisins du Niger, ont indiqué qu'ils considéreraient toute intervention militaire dans le pays comme une "déclaration de guerre". De son côté, Paris a commencé à évacuer les ressortissants de l'UE. Les médias débattent essentiellement du rôle de la France et de la Russie.
L'ombre de la guerre en Afrique de l'Ouest
Diena porte un regard sombre sur l'avenir :
«Deux pays de la région, le Mali et le Burkina Faso, qui ont quitté la zone d'influence de la France, viennent d'indiquer qu'une intervention au Niger reviendrait à attaquer les deux pays. Les tensions ne cessent de s'accumuler, et le danger d'une guerre devient de plus en plus réel. Avec toutes les conséquences caractéristiques des guerres dans cette région : cruauté extrême, massacres, flux de réfugiés. Ce qui augure, pour l'Europe également, des perspectives peu réjouissantes.»
Les Etats africains sont maîtres de leur destin
L'Occident a une image erronée de l'Afrique, déplore Corriere della Sera :
«La suite des évènements paraît incertaine, mais le premier enseignement concerne le rôle des Africains eux-mêmes. Nous avons trop souvent tendance à décrire ce continent comme une proie, comme une victime éternelle de luttes de pouvoir et des affrontements économiques entre superpuissances. Or il s'agit là de la forme la plus 'raffinée' de racisme : partir du principe que les Africains subissent et ne sont pas les maîtres de leur propre destin. Ceci offre un alibi aux kleptocraties locales, aux élites rapaces qui ont spolié et appauvri leur propre peuple, et qui jouent à la perfection le jeu consistant à trouver des boucs émissaires. Et dans ce jeu, la France est la 'méchante'.»
Macron dans l'impasse
En lieu et place de la victoire promise, le président français se voit infliger un véritable camouflet au Sahel, déplore Le Point dans son éditorial :
«La France restera engagée contre les djihadistes au Sahel 'jusqu'à ce que la victoire soit complète'. Le président Emmanuel Macron l'affirmait résolument en 2018. … Les atermoiements de Paris depuis dix ans laissent désormais la France avec des options aussi humiliantes les unes que les autres au Sahel. Tendre la main aux nouvelles autorités putschistes est proprement impensable ; poursuivre l'intervention militaire, ce serait préparer le terrain à de nouveaux échecs ; ordonner le retrait complet, ce serait avouer sa défaite. La 'victoire complète' dont rêvait Emmanuel Macron en 2018 n'est plus qu'une cruelle illusion.»
Un opportunisme qui ne coûte pas grand chose
Le fait de se tourner vers la Russie n'apportera pas de satisfaction durable aux populations des pays africains, estime Le Quotidien :
«Les populations locales ont aujourd'hui le sentiment de reprendre leur destin en main en se libérant de l'emprise des anciennes puissances coloniales. Une aspiration légitime. Quitte à se laisser enserrer entre les griffes d'un néo-impérialisme. Sans doute s'en mordront-elles les doigts tout aussi fort. ... Comble de l'ironie : quand l'Occident espère acheter la paix par le biais de l'aide au développement et à la coopération, Poutine se paye le luxe de faire l'aumône aux Africains en lâchant gracieusement quelques cargos de céréales. L'opportunisme, ça ne coûte pas grand-chose.»
Au risque de pousser la junte dans les bras de Moscou
L'Occident se trouve face à un numéro d'équilibriste difficile, analyse The Irish Times :
«Les États-Unis, la France en tant qu'ancienne puissance coloniale, l'UE et des alliés régionaux au sein de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), qui compte 15 membres, se sont unis pour faire pression sur la nouvelle junte afin qu'elle rétablisse la démocratie. Tous ont pris des sanctions contre le régime du général Omar Tchiani. ... La communauté internationale est désormais confrontée au défi suivant : si elle tente trop fortement d'isoler la junte par des sanctions, elle risque de pousser les nouveaux dirigeants dans les bras de Moscou, comme cela s'est produit après les coups d'État militaires au Mali, au Burkina Faso et en Guinée.»
Wagner ante portas
Le coup d'Etat militaire au Niger est probablement soutenu par les troupes Wagner de Prigojine et indirectement par le Kremlin, croit savoir Club Z :
«La Russie ne manque pas une occasion de s'engouffrer dans la brèche quand il perçoit un vide étatique. ... Ce n'est qu'une question de temps : tôt ou tard, Wagner fera son apparition au Niger, comme cela s'est produit dans les pays voisins, le Mali et le Burkina Faso. Le chef de la milice militaire a déjà salué le putsch dans un message audio diffusé sur ses canaux Telegram. Il a également été filmé aux côtés d'hommes politiques africains à Saint-Pétersbourg.»
Les conséquences d'une exploitation éhontée
El Periódico de España appelle à un renouveau dans les relations entre l'Europe et l'Afrique :
«Le coup d'Etat au Niger a triomphé. L'Ethiopie est en guerre ouverte, différents conflits sourdent au Burkina Faso, en Somalie, au Congo et au Mozambique, et des djihadistes d'Al-Qaïda sont présents dans toute la région du Sahel, avec le soutien de Wagner. Ceci est à l'origine de nombreux mouvements migratoires. ... Derrière le néocolonialisme et la corruption actuelle se cache la politique des cinq premières décennies du XXe siècle, qui a conduit à un 'enrichissement sans développement' de l'Afrique, exploitée sans vergogne. Il est urgent de créer un nouveau système de relations qui fasse le poids face à la séduction de la Russie.»
