Régionales allemandes : victoire des extrêmes
Le résultat des élections régionales en Saxe et en Thuringe continue de faire couler beaucoup d'encre. l'AfD est arrivée en tête en Thuringe avec presqu'un tiers des suffrages, suivie de la CDU. En Saxe en revanche, la CDU a une courte avance sur l'AfD. Dans ces deux länder, les offices régionaux du renseignement intérieur ont conclu que l'AfD poursuivait des objectifs d'extrême droite. La nouvelle Alliance Sahra Wagenknecht (BSW, extrême gauche pro-russe) a obtenu plus de dix pour cent dans les deux länder.
Une convergence bien indigeste
La journaliste Mojca Pišek fait dans Delo le commentaire suivant :
«Pour nous tous qui croyons à la nécessité d'une politique progressiste de gauche, l'issue des élections régionales allemandes est une pilule difficile à avaler qui nous reste en travers de la gorge. La convergence de la gauche et de la droite à l'œuvre dans la politique allemande, ce rapprochement sur le dos des minorités ethniques et sexuelles montre que pour réussir, un parti de gauche doit présenter certaines sympathies pour des positions de droite. ... La gauche européenne, y compris en Slovénie, doit tirer des enseignements importants de ce qui se passe en Allemagne. Premièrement : il est crucial d'identifier les thèmes susceptibles de motiver réellement les électeurs d'une part et ceux qui les font fuir d'autre part. Deuxièmement, et c'est un enjeu autrement plus complexe, le charisme des dirigeants.»
Faire la politique de l'AfD sans elle
Les débats sur l'immigration basculent dans la droitisation, critique Der Standard :
«Boucher les perspectives d'avenir des réfugiés, en durcissant tous les jours davantage les mesures prises à leur encontre, n'enrayera pas l'islamisme et la radicalisation. Mais de toute façon, ce n'est même plus de ces dérives dont il est question : l'immigration est présentée comme la source de tous les maux. ... Il y a quelque chose d'absurde à exclure l'AfD d'un gouvernement, dans la logique du 'cordon sanitaire', et dans le même temps de reprendre à son compte ses revendications. Les demandes d'expulsions, de pushbacks et de coupes des aides sociales, aussi populistes qu'irréalistes, contribuent à droitiser un discours déjà vicié sur l'exode et la migration, et désinhibe les propos xénophobes.»
Difficile de former des unions stables avec les extrêmes
Dans Observador, l'essayiste conservateur Jaime Nogueira Pinto tire la sonnette d'alarme :
«Crise économique européenne, décadence politique, soumission aux intérêts de l'administration Biden, peur d'une escalade du conflit russo-ukrainien : autant de facteurs qui expliquent le vote de rejet et de contestation, et que deux jeunes partis, l'AfD et BSW, aient recueilli à eux deux presque la moitié des suffrages. ... Au fond, l'âme et les programmes de ces deux formations se ressemblent à s'y méprendre sur beaucoup de questions clé. Et sur celles, centrales, de l'immigration et de la guerre, le BSW s'éloigne tellement des positions des partis établis qu'il ne sera pas facile de former un gouvernement stable avec lui.»
L'insécurité engendre l'extrémisme
El Periódico de Catalunya s'alarme d'une tendance générale :
«L'Allemagne suit la même pente que l'Italie et la France, en proie à deux extrêmes. Le centrisme modéré se réduit à peau de chagrin, sous l'effet d'une grave crise de crédibilité des partis traditionnels. Les partis ultra (aux deux pôles idéologiques) comblent le vide béant laissé par les grands partis, ceux-ci n'ayant pas de réponses aux questions les plus brûlantes. ... Ce changement de paradigme qui s'installe nous entraîne vers des sociétés plus radicales, plus anxieuses et plus malsaines. S'ils doivent choisir entre la sécurité et la liberté, les citoyens optent toujours pour la sécurité, et l'insécurité attise leurs peurs. Les citoyens se tournent donc vers les extrêmes, parce qu'ils donnent l'impression d'être plus forts, même si c'est une impression trompeuse.»
Un scénario étrangement familier
Le programme de l'AfD a des airs de déjà-vu, note Polityka :
«Dans notre pays, le PiS a vidé de sa substance la démocratie de manière similaire : il a instillé la défiance vis à vis de l'Etat instauré en 1989, de la Constitution, de l'opposition démocratique et de la société civile. Avec des effets comparables : délitement de la cohésion sociale, méfiance envers les élites autres que PiS et extrême droite, propension à adhérer aux théories conspirationnistes, aversion pour l'UE et l'Occident, vus comme une menace pour notre souveraineté et notre identité. Ce combat connaît des revirements soudains : la victoire des démocrates en Pologne, en France et en Grande-Bretagne, mais aussi les récentes victoires de l'extrême droite et de l'extrême gauche dans deux länder allemands. Le chemin qui mènera à la victoire des démocrates sera long et sinueux.»
La prise de conscience n'a pas encore commencé
Kleine Zeitung propose à l'Allemagne de tirer des enseignements de l'expérience autrichienne :
«Dans les années 1990, l'Autriche a connu des situations similaires à celles qui font actuellement débat en Allemagne. Nous pouvons en outre donner des informations utiles concernant les cycles de vie des phénomènes relevant du populisme de droite. Mais en entendant certaines réactions parmi les partis défaits, affirmant qu'il suffit de mieux expliquer leurs politiques 'aux gens', on se dit qu'ils n'ont pas encore tiré les bonnes leçons. Qu'ils commencent par se rendre compte qu'ils ont misé sur les mauvais programmes, et sur des thèmes qui importent peu aux yeux des électeurs.»
