Guerre en Ukraine : la Russie acceptera-t-elle le cessez-le-feu ?
Après la proposition de paix conjointe de Washington et Kyiv, les regards sont rivés sur la réaction de la Russie, pays agresseur de l'Ukraine. Une délégation américaine de haut rang est à Moscou pour mener les négociations sur le sujet. Poutine, pour sa part, s'est rendu sur le front à Koursk, où les troupes russes ont repris un pan de territoire occupé par l'Ukraine. La presse européenne fait le point.
La balle est dans le camp de Trump
Seul le président américain est actuellement en mesure de faire entendre raison au chef du Kremlin, affirme Kurier :
«La balle est-elle vraiment dans le camp des Russes, comme le dit le ministre américain des Affaires étrangères, Marco Rubio ? ... D'un point de vue militaire, il est concevable que Vladimir Poutine ne voie pas pourquoi il devrait accepter un cessez-le-feu. La balle est donc dans le camp de Donald Trump. Lui seul est en mesure d'exercer sur Poutine une pression telle que celui-ci se résolve à approuver un cessez-le-feu qu'il estime lui être défavorable. Il y aurait par exemple le plan Kellogg, qui prévoit d'inonder l'Ukraine d'armes américaines, ou encore des sanctions économiques massives contre la Russie, qui concernent surtout les exportations de pétrole et de gaz de Moscou. Poutine exploite toujours à fond la marge qu'on lui laisse, et actuellement, Trump lui laisse beaucoup de marge.»
Acculer Moscou
The Daily Telegraph appelle les Etats-Unis et l'Europe à faire désormais pression sur Moscou :
«Une partie de cette pression pourrait provenir d'aides militaires supplémentaires – en renforçant les livraisons et en élargissant la gamme des équipements proposés aux forces armées ukrainiennes. Mais le levier le plus efficace dont disposent les chefs d'Etat et de gouvernements occidentaux, c'est le commerce : la possibilité de serrer la vis des sanctions aux pays qui ont aidé Poutine à se défaire de l'étau économique enserrant la Russie. ... A Moscou, les négociateurs de Washington devront s'efforcer d'exposer clairement les coûts qu'occasionneraient un échec dans la recherche d'un accord.»
Koursk pourrait être un facteur décisif
Dans un post Telegram repris par Ekho, le journaliste Dmitri Kolesev estime que l'évolution sur le front est favorable à la conclusion d'un accord :
«Ces derniers jours, les troupes russes ont réussi à faire une percée dans la région de Koursk, et à pénétrer dans la ville de Soudja, occupée par les Ukrainiens, et dont ils ont manifestement repris le contrôle depuis. Ceci augmente les chances de cessez-le-feu, puisque Poutine n'a pas besoin de négocier sur la région de Koursk, chose qu'il aurait ressentie comme une humiliation. Peut-être Poutine, ne sachant lui-même pas encore comment réagir, attend-il une nouvelle entrevue avec Trump. Même s'il a de nombreuses raisons de rejeter une offre de cessez-le-feu (ou d'essayer de la saboter), je pense toutefois qu'un accord du Kremlin est possible. Car Poutine aurait beaucoup à gagner : une poignée de main avec Trump.»
La Russie a besoin de la paix
Gazeta Wyborcza a la conviction que la signature d'un accord est dans l'intérêt de la Russie :
«L'ambiance est morose car la Russie a besoin de paix. Dans les conditions imposées par la guerre, c'est comme si l'économie du pays souffrait d'une maladie auto-immune. Ceux qui produisent 'pour le front' et ceux qui travaillent pour le secteur civil se disputent de plus en plus sauvagement la main d'œuvre, les ressources et les financements. On fait le constat que le secteur civil est le perdant de la course, ce qui se ressent de plus en plus sur le niveau de vie des citoyens.»
Ne pas se fier aux propos de Poutine
El Mundo appelle à se garder de toute naïveté :
«L'Ukraine, qui avait une marge de manœuvre limitée, a opté pour la meilleure option : utiliser le pouvoir de Trump à son avantage. En acceptant son plan sans conditions, elle contraint l'administration américaine à convaincre Moscou. Trump met ici en jeu son image de leader mondial omnipotent. Une méfiance maximale est néanmoins de mise. ... La Russie pourrait se servir d'un cessez-le-feu pour jouer la montre et sécuriser les territoires occupés. Elle pourrait profiter de l'accord pour renforcer son armée et retrouver la position internationale qu'elle avait perdue suite à l'invasion. ... Poutine pourrait à nouveau rompre tous les accords, comme lorsqu'il avait fait une croix sur les accords de Minsk en 2022 et ordonné l'invasion à grande échelle de l'Ukraine.»
Une question centrale en suspens
Les positions de la Russie et de l'Ukraine restent encore extrêmement éloignées, fait remarquer Ilta-Sanomat :
«La question décisive est probablement ce que la Russie exigera de l'Ukraine dans les négociations de paix à proprement parler. La Russie mettra la barre haute dans ses revendications, à commencer par les cessions de territoires. ... Poutine continue de placer les intérêts russes au-dessus de l'Ukraine et n'entend pas renoncer aux zones qu'il occupe. Le président Volodymyr Zelensky, de son côté, a défini une ligne rouge qu'il a qualifiée de revendication principale dans les négociations : l'Ukraine ne reconnaîtra jamais les territoires occupés comme faisant partie intégrante de la Russie. Les positions des parties au conflit sont donc extrêmement éloignées.»