Rage aveugle contre l'ex-puissance coloniale
Se détourner de la France n'apportera pas nécessairement aux pays africains une amélioration de leur situation, analyse La Libre Belgique :
«La France n'a pas voulu voir grandir cette colère. Elle ne s'est pas remise en question face à une Afrique qui ne veut plus se faire dicter ses choix, quitte à opter pour des solutions qui, comme au Mali, sont sans issue. C'est un "Tout sauf la France" qui ne sert les intérêts de personne et n'apporte pas de solution sécuritaire. Le pouvoir nigérien en est aujourd'hui la victime, mais d'autres États (Togo, Bénin, Côte d'Ivoire) sont déjà contaminés dans une région qui, en dehors de ces heures de putsch, n'intéresse - doux euphémisme - pas grand monde.»
L'ensemble du Sahel en ligne de mire
Tygodnik Powszechny analyse le rôle que pourrait jouer la Russie dans la région :
«Les déserts du Niger avec leurs gisements d'uranium représenteraient une véritable manne pour les Russes. ... Si le Kremlin parvenait à semer la discorde entre le Niger, l'Occident et la France, et à ramener le pays dans son camp, la Russie deviendrait de facto le maître de toute la région du Sahel. Il lui suffirait de provoquer un changement d'exécutif au Tchad en remplaçant le dictateur militaire au pouvoir Mahamat Déby, favorable à l'Occident, par une personne de son choix. Les Russes y travaillent déjà. Les mercenaires de Wagner entraînent les rebelles tchadiens de l'autre côté de la frontière sud, en République centrafricaine, et de l'autre côté de la frontière nord, dans la région cyrénaïque de Libye.»
L'Occident en prend pour son grade
Les évènements pourraient dégénérer en un cauchemar géopolitique, redoute De Standaard :
«Si le Niger a peu de poids dans le concert des nations, le coup d'Etat pourrait avoir des répercussions retentissantes. Un renforcement de l'influence russe pourrait être lourd de conséquences sur la guerre qu'elle mène en Ukraine. L'Occident risque de se retrouver du côté des perdants, et ce à plusieurs égards. En perte d'influence géopolitique, il devra se mettre en quête d'autres fournisseurs de matières premières et ses tentatives d'assécher économiquement l'adversaire militaire qu'est Moscou seront vaines.»
L'exploitation perdure
Pour El Periódico de Catalunya, l'exploitation des ressources est au cœur de tous les enjeux :
«La colonisation du continent par l'Europe s'est soldée par un asservissement généralisé, tandis que la décolonisation n'a pas répondu au rêve d'indépendance nourri par les mouvements de libération. ... Le Niger revêt une importance stratégique en raison de ses gisements d'uranium. Les putschistes ont neutralisé le président Mohamed Bazoum, qui aura probablement été le dernier dirigeant ouvertement pro-occidental de la région. ... Il ne s'agit pas d'un retour à l'époque de la guerre froide, mais d'une nouvelle lutte pour le contrôle des ressources de l'Afrique. Un capitalisme sauvage. Et le rêve africain de libération reste un cauchemar.»
Un cuisant revers pour l'Occident
La Repubblica explique pourquoi les intérêts de l'UE sont concernés :
«Le Niger est un carrefour des routes migratoires entre Afrique de l'Ouest et Méditerranée. La perméabilité des frontières libyennes a ainsi fait du Niger un avant-poste de la politique (anti-)migratoire de l'UE au sud, à l'instar de la Turquie à l'est. Le Niger est également devenu un bastion de la démocratie dans une région stratégique et disputée qui s'étend du Sahel au Sahara en passant par l'Afrique du Nord, une région ébranlée par une série de coups d'Etat militaires et de renversements autoritaires depuis 2020. ... La chute des institutions libérales a souvent entraîné une réduction de l'influence occidentale.»
La France fait partie du problème
Süddeutsche Zeitung explique pourquoi l'Occident n'a pas réussi à protéger le gouvernement démocratique :
«La raison première est que le Niger fait face à des vents contraires effrayants et qui s'aggravent mutuellement : changement climatique, terrorisme, manque d'avenir pour une société à la démographie galopante pour laquelle il n'existe déjà pas assez d'emplois. Mais il y a aussi une autre raison. Dans la région, nombreux sont ceux qui considèrent l'Ouest, et en tout premier lieu la France, comme une partie du problème et non de la solution, et pour cause : en se donnant des airs de grands seigneurs, ils ne cherchent en vérité qu'à mettre le grappin sur l'uranium du Niger et à tenir à distance les candidats à l'immigration. Moscou pourrait récolter les fruits de la frustration qui en résulte, comme il l'a déjà fait au Mali.»
Une aubaine pour la Russie
Libération tâche d'analyser quels sont les perdants et les gagnants des récents événements :
«António Guterres, le secrétaire général de l'ONU, a … toutes les raisons de se dire 'très inquiet' de la situation. En premier lieu pour les populations locales, les premiers bénéficiaires de cette instabilité institutionnelle étant les groupes terroristes islamistes qui sévissent dans la région. Les événements de Niamey sont évidemment aussi une très mauvaise nouvelle pour la France, mais aussi pour les Etats-Unis, les partenaires sécuritaires jusqu'ici privilégiés du Niger. A l'inverse, la Russie ne voit sans doute pas d'un mauvais œil l'influence des Occidentaux ainsi fragilisée, sans que l'on puisse pour autant penser qu'elle est directement à la manœuvre derrière ce putsch.»