Le tandem franco-allemand a du plomb dans l'aile
Ce scrutin n'aurait pas pu tomber plus mal, fait remarquer le chroniqueur Pierre Haski dans sa matinale sur France Inter :
«Le problème est que cette crise allemande coïncide avec celle de la France, avec l'absence de majorité parlementaire. Avoir au même moment la France et l'Allemagne concentrées sur leurs crises politiques et moins engagées sur les enjeux globaux est une véritable source d'inquiétude, s'agissant du moteur traditionnel de l'Union européenne. En pleine guerre d'Ukraine, à quelques semaines d'une élection américaine décisive, et d'un monde passablement déstabilisé, l'Europe a besoin d'un moteur en bon état. Les électeurs français comme allemands en ont décidé autrement, l'onde de choc sera durable.»
Un grand péril pour l'Ukraine
Berlingske voit rouge :
«Les enjeux sont considérables pour le Danemark et l'Europe. L'Allemagne est la première puissance européenne. Si la politique allemande vacille, l'Europe entière en pâtira. Actuellement, cet affaiblissement menace directement les chances de l'Ukraine de remporter la guerre contre la Russie sur le champ de bataille. Sahra Wagenknecht cherche à convertir en politique nationale son score aux élections régionales, en conditionnant sa disposition à participer à un gouvernement dans les länder à l'ouverture de négociations de paix entre la Russie et l'Ukraine.»
Un séisme politique
La Repubblica a le sentiment que l'histoire se répète :
«Il s'agit d'un séisme politique propre à changer le cours de l'histoire. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, un parti d'extrême droite remporte une élection régionale en Allemagne. 90 ans après la prise du pouvoir par Hitler. Dans un land tristement célèbre pour voir été le premier à porter les nazis au pouvoir dans un scrutin communal, en 1924. Il y a pile un siècle. Björn Höcke est un des vainqueurs incontestés de ces élections : le président de l'AfD de Thuringe a obtenu près de 33 pour cent des suffrages. Les grands perdants sont les trois partis du gouvernement 'feu tricolore', minés par les désaccords.»
Non, ce n'est pas Weimar 2.0
On aurait tort de surfaire le succès de l'AfD, juge The Times :
«Il est vrai que c'est en Thuringe que les nazis avaient fait leur première percée régionale. Et il est vrai qu'avec la minorité de blocage que leur confère le tiers des sièges remportés au Parlement régional, l'AfD sera en mesure de provoquer des dégâts. Et oui, en Thuringe, l'AfD sera amenée à collaborer ponctuellement avec le BSW ou la CDU. Il n'en reste pas moins que tant qu'elle restera frappée de tabou, elle ne pourra pas entrer au gouvernement. Pour les partis établis, le défi sera de cesser de s'appuyer sur la béquille des analogies nazies éculées et de répondre à cet avertissement avec le sérieux qui s'impose.»
Le cordon sanitaire tient bon (pour l'instant)
Ce scrutin régional s'est joué sur tout sauf des questions régionales, écrit Rzeczpospolita :
«L'Est a clamé son mécontentement envers la politique nationale sur la guerre en Ukraine et en matière d'immigration. Car les campagnes en Thuringe et en Saxe n'ont pas été dominées par des thèmes régionaux, mais par la politique internationale. ... On table que le cordon sanitaire qui maintient l'AfD à l'écart tienne encore bon cette fois-ci. Mais l'explosion de colère laisse présager un danger. Mécontent, l'Est n'a pas encore dit son dernier mot.»
Des coalitions incongrues ne sont pas la solution
Lidové noviny estime que l'isolement actuel de l'AfD ne peut pas perdurer :
«L'AfD remporte des élections mais ne parvient pas à former des majorités et des gouvernements opérationnels. C'est pourquoi on assiste à la formation de coalitions incongrues. C'est pourquoi la CDU est à tout jamais condamnée à gouverner avec la gauche ou à moisir dans l'opposition. Ne serait-il pas préférable soit d'interdire l'AfD par voie juridique, soit de la laisser jouer dans la cour des grands ? Combien de temps la situation actuelle peut-elle encore durer ?»
Le vote extrémiste ne se cantonne pas à l'Est
Bien que l'Allemagne de l'Est ait une très faible densité démographique, le résultat des élections est parlant, écrit Media.ro :
«Dans les deux länder, les trois partis au gouvernement ont obtenu des scores très faibles. ... Pendant ce temps, le chef de file de la CDU au niveau national, Friedrich Merz, subit la pression de l'aile droite de son parti qui le pousse à durcir son discours anti-immigration après l'attaque terroriste de Solingen, ce qui semble avoir soufflé dans les voiles de l'AfD. ... Mis ensemble, les trois länder de Saxe, Thuringe et Brandebourg [qui renouvellera son parlement régional le 22 septembre] représentent seulement dix pour cent de la population allemande et présentent des caractéristiques de l'ancien bloc communiste. Et pourtant, l'essor des partis extrémistes AfD et BSW n'est plus un phénomène isolé, il menace de se propager à l'Ouest.»
On ne croit plus au progrès
Zeit Online interprète le résultat des élections comme une perte de confiance
«dans les partis établis, de la CDU aux verts, et dans leur capacité à résoudre les problèmes jugés primordiaux par les électrices et les électeurs, y compris en Saxe et en Thuringe, en tout premier lieu celui de l'immigration. ... Mais le problème majeur est peut-être la perte de confiance dans le modèle qui a semblé prévaloir pendant de nombreuses décennies en Allemagne : un pays très fier, le pays de l'innovation et du progrès. Les trains ne sont jamais à l'heure, la transition énergétique est une catastrophe, les aciéries sont en recul. Il ne suffit plus d'en faire évasivement le constat. Ce résultat électoral apporte la preuve que l'optimisme et la croyance dans le progrès sont révolus.»