Des points essentiels en suspens
Les moyens de garantir la sécurité de l'Ukraine restent la grande inconnue de l'équation, fait remarquer Lidové noviny :
«Il est probable que la Russie n'accepte pas de cessez-le-feu sans concessions territoriales, ou que ce cessez-le-feu ne tienne pas longtemps. Une composante essentielle du problème est le besoin pour l'Ukraine d'avoir la garantie que les dirigeants russes ne reprennent pas les attaques. Des garanties que les Américains refusent d'accorder à l'Ukraine. Le seul recours restant est un genre de garantie européenne, ou l'option d'armer l'Ukraine pour qu'elle soit aussi forte que la Russie. ... Reste à savoir si les Américains sont prêts à investir dans ce genre de projet.»
Poutine au pied du mur
Sur Facebook, le politologue Volodymyr Fessenko décrit une situation compliquée pour le Kremlin :
«Poutine fait face à un dilemme difficile : l'Ukraine ou Trump ? Hier encore, il espérait pouvoir obtenir les deux : à la fois pousser l'Ukraine à la capitulation avec l'aide de Trump et reprendre à terme le contrôle de l'Ukraine, tout en forgeant avec Trump un accord sur différentes questions tactiques, et peut-être même stratégiques. Voilà qu'il doit faire un choix. ... S'il opte pour une alliance tactique et stratégique avec Trump pour renforcer sa position géopolitique et amoindrir sa dépendance de la Chine, il devrait donner son accord au cessez-le-feu et renoncer à son intention de forcer l'Ukraine à la capitulation.»
Un succès diplomatique pour la délégation ukrainienne
Sur Facebook, la politologue Aliona Hemantchouk écrit :
«L'Ukraine avait à mon sens deux tâches fondamentales à mener à bien. Premièrement, démontrer de la façon la plus convaincante possible que c'est la Russie qui fait obstacle à la paix, et non l'Ukraine. ... Deuxièmement, renvoyer la balle diplomatique dans le camp russe. En faisant nos propres propositions, en adoptant une vision proactive et en déclarant notre disposition à un cessez-le-feu. Les premières informations et les déclarations venant de Djedda, et les éléments indiquant la reprise de l'aide militaire et de l'échange d'informations des services de renseignement, laissent penser que la délégation ukrainienne est parvenue à accomplir ces deux missions.»
Impensable pour la Russie en l'état
Un communiqué de l'agence de presse d'Etat Ria Novosti laisse deviner l'évaluation que Moscou fait de la situation :
«La manière dont nous renverrons la balle diplomatique sera décisive pour montrer l'habileté de la Russie dans cette discipline diplomatique spécifique. Nous devons procéder intelligemment et renvoyer la balle dans le camp de l'Ukraine de telle sorte que Zelensky fasse obstacle au prix Nobel de la paix que Trump convoite. Il est hors de question que la Russie accepte l'offre de Djedda en l'état. L'Occident et l'Ukraine réclament d'une même voix un arrêt des hostilités, mais ils le font depuis février 2022, alors que personne n'a le droit de faire semblant de ne pas avoir entendu que la Russie posait un certain nombre de conditions préalables, à savoir la disparition des raisons mêmes qui ont provoqué le début de l'opération militaire spéciale [désignation officielle, imposée par le Kremlin, de la guerre contre l'Ukraine].»
Une partie de poker à l'issue incertaine
La Repubblica esquisse les grandes lignes de deux projets antinomiques se proposant de redéfinir l'ordre mondial :
«Poutine se montre extrêmement buté et Trump ouvert à toutes les options : des postures qui créent un déséquilibre de départ dans le bras de fer entre les deux dirigeants et dont l'issue est imprévisible. En effet, ils poursuivent des objectifs très différents. Poutine veut affirmer la souveraineté russe sur l'Ukraine pour donner un nouveau souffle au projet de sphère d'influence russe le long des frontières nationales. ... Trump veut enfoncer un coin entre Poutine et Pékin et il envisage un accord sur l'Ukraine comme un tremplin vers un nouvel ordre mondial. ... Poutine et Trump incarnent deux projets ambitieux de refonte de l'ordre sécuritaire international, mais deux projets qui, dans leur état actuel, semblent inconciliables.»
Avec Trump, il y a toujours des insultes
BBC revient sur l'altercation entre Trump et Zelensky, quelques jours seulement avant la nouvelle concorde de façade, et fait le constat suivant :
«Le fait que les diplomates américains et ukrainiens aient réussi à améliorer les relations et à esquisser une échappatoire illustre une fois de plus que Trump semble toujours être ouvert à de nouvelles négociations, malgré ses fanfaronnades et sa propension à insulter ses interlocuteurs. Car pour lui, bomber le torse et intimider ses adversaires font partie intégrante du processus de négociation.»